Lire notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 25 à 27.
« Avant le milieu du siècle dernier, les deux chemins qui menaient à Chamonix, l’un par Valorsine (sic) et le col de Balme, l’autre par la vallée de l’Arve, étaient ignorés des gens qui voyagent uniquement pour leur plaisir et leur curiosité. Ceux-ci, d’ailleurs, étaient peu nombreux, surtout parmi les Français. Les Anglais eux-mêmes, ces ancêtres du tourisme moderne, n’entrevoyaient les Alpes que pour se rendre en Italie : les rares personnes des diverses nations qu’atteignait la passion de voir des pays lointains n’étaient guère attirées que par le renom des grandes villes. Quant à s’aller perdre dans les déserts, pour admirer les incommodes singularités de la nature abrupte, c’est un genre de distraction dont personne ne se fût avisé. » Stéphen d’Arve, Histoire du mont Blanc, 1878.
« En 1741, William Windham, un jeune Anglais qui séjourne à Genève pour ses études et s’ennuie quelque peu, rencontre un compatriote, Richard Pococke, qui a déjà exploré l’Egypte et l’Arabie. Tous deux ont en commun, et comme beaucoup d’Anglais du moment, le goût de la découverte. Pour se « désennuyer » ayant entendu parler de ces “glacières”, Windham va financer une expédition pour les voir de plus près. » (Albert Mermoud, Mémoire du Mont-Blanc d’antan, p. 336)
L’année suivante, c’est Pierre Martel qui complètera les découvertes de W. Windham.
W. Windham et P. Martel seront les premiers à rédiger un récit de leur voyage ; ces deux textes circuleront longtemps uniquement sous la forme de copies manuscrites ; elles contribueront néanmoins fortement à lancer la mode du Mont-Blanc.
Il faut attendre 1879 pour que les récits de Windham et Martel soient publiés par Théophile Dufour ; ce dernier explique dans une longue introduction les circonstances de ces deux aventures de 1741 et 1742, ainsi que l’histoire des manuscrits :
William WINDHAM et Pierre MARTEL : relations de leurs deux voyages aux glaciers de Chamonix (1741-1742) – Texte original français publié pour la première fois avec une introduction et des notes par Théophile DUFOUR, président de la Cour de justice de Genève, Directeur des Archives de l’Etat, (Genève, imprimerie Bonnant, rue Verdaine, 1879). Extrait de l’Echo des Alpes, année 1879.
Une version numérique de ce livre est disponible sur le site gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France.
Ce fac-similé a été transcrit par CHePP. L’orthographe de l’époque a été conservée. Les expressions mises en caractères gras l’ont été par CHePP pour faciliter le repérage.
INTRODUCTION, pages 3 à 20 (par Théophile DUFOUR, 1879)
« La vallée de Chamonix a longtemps passé pour avoir été découverte en 1741 par Windham et ses compagnons de route. Si ce furent effectivement ces voyageurs qui la signalèrent les premiers à l’attention publique, il ne saurait être contesté aujourd’hui que, bien avant eux, elle avait été parcourue par des visiteurs étrangers, qui n’habitaient point dans son voisinage immédiat. Les évêques du diocèse, dans leurs pérégrinations, et les collecteurs d’impôts, dans leurs tournées, ne pouvaient négliger ce coin de terre, si écarté qu’il fût. Malheureusement les traces de leurs excursions (1) se bornent le plus souvent à de trop courtes mentions. On les a recueillies avec soin ; en cherchant bien, on en trouverait peut-être encore d’autres.
(1) François de Sales fit le voyage de Chamonix en 1606 ; Jean d’Arenthon d’Alex y alla à plusieurs reprises, entre 1660 et 1695.
C’est ainsi que M. Eugène Ritter, professeur à l’Université de Genève, a communiqué à la Société d’histoire de la même ville (séance du 8 novembre 1877) une pièce que je désire signaler ici à l’attention des futurs historiens de la vallée. Il s’agit d’une lettre datée de « Chamony en Fossigny, le 16 May 1669 » et due à un littérateur nommé Le Pays, qui eut pendant plusieurs années un emploi assez élevé dans le fisc du Dauphiné et de la Provence. Elle est intitulée : Bizarre peinture de quelques montagnes de Savoye. Ecrivant à une dame et se plaignant de ses rigueurs, l’auteur la compare aux glaces dont il se trouve entouré : (…)
« Madame, je voy icy cinq montagnes qui vous ressemblent comme si c’estoit vous-même… Cinq montagnes, Madame, qui sont de glace toute pure depuis la teste jusqu’aux pieds, mais d’une glace qu’on peut appeler perpétuelle. On sçait icy par tradition qu’elle est glace depuis la création du monde. Les feux de cinq à six mille canicules, ny les eaux du déluge universel, n’ont pas eu la force de la fondre, si ce n’est en quelques endroits où l’on trouve souvent du cristal et des pierres précieuses. Mais pour dire vray, il est dangereux de les y chercher. Les curieux et les avares y sont souvent accablés en esté sous la ruine des neiges qui s’éboulent ; On m’en a montré quelques-uns qui sont morts enchassez dans les glaces, et leurs parens, pour leur consolation, disent que l’art ne pouvait pas leur faire un tombeau si pompeux et si brillant que celuy qu’ils ont reçeu de la nature. Au reste, madame, rien n’est si magnifique que ces montagnes, quand elles reçoivent les rayons du soleil : les faces différentes, que la nature bizarre a données à leurs glaces, rendent les lumières de ce bel astre en tant de façons qu’il semble qu’on y voit un million de soleils de couleurs différentes… » (1)
(1) Les nouvelles œuvres de Monsieur Le Pays. Amsterdam, 1674, in-12° ; 2ème part., p. 124 et suiv.
Malgré l’intérêt que présente l’exhumation de ce témoignage du XVIIe siècle, l’excursion de Windham, en 1741, et celle de Martel, en 1742, demeurent les plus anciens voyages de touristes aux glaciers de Chamonix, sur lesquels on ait des détails circonstanciés, (1) grâce aux deux relations qui en ont conservé le récit. Ce fut par Léonard Baulacre que la nouvelle de ces expéditions se répandit en dehors de Genève. On sait que ce bibliothécaire studieux envoyait aux gazettes littéraires de son temps, notamment à celles qui paraissaient en Suisse et en Hollande, de nombreux articles sur des sujets très variés d’histoire, de littérature et de critique sacrée. En mai et juin 1743, le Journal helvétique, qui se publiait à Neuchâtel, inséra deux lettres adressées à son directeur, par Baulacre, sur les glacières de Savoie. La première débute ainsi : (…)
(L’auteur se contente de fournir « une espèce d’extrait de ces deux écrits »)
(1) Windham atteste qu’avant lui des voyageurs étrangers étaient venus visiter les glaciers de la vallée ; mais, comme le dit très justement M. Durier *, « Windham a fait une chose que les autres n’ont pas faite, – c’est d’en parler. » (Le Mont-Blanc, Paris, 1877, gr. In8°, p. 66).
* (Note CHePP) Charles Durier (1830-1899), du Club alpin français et de la Société de géographie : fac-similé in gallica bnf : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k350808 (514 pages)
Ainsi (1), les relations de 1741 et 1742, dont la première fut rédigée par Windham, et la seconde par Pierre Martel, n’étaient pas imprimées au moment où Baulacre écrivait ; elles circulaient en copies manuscrites, et en fait, le texte original de ces deux récits, écrit en français, est demeuré inédit jusqu’à ce jour. Mais dès 1744, Pierre Martel, qui était allé s’établir à Londres, en fit imprimer une traduction anglaise, dans une mince brochure in-4° de II-28 pages, dont je reproduis ici le texte exact :
“An account * of the GLACIERES or ICE ALPS in SAVOY, in two letters, one from an English Gentleman to his friend at Geneva ; the other from PETER MARTEL, Engineer, to the said (2) English Gntleman (sic). Illustrated with a Map, and two Views of the Place, etc. as laid before the Royal Society, LONDON, printed for PETER MARTEL, and sold by W. Meadows in Cornhill ; …” [suivent les noms et adresses de cinq autres libraires]. MDCCXLIV. (Price One Shillind and six-pence).
Les pages 1 à 12 comprennent la lettre de Windham, adressée au peintre Arlaud (3) et qui n’est pas signée par son auteur. (A Letter from an English gentleman to Mr. Arlaud, a celebrated painter at Geneva, giving an account of a journey to the Glacieres, or Ice Alps in Savoy, written in the year 1741). La relation de Martel occupe les pages 13 à 28. (An account of a journey to the Glacieres in Savoy, in a letter addressed to the english gentleman, author of the foregoing letter, by P. Martel, Engineer). Chacun de ces deux titres particuliers est suivi de la mention : Translated from the French.
* Note CHePP : account = compte rendu.
(1) Les deux articles de Baulacre figurent dans ses Œuvres historiques et littéraires, recueillies et mises en ordre par Ed. Mallet, Genève, 1857, 2 vol. In-8° ; L. I, p. 50-69.
(2) Haller (Bibliothek der Schweizer-Geschichte, t. I, 1785, n° 1479), et M. Studer (Geschichte der physischen Geographie der Schweiz, 1863, p. 318) ont omis ces quatre derniers mots, d’où pour Martel un faux air de “gentleman anglais”.
(3) Jacques-Antoine Arlaud, célèbre portraitiste, né en 1668, établi dès 1688 à Paris, où il devint peintre du régent, revenu à Genève en 1720, mort dans sa campagne de Malagnon le 25 mai 1743 (et non en juin 1746, comme le dit M. Rigaud, Renseignements sur les beaux-arts à Genève, édit. de 1876, p. 119, 121). – Par une erreur assez plaisante, M. Forbes le qualifie peintre de paysages.
Note CHePP : Jacques-Antoine Arlaud fut un peintre en miniature de grand renom. Issu d’une famille d’horlogers genevois, frère aîné de Benjamin Arlaud, Jacques-Antoine vint en France compléter sa formation, travailla à Dijon pour des joailliers et vint ensuite à Paris où il fut peintre du Régent à partir de 1688. Selon le Journal Helvétique, le Régent disait de lui : « Jusqu’à présent les peintres en mignature ont fait des images, c’est Arlaud qui leur a appris à faire des portraits ; sa mignature a toute la force de la peinture à l’huile ».
La brochure anglaise de 1744 n’a pas échappé aux bibliographes du siècle dernier, mais, par suite de sa rareté, elle est demeurée pour ainsi dire inconnue aux historiens du Mont-Blanc. Depuis de Saussure (1) jusqu’à M. Stéphen d’Arve (2), tous n’ont eu sous les yeux qu’un récit de seconde main, – l’abrégé succinct et parfois peu fidèle de Baulacre, – jusqu’à ce que M. Albert Smith eût réimprimé la traduction de la première relation, avec un fragment de la seconde, dans son ouvrage sur le Mont-Blanc (3). C’est grâce à cette reproduction que des écrivains plus récents ou plus exacts, tels que M. Charles Durier, sont enfin arrivés à prendre connaissance, en anglais, de la relation complète de Windham, celle de Martel continuant à rester dans l’ombre. MM. James-D. Forbes (4) et Alphonse Favre (5) ont pu les analyser toutes deux directement d’après la brochure même de 1744.
(1) Voyages dans les Alpes, t. II, 1786, § 732.
(2) Les fastes du Mont-Blanc, Genève, 1876, in-8°.
Note CHePP : L’in-octavo, également noté in-8° et parfois prononcé in-huit, est une forme de livre où la feuille imprimée a été pliée trois fois, donnant ainsi huit feuillets, soit seize pages. L’in-octavo est plus ou moins grand, selon l’étendue de la feuille. Au xviie siècle et au xviiie siècle, les in-octavo ont un format voisin du format A5 actuel (c’est-à-dire la moitié de la surface d’une feuille de papier A4 format français du papier à lettre ( 21 × 14,85 cm)).
(3) The story of Mont-Blanc, London, 1853, in-8° – 2e édit. 1864. l’édition posthume que j’ai eue sous les yeux (London ; Ward, Luck and Tyler) ne porte pas de date, mais doit être de 1860.
(4) Topography of the Chain of Mont-Blanc, article non signé dans la North British Review, n° 83, p. 137 (illisible), (1864)
(5) Rech. Géolog. dans les parties de la Savoie, du Piémont et de la Suisse, voisines du Mont-Blanc, 1867, t. III, p. 544-546.
Quant au texte français des deux voyages, on pouvait le croire perdu, lorsque M. Ludovic Lalanne eut l’obligeance de me signaler à la Bibliothèque de l’Institut de France, dans les papiers de Pierre-Michel Hennin, deux pièces manuscrites où je reconnus aussitôt un exemplaire des copies qui circulaient à Genève du temps de Baulacre. Une comparaison attentive m’a permis de constater que pour le premier récit (celui de Windham), il existe entre l’original français et la version anglaise un certain nombre de différences : quelques-unes doivent provenir du copiste de Genève, mais la plupart peuvent être attribuées soit à l’auteur, soit à son éditeur, Pierre Martel. Le second récit, à en juger par le court fragment que M. Smith a reproduit, a subi de notables remaniements au moment de sa publication en anglais ; ce fut alors que Martel lui donna la forme d’une lettre adressée à Windham.
Pierre-Michel Hennin, mort en 1807, avait été résident de France à Genève de 1763 à 1778. C’était un amateur d’art et de littérature, et l’on s’explique aisément qu’il ait eu soin de recueillir les deux relations de 1741-42, car la bibliographie des voyages fut de sa part l’objet de recherches étendues (1) et la question des glaciers l’intéressait tout particulièrement. Le traducteur des Lettres de William Coxe sur la Suisse, L.-F. Ramond, nous apprend en effet (2) que, parmi les expériences faites de son temps pour étudier la progression des glaciers, l’une des plus décisives fut due à Hennin. D’autre part, les récits de Windham et de Martel existaient encore, au bout de trente ans, « entre les mains de quelques curieux de Genève » ; c’est André-César Bordier qui l’atteste, en 1773, dans la préface de son Voyage pittoresque aux glacières de Savoye. Hennin put donc aisément en faire prendre ou s’en procurer une copie.
(1) Voy. La Notice (p. XXV) qui est en tête de la Correspondance inédite de Voltaire avec P.M. Hennin. Paris 1825, in-8°.
(2) T. II, p. 114, n. 14 (Paris, 1782, 2 vol. in-8°).
M. Smith ayant réimprimé, pour les lecteurs de la Grande-Bretagne, la traduction anglaise de la relation de Windham, il y avait convenance à mettre à la portée du public français le récit simple et véridique de ces deux excursions dans la langue où il a été écrit, ne fût-ce que pour débarrasser le terrain des détails romanesques accueillis et propagés par la tradition.
Avant de reproduire les deux pièces de la collection Hennin, je dois donner quelques détails sur les personnages qui composaient la caravane des Anglais et celle des Genevois.
Une note qui ne se retrouve pas dans l’original français du premier récit, mais qui a été ajoutée à la traduction de 1744 et a passé de là dans les ouvrages de MM. Alb. Smith et Ch. Durier, énumère les sept Anglais qui accompagnaient Windham, « à savoir, lord Hadinton, l’honorable M. Ballie, son frère, et MM. Chelwynd, Aldworth, Pococke, Price et Stillingfleet. » Le docteur Richard Pococke est bien connu par ses voyages en Orient ; né en 1704 à Southampton, il mourut en 1765, évêque de Meath, en Irlande. Robert Price, fut le père de sir Evedale Price, auteur de plusieurs écrits sur la théorie des beaux-arts, « Mr. Aldworth », appelé par M. Forbes « Mr. Aldworth Neville », serait l’ancêtre des barons Braybrooke. Enfin Benjamin Stillingfleet, petit-fils d’un théologien distingué du XVIIe siècle, fut un zélé propagateur de la méthode de Linné et cultiva aussi la poésie et la musique. Né, comme Pococke, en 1704, mort en 1771, il était le gouverneur de Windham, et c’est à son biographe, W. Coxe, que M. Forbes a pu emprunter quelques détails sur le chef de la petite expédition, William Windham, de Felbrigg dans le comté de Norfolk, père de l’homme d’Etat qui fut le contemporain et le collègue de Pitt. (notes de bas de page non transcrites)
On le présente comme élancé de taille, d’une constitution vigoureuse, et si passionné pour les exercices du corps qu’il était connu à Londres sous le nom de Windham le boxeur ». (1) Sous les dehors d’un homme du monde, il cachait une instruction solide ; connaissant plusieurs langues, il put écrire en français sa relation de voyage. « S’il avait vécu un siècle plus tard, ajoute M. Forbes, il eut été infailliblement le premier président de l’Alpine Club. »
A ces renseignements, qui ont été en partie reproduits par M. Alph. Favre et par William Longman, on peut ajouter que Windham suivit la carrière militaire et parvint au grade de colonel. Il quitta Genève vers le temps de l’expédition de Martel. A la date du 30 septembre 1740, un contrat de mariage avait été passé entre « Ne William Windham, escuier *, de Felbrigg, dans la province de Norfolk, de présent en cette ville [de Genève], fils de Ashe Windham et de défunte dame Elizabeth Windham, – et Dlle Elizabeth, fille de Ne Jacob De Chapeaurouge, seigneur ancien premier syndic, citoyen, et de dame Sara Saladin.» Toutefois, divers indices me portent à croire que ce projet de mariage ne fut pas mis à exécution.
(notes de bas de page non transcrites) * Note CHePP : escuier : chevalier
Lord Haddington (1), mentionné dans les Registres du Conseil le 31 décembre 1740, partit de Genève à la même époque que Windham. Plusieurs documents attestent qu’il y avait alors dans cette ville toute une petite colonie d’Anglais, venus en général pour y achever leur éducation et qui paraissent avoir été en bons termes avec les autorités de la République.
(1) Thomas Hamilton, 7e comte de Haddington, succéda à son grand-père Thomas Hamilton, 6 e comte de Haddington, en 1735 ; marié deux fois (1760, l786), il mourut en 1704 ( !? lire 1804 ?). (John Burke, op. cit., t. 1, p. 559). (autres notes de bas de page non transcrites)
Quant aux Genevois qui, séduits par les récits de Windham, prirent part au second voyage (1742) et qui nous touchent naturellement de plus près, la relation les désigne comme suit : « Pierre Martel, mathématicien ; Etienne Martin, très habile artiste ; Chevalier, orfèvre ; Giraud-Duval et un étranger nommé M. Rune, botaniste. » (1) J’ai fait des recherches pour constater l’identité de ces aventureux touristes, pensant que les membres de la Section genevoise du Club alpin suisse trouveraient quelque intérêt à cette recherche en paternité ; mais je n’ai presque rien trouvé, sauf pour Martel, le chef de l’expédition. L’orfèvre Chevalier devait être probablement Etienne Chevalier (fils de Jacques), « citoyen et maître orfèvre, » âgé alors de soixante ans, qui avait épousé, en 1740, Elisabeth Laval, sœur d’Etienne-Abel Laval, ministre du St-Evangile, habitant à Dublin en 1729, et plus tard pasteur à Londres. « Giraud-Duval » était « Pierre Girod, bourgeois de cette ville, marchand épicier, fils de défunt Sr Etienne Girod et de Dlle Andrienne Girod, » qui, né en 1709, s’était allié en 1737 à Dlle Jeanne, fille de Sr Abraham Duval, citoien de cette ville, marchand horlogeur, et de Dame Marie Cusin. » Le « très habile artiste » Etienne Martin paraît avoir été, non un peintre, comme on pourrait le supposer, mais un coutelier, (2) qui dessinait sans doute en amateur les sites qu’il rencontrait sur sa route. Je ne sais rien de M. Roze, « étranger et botaniste. »
(1) La traduction anglaise s’exprime un peu différemment et indique comme composant l’expédition : « un orfèvre, très versé dans la connaissance des minéraux ; un apothicaire, bon chimiste et bon botaniste ; M. Martin et M. Girod, que vous connaissez [Martel s’adresse à Windham] pour être des curieux, ce qui faisait une société assez bien qualifiée pour l’entreprise. »
(2) Marié en 1713 avec Marguerite Conte et mort en 1753, à l’âge de 70 ans. (autres notes de bas de page non transcrites)
Pierre (soit Pierre-Guillaume) Martel nous arrêtera plus longtemps. Senebier le fait naître, à Genève, en 1718 : en réalité, c’est à Lausanne qu’il avait vu le jour, en 1701 ou 1702 ; son père, Jean Martel, réfugié français, s’établit à Genève peu de temps après. En 1723, Pierre-Guillaume est mentionné pour la première fois :
« Gratification à Martel, pour sa machine. – Monsieur le sindic de la garde, lit-on dans les Registres publics, a fait voir au Conseil un planisfère, avec un bord d’environ demi pied de hauteur, rempli de nombre de cercles et de machines qui représentent le mouvement des planètes, selon les différens systèmes de Ptolémée et de Copernic, composé par un
jeune homme nommé Martel, fils d’un cordonier, qui a beaucoup de talent pour le dessein et pour la mécanique, dont il a fait présent à la Bibliothèque. Sur quoi étant opiné, l’avis a été de lui faire une gratification de dix louis d’or pour l’encourager. » (notes de bas de page non transcrites)
Le 25 janvier 1727, Pierre-Guillaume Martel épousa Jeanne-Françoise Rilliet et, à la fin de la même année, le conseil eut de nouveau à s’occuper de lui :
« Sr Guillaume Martel, maître de dessin. – Monsieur le sindic Chouet a dit que le Sr Guillaume Martel, maître à dessiner, qui a levé le plan de la ville et des rues et de ses fortifications assés exact, dans le commencement de cette année, aprouvé par le Sr De la Ramière et vu dans les Conseils, prie le Conseil de lui faire quelque gratification. Dont opiné, arrêté de lui donner quatre louis d’or de 11 l. 4. »
Peu de temps après son Voyage à Chamonix, Martel, encouragé sans doute par les Anglais dont il avait dû faire la connaissance à cette occasion, alla se fixer à Londres. On l’y voit en 1743 publiant un plan de Genève, devenu rare, puisqu’on ne le trouve dans aucune de nos collections publiques ou privées. M. le Dr Sieber, bibliothécaire de l’université de Bâle, ayant bien voulu me communiquer l’exemplaire que Haller signalait déjà comme se trouvant dans cet établissement, je puis en donner ici la description complète. Il mesure 641/2 cent. de largeur sur 491/2 de hauteur et porte ce double titre : « A PLAN Of GENEVA with the Adjacent Parts. – PLAN de GENEVE avec ses Environs. » Entre ces deux désignations qui se suivent, en haut, sur une seule ligne, est placé l’écusson de Genève. (…)
(notes de bas de page non transcrites)
L’année suivante, Martel publiait les deux relations sur Chamonix, qui avaient fait l’objet d’une communication à la Société royale de Londres. Il accompagna sa brochure de deux planches, dont la première, signée R. Price delin. – Viuares sculpsit, a pour titre : View of ye Ice Valley, & Mountains that Surround it, from Mount Anver. La seconde, qui est l’œuvre de Martel, est divisée en trois compartiments, savoir : 1. Le cours de l’Arve contenant le Plan des Glacières de Chamouny & des plus hautes montagnes. – 2. Veue de la Vallée de Chamouny et des Glacières, du côté méridional depuis l’église de Chamouny, pris sur les lieux, l’an 1742. – 3. Divers animaux qui habitent ces Montagnes. A. Boucquetin. B. Chamois. C. Marmotte.
(…) (notes de bas de page non transcrites)
Il est permis de supposer que la fortune ne souriait guère plus à Pierre Martel sur le sol anglais qu’à Genève. A une époque qu’on ne saurait préciser, il quitta Londres pour se rendre à la Jamaïque, où il mourut en 1761. Cette date est établie par des pièces qui furent rédigées à l’occasion de la succession de sa veuve, décédée à Genève le 25 août 1772.
(notes de bas de page non transcrites)
Des six enfants que Martel avait eus de son mariage, quatre étaient morts à Genève ; les deux autres, qui lui avaient été envoyés à Londres en 1744, moururent peu de temps après l’avoir accompagné à la Jamaïque. En dehors du cercle restreint de ses proches parents ou alliés, Martel n’avait pas laissé à Genève des souvenirs bien durables : dès 1773, Bordier, qui le cite, l’appelle « un mathématicien Anglois. » (…)
Mais il est temps d’en finir avec ces détails, dont on me pardonnera la minutie, et de laisser la parole aux voyageurs eux-mêmes. Accompagner leur relation de notes rectificatives eût été superflu, et l’on ne doit pas oublier qu’elles ont été publiées ici à titre de documents historiques. Il suffira de rappeler que Windham, dans son récit, ne mentionne pas le Mont-Blanc : l’ascension dont il raconte les péripéties est celle du Montanvert, – de ce Montanvert que soixante ans plus tard l’abbé Delille trouvait encore si terrible, mais qui ne compte plus aujourd’hui pour les touristes sérieux. » (notes de bas de page non transcrites) […]
APPENDICE.
En commençant la publication de ces deux relations, je disais (page 3) que des recherches dans les auteurs du XVIe et du XVIIe siècle y feraient sans doute découvrir, sur les glaciers du Faucigny, des mentions et des descriptions, jusqu’ici négligées ou restées inconnues. C’est ainsi qu’ayant eu, depuis lors, entre les mains un gros volume in-4° intitulé : Narration historique et topographique des convens de l’ordre S. François et monastères S. Claire, érigez en la province anciennement appellée de Bourgongne, par le R. P. Jaques Foderé, j’y ai recueilli (1) le passage qu’on va lire et qui s’applique aux glaciers de Chamonix, bien que ceux-ci ne soient pas nommés en toutes lettres. Foderé était originaire de la Savoie méridionale ; il publia son livre en 1619, à Lyon, mais j’ai montré ailleurs (2) qu’il l’avait rédigé dès 1585-87, sauf quelques additions introduites postérieurement dans son manuscrit.
(1) P. 207-298, chapitre consacré à La custoderie de Savoye. (2) Notes sur le couvent de Sainte-Claire à Genève (1476-1535). Genève, 1879, br.in-8°, p. 14, 18 (ou M. D. G., t. XX, p. 130, 134).
… « Les lieux habitez [en Savoie] plus près des Alpes sont fort stériles, n’ayant que du printemps, que d’esté et automne en tout environ quatre mois. Le seigle, qui est le meilleur bled qui y croit, demeure treze mois en terre, car ils le sèment au mois d’aoust et ne le moissonnent qu’au mois de septembre de l’année suivante : et encor le plus souvent la récolte est perdue et accablée des neiges qui y tombent devant leurs moissons. Néantmoins, choses très remarquables se trouvent en ces climats : premièrement (et qui est prodigieux), des glaces despuis deux ou trois mille ans, lesquelles ne fondent point et ne se résolvent jamais ; voire au contraire, elles croissent tous les ans, de sorte qu’en des endroits, elles ont couvert la sommité des montagnes et sont d’une profondeur inestimable. Et ceste glace est de telle nature qu’elle se purge de soy-même si parfaitement qu’il n’y demeure ny pierre, ny bois, ny autre matière, ains est plus nette, plus claire et aussi solide que le cristal : mesure qu’en des endroits, l’on ne peut bonnement juger si c’est minéral ou simple glace ; et en d’autres endroits, notamment au fonds et près de terre, elle se convertit en vray et fin cristal.
« Ceste glace en esté parfois se fend en longues et profondes crevasses, mais, en se fendant, elle faict si grand bruit que l’on diroit que ce sont coups de canons, ou des esclats de tonnerre pénétrant, et par ces fentes l’on recognoit l’estrange profondeur. Car les paysants qui sont contraints passer ces glaciers, soit pour la chasse ou autre occasion, quoyqu’ils portent aux pieds de[s] grappes d’acier bien cramponées, quelques-uns tombent en ces fentes, d’où a fallu avoir des cordes de six vingts toises pour les retirer. Et en des endroits, despuis le plus haut et plus enflé desdicts glaciers jusques à la terre, il y a trois cents toises de profondeur et néantmoins précisément au pied et tout au deffaut, ou joignant lesdicts glassiers, l’herbe et le bled y sont aussi verdoyants et viennent en maturité comme autre part. Et ce qu’on doit treuver admirable est que des habitants de tels endroits font fondre par grand artifice de ceste glace, ou s’ils ne la peuvent faire fondre, la pulvérisent et donnent à boire avec du gros vin contre plusieurs maladies ; particulièrement, c’est un remède singulier contre la dissenterie, fièvres chaudes et continues.
« En ces Alpes, près desdicts glaciers, se treuvent plusieurs sortes d’animaux, non veus ny accoustumés de vivre ès autres régions… (1) »
(1) Suivent des détails sur les bouquetins, les chamois et les marmottes.
FIN du texte de Th. DUFOUR
VOIR les TEXTES de WINDHAM et MARTEL :
– William Windham, Relation d’un voyage aux glacières de Savoie en l’année 1741 (pages non publiées dans Vatusium n° 17) ;
– Pierre Martel, Voyage aux glacières du Faucigny, 1742 (pages non publiées dans Vatusium n° 17)
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