Lire notre revue Vatusium n° 16, p. 20.
On connaît à Passy l’importance de la fondation Bosson qui, en 1820, a permis de créer ou mieux gérer plusieurs écoles de la commune. Mais le phénomène des fondations ne se limite pas au XIXe siècle et au régime sarde.
Sous la IIIe république, en janvier 1914, le Conseil municipal apprend de la bouche de son « Président » l’existence d’un « testament olographe » rédigé le17 février 1913 et « reçu par Me Laurent, notaire à Paris, 23 rue de Bourgogne, par lequel Mlle Fivel Démoret Marie Virginie, décédée à Paris rue de Verneuil n° 34 le 19 décembre 1913 » institue « pour légataire universel de ses avoirs l’école de Bay, sauf à exécuter les volontés dictées par la testatrice. » (1)
Le Maire invite le Conseil à « accepter avec reconnaissance les libéralités de Mlle Fivel Démoret Marie Virginie », ce qu’il s’empresse de faire « sous bénéfice d’inventaire » « considérant tout l’avantage que l’école de Bay doit retirer des dons qu’elle a faits, considérant que la testatrice n’a laissé aucun ascendant ni aucun descendant, que par conséquent il n’existe pas d’héritier à réserver, et qu’elle avait dès lors toute liberté de disposer de sa fortune suivant sa volonté. » Et le Conseil « autorise son président à faire tous actes conservatoires utiles, de s’enquérir du montant de la fortune pouvant approximativement revenir à l’école ou la commune ainsi que tous autres renseignements et s’il y a lieu s’adjoindre un délégué. »
Renseignements pris, la succession s’élève, tous frais déduits, à environ à 40 000 francs de l’époque, ce qui correspond à une coquette somme puisque le convertisseur franc-euro de l’INSEE l’évalue à 132 143,44 euros, en valeur de 2012 ! Les diverses procédures, que nous allons découvrir, retarderont le versement de l’héritage et, après la guerre, le franc aura perdu de sa valeur ; mais en 1917, la somme sera encore d’environ 82 700 euros…
Qu’en pensent les héritiers naturels » ?
Lors de la séance du 28 août 1914, le Maire rappelle (2) :
« Dlle Fivel-Démoret Marie Virginie » a donc fait « plusieurs legs » et a donné « à l’école du hameau de Bay tout le surplus de l’argent qui restera contenant
1° l’expédition du testament par Me Laurent notaire
2° l’expédition de l’acte de décès de la testatrice
3° l’état des héritiers naturels
4° un certificat d’affichage à Paris
5° des formules d’invitations à faire aux héritiers naturels appelés à reconnaître qu’ils avaient pris connaissance du testament. »
« Il a exposé que Dame Jaccoux Léontine épouse Perrollaz demeurant à Magland avait signé l’invitation, que Dame Jaccoux Françoise veuve Crottet avait signé en mettant une observation qu’elle demandait à être payée de ce qui lui avait été promis, que les autres avaient refusé leur signature. »
« Il a dit qu’il avait dressé un inventaire authentique démontrant qu’il pouvait rester un boni respectable en faveur de l’école et a invité le Conseil à délibérer.
Le Conseil, considérant que la succession est avantageuse demande à Mr le Préfet l’autorisation
1° pour la commune de recueillir la succession
2° de prélever sur le montant de l’actif, par le notaire dépositaire du testament, les sommes nécessaires pour acquitter le legs, les frais d’actes, les droits de succession, frais d’inventaire et autres inhérents et faire la liquidation fixant la somme à verser à la caisse municipale à l’actif de l’école du hameau de Bay. »
Que faire de tout cet argent ? En haut lieu, on veut des précisions…
En novembre 1915, « le Président dépose sur le bureau une lettre de Mr le Sous-préfet l’informant que Mr le Ministre de l’Intérieur demande comment le Conseil entend employer les revenus du legs fait à la commune de Passy par Demoiselle Fivel-Démoret Marie Virginie.
Le Conseil, considérant que d’après les volontés exprimées par demoiselle Fivel-Démoret Marie Virginie, dans son testament olographe, les sommes léguées à la commune de Passy devront être employées à améliorer l’éducation des enfants de l’école de Bay, commune de Passy, considérant que pour se conformer aussi scrupuleusement que possible à ses volontés, il y a lieu d’employer les revenus de ces sommes savoir :
1° Complément pour fournitures scolaires
2° Aménagement et embellissement des locaux
3° Gratifications aux Maîtres pour des cours spéciaux ainsi que le chauffage de ces locaux
4° Alimentation de la bibliothèque scolaire
5° Alimentation de la cantine scolaire et chauffage
Promenades scolaires
Un cours d’école ménagère
Distributions de prix ou de récompenses aux élèves et enfin tout ce qui a trait à l’école. »
« En conséquence, le Conseil municipal décide d’employer dans la mesure du possible les revenus du legs aux destinations ci-dessus énoncées. » (3)
Mais il n’y a pas unanimité au sein du Conseil…
Tous les membres présents « ont signé après lecture à exception du conseiller Métral Ulysse qui a exposer (sic) les motifs ci-après. »
« Je soussigné Métral Ulysse conseiller municipal déclare voter contre la délibération concernant l’affection du legs Fivel-Démoret Marie Virginie en faveur de l’amélioration des écoles de Bay et ceci pour les raisons suivantes.
Mademoiselle Fivel-Démoret a hérité sa fortune de son oncle Daigue Pierre, décédé à Paris le 15 janvier 1870, lequel avait par un testament olographe légué toute sa fortune à la commune de Passy, à charge pour elle de construire un asile de vieillards.
Dans un autre et dernier testament olographe en date du 20 janvier 1864, Monsieur Daigue a changé le sens de ses dernières volontés et s’exprime ainsi dans son testament. Dans mon domicile 9 rue Verneuil à Paris, ma volonté dernière et (sic) que ma nièce Marie Virginie Fivel-Démoret soit ma seule héritière sa vie durante (sic) sans être obligée d’en rendre compte à qui que ce soit et ce qui a été fait avant sera valable après elle.
Il ressort donc très clairement de cet exposé que Monsieur Daigue entendait bien laisser à sa nièce sa vie durante l’usufruit de sa fortune et qu’après elle ce qu’elle pourrait laisser reviendrait à la commune pour la construction d’un asile de vieillards. A mon avis et à titre de transaction, c’eût été très équitable et hautement humanitaire d’affecter le montant de la succession Fivel-Démoret Marie Virginie moitié à la construction de l’asile et l’autre moitié à l’école de Bay et de cette façon la commune de Passy honorerait à la fois la mémoire de deux bienfaiteurs, celle de Monsieur Daigue Pierre et celle de sa nièce Fivel-Démoret Marie Virginie. » (3)
C’est peut-être ce qui explique l’intervention du … Président de la République
En effet, le 23 mai 1916, « Le président expose que par décret de M. le Président de la République Française en date du 14 mars 1916, la commune est autorisée à accepter définitivement sous bénéfice d’inventaire le legs fait en faveur des enfants de l’école du hameau de Bay par Demoiselle Fivel-DémoretMarie Virginie suivant son testament olographe du 17 février 1913 à charge notamment d’entretien de tombe.
Que le produit du legs sera placé en rentes sur l’Etat Français, au nom de la commune avec mention sur l’inscription de la destination des arrérages. »
Le Conseil accepte « définitivement le dit legs avec les clauses et conditions ci-dessus et autorise leur Président à faire procéder au règlement de ladite succession en exprimant le désir que le produit du legs soit affecté en rente trois pour cent (3%) sur l’Etat. » (4)
L’argent sera placé dans une rente à 3 %
Cette délibération est approuvée par le Préfet le 19 juillet 1916, et le Conseil peut, le 19 novembre 1916, autoriser « le retrait de toutes les sommes et valeurs déposées à la banque de France au nom deMlle Fivel-DémoretMarie Virginie décédée, après conversion au porteur de la rente 3% or 1891-1894 comprise au certificat de dépôt n° 2309810. Il constitue pour mandataire à l’effet d’opérer ce retrait et de donner décharge des dites sommes et valeurs M. Soudan Jean Pierre, maire de la commune de Passy, qui aura la faculté de se substituer une autre personne. » (5)
Mais pourquoi se priver d’une rente à 5 % ?
« Le Président expose (6) que le Décret présidentiel du 19 mars 1916 attribuant à l’école du hameau de Bay la succession de Demoiselle Fivel-Démoretspécifie que la totalité soit convertie en Rentes françaises.
Que le Conseil municipal par délibération du 23 mai 1916 demandait que l’avoir de la dite succession soit converti en rente 3%.
Que Monsieur Laurent Notaire à Paris chargé de la liquidation fait remarquer par sa lettre du 11 avril 1917 s’il n’y aurait pas avantage à se procurer de la rente 5%.
En effet la rente 5% ne sera pas convertie avant 1931 soit un minimum de 13 ans et en admettant que le capital de la succession soit d’environ 40 000 francs
Il rapporterait annuellement en rente 5% au taux de 80 f. 05….. 2271 f. 00
Et en rente 3% aux taux de 61 f. 50 ………………………….. 1951 f. 00
Soit un revenu annuel au profit du 5% ……………………….. 320 f. 00
Somme appréciable qui multipliée par 13 annuités équivaudrait à un revenu supplémentaire de 4160 francs, et qu’au taux actuel il procurerait au moment du remboursement une marge de 11 f. 95 pour cent. »
Le Conseil « ouï l’exposé ci-dessus », suit les conseils du notaire parisien et opte pour cette solution d’une rente à 5 %. « En outre, il prie le liquidateur de faire l’envoi du mobilier destiné à la dite école ainsi qu’à la chapelle. »
Le 29 novembre 1917, enfin, les derniers chiffres tombent et l’argent va arriver à Passy :
« Vu le compte d’exécution testamentaire après la succession de Mlle Fivel-Démoret, rendu par Me de Meaux notaire suppléant Me Laurent, notaire à Paris
Vu le détail des opérations de dépenses qui s’élèvent ensemble à ………27 710, 77
Le Conseil admet comme excédent de recette définitif la somme de ….. 39 558, 18
Cet excédent devant être employé par le notaire en achat d’un titre de rente 5% au nom de la commune dès réception d’une copie de la délibération approuvant le compte d’emploi, le conseil municipal demande qu’il plaise à M. le Préfet de bien vouloir reconnaître le compte de Me de Meaux comme exact et régulier et approuver au plus tôt la présente délibération.
Ainsi fait et délibéré en séance, les jour, mois et an ci-dessus et ont les membres présents signé après lecture. »
Notes et références :
(1) Archives municipales de Passy, délibération du 22 janvier 1914 : « Legs en faveur de l’école du hameau de Bay par Mlle Fivel-Démoret Marie Virginie » (p. 56-57)
(2) Délibération du 28 août 1914 : « Legs à l’école de Bay par Mlle Fivel-Démoret » (p. 100-101) ; Signatures : Michollin, Curral, Ferrand, Patty, Pugnet, Buttoudin, Crottet ( ?), Mogeny, J. Masse, Thierriaz, Gruz, Métral, Couttet, Grosset, …, le Maire P. Soudan.
(3) Délibération du 21 novembre 1915 : « Emploi des revenus du legs de Mlle Fivel-Démoret » (p. 138 à 140)
(4) Délibération du 23 mai 1916 : « Acceptation définitive du legs de Mlle Fivel-Démoret Marie Virginie » (p. 156-157)
(5) Délibération du 19 novembre 1916 : « Procuration pour toucher le legs de Mlle Fivel-Démoret ». En marge, il est écrit : Le Préfet (…) approuve la délibération (…), Annecy, 26 février 1917.
(6) Délibération du 29 avril 1917 : « Conversion de rentes de 3% en 5% du legs de Mlle Fivel-Démoret Marie Virginie » (p. 191-192) Signatures : Michollin, Pugnet, Curral, Mogeny, Ferrand, Buttoudin, Raffort, Gruz, le Maire P. Soudan.
(7) Délibération du 29 novembre 1917 : « Achat d’un titre au 5% de l’excédent de recettes de la succession de Mlle Fivel-Démoret » (p. 191-192)
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