Lire notre revue Vatusium n° 18, 2015 « Les Passerands dans la Grande Guerre », 1ère partie : 1914 et 1915, page 4.
Cette page BONUS complète notre article publié dans Vatusium n ° 18, page 4.
Voir nos pages BONUS consacrées aux Passerands “réformés” en 14-18 , aux Passerands classés “services auxiliaires” et aux Passerands reclassés « bons pour le service armé » en 14-18 ; Taille des conscrits de Passy, classes 1887 à 1919
Les conscrits de Passy au XIXe siècle
Beaucoup de Passerands mobilisés pendant la Grande Guerre ont eu 20 ans… au XIXe siècle et faisaient partie des classes 1887 à 1900.
Le caricaturiste Honoré Daumier avait croqué le « conseil de révision » en 1842 : « C’est un glorieux spectacle que de voir cette noble jeunesse, pleine d’ardeur, de force et d’élégance, se disputer l’honneur de servir la patrie sous les drapeaux de Mars ! »
Le conseil de révision au début du XXe siècle
La Loi du 21 mars 1905 a imposé le service personnel, égal et obligatoire. Elle exclut toute dispense, au nom du principe d’égalité, à l’obligation du service militaire actif dont la durée est ramenée de trois à deux ans.
L’année de ses 20 ans, chaque Passerand passe son « conseil de révision » au chef-lieu de canton, c’est-à-dire à la mairie de St-Gervais. (Voir Vatusium n ° 18, page 4)
Un ancien conscrit, Loulou Mandère, a fait le récit de son conseil de révision et décrit cette journée mémorable. Extrait : « Imaginez une grande salle de mairie. Dans une salle attenante, une cinquantaine de jeunes hommes se déshabillent jusqu’à se retrouver entièrement nus. (…) A poil ! Et quand on est à poil, on se sent vraiment nu. Que faut-il faire de nos mains ? Je vous le demande. Tout de suite après on passe dans la grande salle et là il y a du monde. Du grand et du beau monde et même, trop de monde. (…) Le conseiller général et tous les maires du canton. Ils sont assis derrière une grande table, alignés pour ne rien manquer du spectacle grotesque et indécent qui se déroule sous leurs yeux. (…) Tout d’abord, la toise ; les trop petits sont réformés, ils ne font pas la passe. Après vient le poids. Ni trop légers ni trop lourds mais, pour l’instant, nous sommes simplement balourds. Ensuite, c’est la visite pour la vue. Indispensable pour faire un bon tireur. J’ai failli écrire un bon tueur. Contrôle de l’audition. Très important. Comment voulez-vous obéir à un ordre si vous ne l’entendez pas ? Puis, longueur des bras, des jambes, de l’entrejambe et tutti quanti… Les pieds : les pieds plats sont inaptes à la marche. Vient le moment de passer la visite devant le médecin-major. Tout y passe : le blanc des yeux, la dentition (il faut de bonnes dents pour affronter les lentilles aux cailloux au réfectoire), les réflexes jugés à la réaction au coup sur les genoux, la souplesse notée après quelques mouvements adéquats et, certainement, inventés par quelques pervers et, perfection des perfections, fin du fin, le major vous demande de tousser tout en vous soulevant des choses que la pudeur la plus élémentaire m’interdit de nommer ici. Il paraît qu’il y a relation entre le haut et le bas. Bon… pourquoi pas… »
Pour lire le texte intégral, aller sur le site Siros autrefois « Mémoires d’un village »
Certains conscrits essayaient de se faire réformer… (Voir notre page consacrée aux réformés de Passy)
Révision du conseil de… révision
Certains « réformés » ou « exemptés » avant la guerre ont été soumis à une nouvelle commission de réforme et… déclarés « bons pour le service armé ou auxiliaire » en 1915.
Le parcours de l’’un d’entre eux, Louis Philibert Mugnier de la classe 1912, est significatif. Classé « service auxiliaire pour insuffisance musculaire » par le conseil de révision en 1914, il devient « bon pour le service armé » le 4 novembre 1914 ; placé en sursis d’appel à l’usine de Chedde le 20 février 1915, il est incorporé au 140e RI le 19 mars 1915, puis au 9e Btn le 18 juillet 1916 ; il est blessé et évacué le 25 mars 1917. Revenu au dépôt le 13 mai 1917, il est maintenu service armé, inapte à l’infanterie pour blessure à l’abdomen ; il passe au 2e Rgt d’artillerie de campagne le 7 août 1917, puis au 34e Rgt d’artillerie de campagne le 7 octobre 1917. Il combat en Italie du 17 octobre 1917 au 26 janvier 1919. Il sera mis à la disposition des chemins de fer du PLM le 26 janvier 1919. Obtient la Médaille Interalliée le 16 juillet 1934.
La santé des Passerands au début du XXe siècle
Les fiches militaires consignent les observations faites lors du conseil de révision et donnent ainsi de précieux renseignements sur l’état de santé de la population : les décisions d’ajournement ou d’exemption sont en effet motivées : goitre, tuberculose, faiblesse générale, taille…
Le cas de la classe 1894 est édifiant. Sur 10 conscrits, 7 sont ajournés, exemptés, réformés ou classés services auxiliaires pour varices, perte de l’œil droit et amputation d’une partie de la main droite, faiblesse (3) et déformation de la paroi thoracique, goitre (3), mauvaise dentition, faiblesse et hernie… Certains seront néanmoins classés service armé en 1914.
Signalement des conscrits
On relève la taille du soldat. Il fallait mesurer au moins 1,54 m et certains Passerands sont « ajournés » (voir Vatusium n° 18, p. 4)
Certains « signes particuliers » sont notés : une « cicatrice à l’annulaire droit » (ou sous le menton et une à la joue gauche, au bras gauche, à gauche de l’œil gauche, à la joue droite près du nez et à l’extrémité du nez…), un bec de lièvre, la « perte de deux phalanges de l’auriculaire droit » un visage « taché de rousseurs » ou « gravé de la petite vérole », de « grosses lèvres », un « grain de beauté au bas de chaque joue », des « oreilles écartées »…
Il s’agit parfois d’un tatouage : « une tête de femme au bras droit ». Le plus étonnant que nous ayons trouvé est celui de Louis Eugène C. : « Poitrine, côté gauche : tête de Poincaré ; côté droit : tête de femme. Milieu de poitrine : 2 têtes de chien enveloppées dans drap. Avant-bras droit : Guillaume II ; bras droit : papillon, tête de clown, étoile, tête panthère, bracelet. Avant-bras gauche : croissant, tête d’homme, tête de nègre. Bras gauche : étoiles, hirondelle, pensées, demi-lune, cors de chasse, tête de mort, tête de chien. Cicatrice : coup de poignard à hauteur de l’estomac. »
Degré d’instruction des conscrits
Le degré d’instruction des conscrits de Passy est évalué au conseil de révision de 0 à 5 (Voir Vatusium n° 18, p. 4)
« Le dernier tableau publié par le ministère de la guerre dans le Compte rendu sur le recrutement de l’armée porte sur l’année 1907 (appel de la classe de 1906) en Haute-Savoie, sur 2441 jeunes conscrits (entre parenthèses les % du département de Savoie, sur 2281 conscrits) :
– Jeunes gens ne sachant ni lire ni écrire : 4 soit 0,16% (1,58% en Savoie)
— sachant lire seulement : 2 soit 0,08% (0,75% en Savoie)
— sachant lire et écrire : 13 soit 0,53% (23,90% en Savoie)
— ayant une instruction primaire plus développée : 2139 soit 87,62% (63,48% en Savoie)
— ayant obtenu le brevet de l’enseignement primaire : 41 soit 1,68% (2,98% en Savoie)
— bacheliers ès lettres, bacheliers ès sciences, et bacheliers de l’enseignement secondaire spécial : 53 soit 2,17% (1,80% en Savoie)
— dont on n’a pu vérifier l’instruction : 189 soit 7,74% (5,52% en Savoie). » (INRP, Dictionnaire Ferdinand Buisson, article « Conscrits »)
Quelques statistiques sur le recrutement (site combattant.14-18) :
Quelques exemples de motifs de réforme trouvés sur les fiches matricules de soldats de Passy qui auraient pu être mobilisés en 14-18 ou, pour les plus jeunes classes, l’ont été. (Voir notre page consacrée à ce sujet)
Services auxiliaires
D’après les indications trouvées sur les fiches matricules, une quarantaine de Passerands des classes 1887 à 1919 ont été affectés dans les « services auxiliaires » lors de leur conseil de révision. (Voir notre page consacrée à ce sujet)
Les coutumes de conscrits : la fête et le serment
Les « classards » reconnus “bons pour le service” se réunissent pour célébrer l’événement… (Voir Vatusium n° 18, p. 4)
Dans son ouvrage sur Les conscrits, Michel Bozon a montré que dans la Haute-Savoie les coutumes des conscrits étaient enracinées, durables et vivaces en 1914. (Michel Bozon, Les conscrits, Arts et Traditions Populaires, Paris, 1981. Cité par Philippe Boulanger, La France devant la conscription, géographie historique d’une institution républicaine, 1914-1922, éditions Economica, Paris, 2001, carte page 197 ; cité par le site combattant.14-18 http://combattant.14-18.pagesperso-orange.fr/Pasapas/E308CdR.html )
Léon Million, né le 3 juin 1891 à Megève, cultivateur à Passy, a passé son conseil de révision à St-Gervais en 1911. Taille : 1, 68 m ; degré d’instruction : 2. En 1912, il est incorporé au 97e Régt d’Infanterie alpine à compter du 9 octobre ; c’est dans cette unité qu’il fera la guerre ; il sera cité deux fois à l’ordre du régiment en 1916 et 1918 comme « mitrailleur très courageux et tireur d’élite » et obtiendra la Croix de guerre avec étoile de bronze.
La photo ci-dessous (reproduite sur la quatrième de couverture du Vatusium n° 18) le présente sur la rangée du haut, le 3ème depuis la gauche en compagnie de ses 11 « classards ». Les voici par ordre alphabétique (en rouge ceux qui seront tués pendant la guerre) : BOSSONNEY Edmond André François ; BUTTOUD Albert Ambroise ; CHATELARD Edouard Marie ; FOULAZ Joseph ; LEGON Léon Alphonse ; MARZORATI Joseph ; MILLION Léon François ; PARISOT Raymond Ernest ; PERTIN Joseph Abraham ; REDAELLI Jean Albert ; ROCHE Alexandre ; VOUILLOZ Joseph.
Leurs chapeaux fantaisie sont ornés de fleurs, leurs vestes de cocardes et de rubans, leur bulletin « bon pour le service » est coincé dans le chapeau ou épinglé sur leur poitrine. Cinq tiennent un clairon. Derrière eux, le drapeau de la commune de Passy et de leur classe 1911
Être conscrit en 1904
Auguste Rama raconte, dans son recueil de souvenirs, son enfance et sa vie de jeune homme. Pendant son dernier été à Quintenas, il se plie au rituel du recrutement militaire :
“Le groupe des conscrits, chaque année, s’évertuait à faire parler de lui. Tout dépendait de leur nombre, et des personnalités qui le composaient. Ce nombre variait, selon les années, de huit à quinze – sans compter les filles, évidemment.
Tout commençait par le tirage au sort, qui n’était plus, depuis longtemps qu’une formalité dépourvue de toute utilité, mais que l’on conservait par pure routine. A l’origine, suivant le numéro tiré, on était appelé à faire son service soit dans la marine, soit dans la cavalerie, soit dans l’infanterie.
Les opérations de tirage étaient présidées et surveillées par la seule gendarmerie. Dans une salle de la mairie du chef-lieu de canton – Satillieu – une table recouverte d’un tapis vert portait une caisse en bois remplie de petits papiers marqués chacun d’un numéro. Les gendarmes entouraient la table. L’un d’eux, assis devant un registre, appelait l’un après l’autre les noms qui figuraient sur sa liste. Et sous son regard, il fallait retirer un numéro de la caisse et le montrer pour être enregistré. Au sortir de là, le papier en main, on se trouvait dans un couloir où une marchande nous remettait, moyennant finance, un rectangle de carton où figurait notre numéro imprimé, entouré de gravures multicolores représentant des soldats de diverses armes. Ce numéro devait être placé sur le chapeau, sa base glissée sous le ruban. Celui que j’ai tiré était le n° 119.
Rentré au village, le groupe se devait de se produire ostensiblement et bruyamment le dimanche suivant, avec le numéro au chapeau. Et à partir de ce moment, presque chaque dimanche, il se manifestait, aussi tapageur que possible, à l’heure de la sortie de la grand-messe, par un défilé tout au long de la rue.” (Site familles-de-quintenas.com)
Les conscrits déclarés « Bons pour le service » attendent l’automne pour être incorporés. Traditionnellement, dès la sortie du conseil de révision, les jeunes, décorés de cocardes tricolores, de rubans et coiffés de chapeaux se rendent dans les bistrots du bourg où ils s’enivrent souvent pour la première fois.
Michel Bozon a montré dans Les conscrits, Arts et Traditions Populaires (Paris, 1981) que si dans certains départements les coutumes des conscrits étaient enracinées, dans d’autres elles étaient en voie de disparition voire totalement absentes ; En Haute-Savoie, et donc à Passy, elles sont durables et vivaces :
Le « serment » des conscrits sur une illustration de 1911 :
Compléter cette page avec celle de notre chapitre sur la jeunesse à Passy : « Les conscrits, les conseil de révision et le service militaire »
Sources et sites à consulter pour en savoir plus :
Site combattant.14-18
Site familles-de-quintenas.com
Site Siros autrefois « Mémoires d’un village » (récit d’un conseil de révision)
Site geneanet.org ; Site gw.geneanet.org
Site de l’Association Montagne et Patrimoine
Voir nos autres pages sur
– Passy pendant la grande Guerre
en particulier notre page consacrée au monument aux morts de Passy.
– Passy du XXe siècle à nos jours.
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