Culture, Histoire et Patrimoine de Passy

Le Passerand PERROUD Raymond, caporal au 297e RI, tué le 16 janvier 1915, cote 425 en Alsace

Written By: BT

Lire notre revue Vatusium n° 18, 2015 « Les Passerands dans la Grande  Guerre » 1e partie : 1914-1915 et  Vatusium n° 19, 2016 « Les Passerands dans la Grande Guerre », 2e partie : 1916 à 1919.

Cette page BONUS complète nos articles publiés dans les numéros 18 et 19 de Vatusium :
Vatusium n° 18, p. 43, Les soldats passerands en Alsace en 1915 ;
Vatusium n° 19, p. 4, Lettre de Raymond Perroud à Anna Buttoudin après la mort de son fiancé Eloi Arvin-Bérod

Le Passerand PERROUD Raymond Rodolphe, classe 1909, caporal réserviste au 297e RI faisait partie de la 23e compagnie du 6e Bataillon (selon les indications du JMO, p. 33) ; il est mort le 16 janvier 1915 à Thann dans le Haut-Rhin, cote 425, des blessures de guerre reçues le même jour.

Introduction Voir nos pages
Le 297e RI à Steinbach, cote 425, janvier 1915. Fusillés pour l’exemple
JMO du 297e RI, août 1914-mars 1915, Vosges, Alsace, cote 425 

Qui était Raymond PERROUD ?

Né le 10 février 1889 à Paris dans le 19e arrondissement, cultivateur résidant à Passy, Raymond était fils de feu Eugène Lucien Perroud  et de feue Marie Augustine Bastard ; il avait pour tuteur Jean-Michel Perroud, domicilié à St-Gervais.
Sa fiche matricule nous apprend qu’il était de bonne taille (1,71 m) et qu’il avait un bon niveau dinstruction (4), c’est-à-dire qu’il avait « obtenu le brevet de l’enseignement primaire ».

La famille de Gérard Buttoudin conserve à Passy une riche correspondance entre les membres de la famille pendant la Grande Guerre, en particulier des lettres de Raymond Perroud. Celles-ci attestent, avec une belle écriture, d’une bonne maîtrise de la langue française.

LE CHASSEUR AMOUREUX…

Raymond Perroud effectue son service militaire à Briançon au 159e RI à compter du 1er octobre 1910.

Une première lettre datée du 13 octobre 1910 et envoyée à sa fiancée Marie Buttoudin décrit la vie militaire à la caserne en termes peu flatteurs. Il évoque surtout la souffrance de la séparation…

13 octobre 1910 Lettre de Raymond Perroud à Marie Buttoudin 

13 octobre 1910 Lettre de Raymond Perroud à Marie Buttoudin (Doc. Gérard Buttoudin, Passy)

Briançon, le 13 octobre 1910

« Ma chère petite Marie,
Je fais réponse à ta lettre qui m’a fait un grand plaisir ; j’attendais de tes nouvelles avec impatience. Je suis content que  tu ailles bien, moi je suis de même. Le temps m’est terriblement long loin de toi, surtout dans ce sale pays. Maintenant je commence à m’y faire, mais les premiers jours, ça a été dur. Si on savait ce que c’est avant de partir on déserterait.
Ça commence rudement à turbiner. Le matin on se lève à 5 ½ , on plie son lit, après il faut s’astiquer, à 7 heures la tehorie [lire théorie], de 8 à 10 l’exercice, à 10 ½  la soupe, à midi la tehorie, de 1 à 4 l’exercice, à 5 ½ la soupe, depuis là tu es libre jusqu’à 9 heures où il faut être présent à l’appel ; en plus de cela, il y a les corvées, de café le matin, la chambre, la soupe, les assiettes à laver, les couloirs, etc, chose que l’on fait chacun son tour ; ainsi tu penses, pas le temps de se reconnaître, et en plus de ça, il faut se raccommoder, si tu voyais ça, c’est épatant (Madame Bertrand) tous chacun sur son lit, une aiguille à la main en train de coudre, tiens je te mens pas, ils m’ont donné une paire de caleçon, les jambes étaient complétement décousues, aussi je te parle d’un fourbi, il y a de quoi devenir fous. Il y en a un du 4ème Génie, la caserne en face de nous, qui s’est jeté du 4e étage, il ; est mort sur le coup, c’était un bleu qui était seulement rappliqué.
Avec les grèves qu’il y a en ce moment-ci dans le midi, tous nos anciens vont probablement partir du côté de Paris ; pour nous, nous risquons rien, nous sommes encore bon à pas grand-chose ; enfin en un mot, je ne sais pas quand je serai dehors de cette sale boîte à misère ; où y a-t-il les Plagnes et les doux moments que nous avons passés ensemble, j’espère qu’ils reviendront ; mais alors ce sera pour ne plus nous séparer.
J’aime toi seule et à toi j’y pense tous les jours, car comme je t’ai dit avant de partir, en revenant du régiment, je veux me faire une position. On se mariera et l’on vivra heureux car ou ce sera toi ou ce ne sera personne.
Enfin laissons les beaux rêves pour penser au présent. Tu me dis que Dupanloup t’a fait enrager ; ça m’étonne pas, comme il nous a rencontrés plusieurs fois ensemble, il en faut pas de plus. Il y a Gindre qui couche au-dessus de moi ; lui , est à la 6e , il est au 3e étage tandis que moi je suis au 1er ; je le vois tous les jours ; de Savoyards, il y en a pas beaucoup : il y a Téophile Fivel (sic) qui est dans les forts, puis deux de St-Gervais qui sont à la caserne en face, enfin en un mot pas grand distraction par là.
J’ai l’envie dimanche d’aller me faire photographier en cartes postales, je t’en enverrai. Une chose qui me ferait plaisir, ce serait d’avoir ta photographie si cela se pouvait. […]
Je pense que le travail s’avance par là-bas ; ici, ils n’ont pas encore tout moissonné ; ce matin, il neige ici, il commence à faire froid.
J’ai l’espoir d’aller en permission au nouvel an, aller te voir et causer un peu de nos amours.
Je finis ces quelques lignes en t’embrassant de tout mon cœur, toi que j’aime tant.
Donne le bonjour à ta sœur […], ainsi qu’à Martine et aux principaux amis.
Celui qui t’aime et qui ne t’oubliera jamais. R. Perroud »
Faut que je me dépêche car il est bientôt 9 heures du soir et il faut que je balaie encore la piôle avant l’appel.
Adieu ma chérie.

Photo de Raymond Perroud, Chasseur au 159e RI 

Photo de Raymond Perroud, Chasseur au 159e RI (Doc. Gérard Buttoudin, Passy)

Lettre de Raymond Perroud à sa fiancée Marie Buttoudin, le 28 octobre 1910 

Lettre de Raymond Perroud à sa fiancée Marie Buttoudin, le 28 octobre 1910 (Doc. Gérard Buttoudin)

La lettre du 28 octobre 1910 se termine par « 693 et la fuite »… Le service militaire dure à cette époque deux ans.

Raymond Perroud est nommé caporal le 24 septembre 1911

Lettre de Raymond Perroud à Marie Buttoudin – Briançon 18 septembre 1911

Ma chère et tendre bien-aimée
Ma petite mignonne chérie
Je réponds de suite à tes aimables cartes que j’ai reçu hier soir et que j’ai lu avec un très grand plaisir, surtout lorsque ça vient de ma bien-aimée. Je suis heureux que tu ailles bien, c’est le principal pour moi ; ça va assez bien comme santé ; j’ai encore le bonheur de ne pas être malade. Pour le reste, ça va petit à petit, bien doucement hélas. Les jours passent, plus ou moins embêté, mais toujours en pensant cent fois par jour à ma petite chérie qui m’aime et pense à moi, et qui attend avec autant d’impatience que moi ce jour de délivrance qui nous rendra le bonheur et la liberté si longtemps désirés. Le temps n’a jamais paru si long que maintenant, les jours me paraissent des semaines, j’attends avec une impatience inouïe la fuite des anciens et la venue de ces bleus ; pourtant, quand est-ce que je compterai comme eux cinq jours avant de partir, car ils s’en vont samedi 23 ; ça me semble que ça ne viendra jamais ;  cette première année nous a été dure mais la deuxième nous paraitra beaucoup plus longue, car ayant moins à faire, ça semblera plus long.  Mais quel plaisir de pouvoir dire : après celle-ci il y en a plus ; et pour nous deux, ma petite chérie, songe au bonheur de se retrouver dans les bras l’un de l’autre pour ne plus jamais se séparer ; alors on pourra dire : nous sommes heureux. Pour nous, malgré la distance et le temps qui nous sépare, l’amitié n’en est que plus forte, et cette amitié qui nous unit, rien ne pourra la briser. Tout le jour, je songe à mon cher petit ange, et très souvent la nuit je me revois en rêve auprès de ma bien-aimée, comme par ces beaux jours passés qui ont fui par l’action mais non par la pensée, car c’est des choses qui ne s’oublient pas malgré le temps ; et voilà ma seule distraction, et de revivre comme dans un rêve ces beaux jours passés, ces doux moments en compagnie de mon bel ange si gentil, et avec l’espoir de les revoir un jour en réalité. Prenons patience ma douce aimée, et ce jour de bonheur arrivera malgré tout, car ce lien d’amitié qui nous tient surmontera toutes les difficultés. Je te dirai deux mots du fameux métier.
Demain je monte comme caporal à La Seyte, avec un sergent et quinze hommes ; on devait déjà y monter le 15, mais ça a été retardé. Je n’ai pas encore récolté ces deux “mèches de lampe” sur le bras, mais ce sera pour lundi. Je serai fier alors d’être tout bariolé rouge et bleu ; ça ne manquera plus qu’un peu de blanc et je ressemblerai à une chemise de femme ; tu m’excuseras de l’expression, mais ça m’est venu tout d’un coup en écrivant, et je suis obligé en rire moi-même, et je suis sûr que ça te fâcheras pas non plus.
Plus grand chose à te dire ; voilà quatre jours que nous avons le mauvais temps, et la température s’est déjà passablement refroidie ; la neige a déjà apparu sur les sommets.
Encore 370 jours et la fuite.
Ma petite mignonne adieu, et pense toujours à celui qui t’adore, celui qui te chérit, celui qui t’aime follement. R.P.

Lettre de Raymond Perroud à Marie Buttoudin – Briançon le 21 septembre 1911

Ma chère et tendre bien-aimée
[…] J’ai reçu ta lettre ce soir ; comme tu me dis qu’il faut faire réponse à tes questions, j’ai pris la plume de suite. […] Quand j’ai reçu ta lettre, tu te figurerais pas ce que j’ai été heureux. Si tu es ennuyée de me savoir si loin, pour moi c’en est de même. Que voudrais-je être auprès de toi pour te prouver mon amitié, moi qui ne pense qu’à toi, et je ne sais comment exprimer mon amitié, et il n’y a pas de mot assez grand et assez doux pour te l’écrire. […]
Quand je repense aux doux moments que j’ai passés avec toi […], et qu’à présent faut se voir enfermé dans ce bagne, sans pouvoir en sortir, ni dire un mot, ni même pouvoir aller voir ceux qu’on aime quand cela vous ferait plaisir, et bien je t’assure qu’il y a des moments où tu en pleurerait bien ; et je t’avoue que la seule pensée à ma chère petite Marie me donne le courage et la force de reste ici ; et si jamais on se quittait, comme je pense que ça n’arrivera jamais, et bien tu peux en être sûre, ou je fous le camp du régiment ou bien je remets jamais les pieds au pays. Heureusement cela n’est qu’une idée car je suis sûr d’être autant aimé de ma bien chère petite que moi je l’aime ; comment même te prouver mon amour, c’est impossible.
Pas grand-chose de nouveau à t’apprendre ; que je vais toujours comme sur des roulettes carrées, quoi que ils soient bientôt tous malades à la compagnie. Tiens, il y en a encore un qui couche deux lits plus loin que moi et qui est monté ce matin à l’hôpital pour rougeole ; aussi l’on parle de nous envoyer quinze (jours) en permission pour désinfecter les bâtiments.
C’est le 35ème qui meurt depuis que je suis ici, dans tout le régiment ; aussi c’est pas rigolo car on sait pas si on y laissera pas un jour sa peau ; enfin ne pensons pas à ça, aimons-nous toujours et un jour viendra où l’on sera réunis pour ne plus jamais, non jamais se séparer, car si tu es comme moi, je peux jurer que je te serai fidèle jusqu’à la mort. […]
Encore 22 jours avant d’aller t’embrasser.

Lettre de Raymond Perroud à Marie Buttoudin – Briançon le 9 octobre 1911

Ma chère et tendre bien-aimée
A mon tout petit cœur chéri
Je te fais réponse seulement qu’aujourd’hui car nous n’avons point de correspondance le dimanche. Je n’ai pu t’écrire avant aujourd’hui car depuis le samedi soir jusqu’au lundi soir le courrier ne marche pas, et dans ce pays perdu il n’y a pas moyen de les faire mettre à la poste, à moins qu’il y en ait un qui descende en permission, ce qui est bien rare car pour descendre à la ville il faut une bonne heure. C’est malheureux de ne pouvoir écrire quand l’on veut, mais un jour plus tôt ou plus tard cela n’empêche pas de s’aimer la même chose, bien au contraire.  J’ai reçu tes cartes samedi qui m’ont fait un très grand plaisir de recevoir de tes nouvelles et de te savoir en bonne santé. Je vois par la nature de tes lettres que c’est la pure pensée de ton cœur que tu m’envoies et que malgré le temps et la distance, rien ne peut nous faire oublier l’un à l’autre, car quand on a une amitié comme la nôtre on y pense sans le vouloir ; pour moi à tous les instants du jour mon idée se porte sur ma petite chérie que j’adore, vers ce coin qui nous est si cher qui a vu naître nos premiers amours.
T’en souviens-tu du commencement de nos amours ? C’était à ce bal que Léon avait fait, j’ai commencé à danser avec toi, et je ne sais plus comment ça s’est passé, si bien que j’ai pris une amitié pour toi, que le temps n’a fait que raffermir ; et cette amitié sincère, jamais rien n’a pu l’ébranler.
Déjà quand on allait à l’école, on s’amusait ensemble ; plus tard, tu te rappelles, lorsque je t’avais envoyé une carte, et qui aurait dit que deux ans après ce serait toi qui serait ma bien-aimée ; et cette amitié se continuerait. Comme j’ai le ferme espoir un jour viendra qui verra couronner nos amours et où nous aurons le bonheur d’être ensemble pour la vie et de pouvoir vivre le plus heureux possible, car lorsqu’on s’aime et qu’on a l’accord, le reste va toujours, ne crois-tu as ma chérie ?
Continuons à nous aimer comme par le passé ; puis d’ailleurs ce sont des choses qui se commandent pas ; quand ça ne vient pas du cœur, ce ne sont pas des paroles qui y font. Mais pour nous deux, moi d’abord, jamais j’en pourrais en aimer une autre que toi, et toi il en est de même ; alors on ne peut mieux s’aimer et ce n’est pas de ce côté qu’il y aura de difficulté ; pour le reste on verra bien toujours.
Ici ça va toujours bien, je suis heureux comme un seigneur ; je passe mon temps après mon cahier de chansons, j’en ai bientôt fait la moitié mais cela n’empêche que le temps est toujours passablement long, surtout loin de toi, mon cher petit ange d’amour car quand on a un peu de travail le temps nous dure moins, on n’a pas le temps d’y penser ; en un mot on se plaint toujours car le plus beau temps ne vaut pas la vie civile. Enfin un jour viendra  où on en sortira et ce sera pas trop tôt. […]
Tu dis qu’il fait froid aux Plagnes mais ici (rien) lorsqu’on est à cheval sur le fourneau ; ces jours derniers, on avait trente centimètres de neige ; hier il faisait tout le temps vent terrible, pluie, neige, mais ça nous fait pas peur, on commence à y être habitué. […] Quant aux hommes, ils sont bien tranquilles, quoique il faut que je gueule comme un perdu pour faire faire quelque chose ; c’est pas ma crainte qui leur fait peur. D’ailleurs, tu me connais, je ne suis pas bien terrible, excepté quand je suis seul. […]
Enfin je finis ce journal comme tu dis, en t’envoyant mille baisers à travers l’espace, jusqu’au bonheur de recevoir de tes nouvelles. Adieu, ma chère petite fiancée que j’adore, et surtout ne te fais pas de bile pour tes dents, prends une infusion de caleçons à la sauce tomate, et verras que c’est radical socialiste.
Mon cher petit amour, mille baisers sur ta gentille frimousse blonde.
Bien le bonjour à Anna et tous mes compliments à son amoureux.

Libération du service militaire

Raymond Perroud est envoyé en congé le 25 septembre 1912. Il passe dans la réserve de l’armée active le 1er octobre 1912.

Raymond épouse Marie en 1913.

LE RESERVISTE MOBILISE en AOUT 1914

PARCOURS DE RAYMOND PERROUD, à partir des données du JMO
Voir les cartes et tous les détails sur notre page JMO du 297e RI, août 1914-mars 1915, Vosges, Alsace, cote 425 
Nous ne reprenons ici que les informations concernant le 6e Bataillon et la 23e Compagnie de R. Perroud et donc les actions auxquelles il a participé.
Raymond Perroud est rappelé à l’activité à la mobilisation générale le 2 août 1914 comme caporal au 297e Rgt d’Infanterie de Chambéry (régiment de réserve du 97e RIA).

Il va participer aux combats du 297e RI d’août 1914 à janvier 1915 d’abord dans les Vosges, puis en Alsace : le 25 décembre à Steinbach et dans les combats de la Cote 425, où le 297e RI va  perdre 450 hommes.

De la frontière italienne aux Vosges (2 août-18 septembre 1914)

Le 297e RI se forme le 2 août 1914 à Chambéry et part garder la frontière italienne ; le 6e Bataillon est composé des 21e, 22e, 23e et 24e Compagnie.

Raymond Perroud arrive le 6 août à Modane, au N.E. de Chambéry, à l’est de St-Michel de Maurienne.
L’Italie déclare sa neutralité et le 14 septembre le 6e bataillon quitte Modane, arrive le 15 au camp de la Valbonne, dans l’Ain, entre Lyon et Ambérieux-en-Bugey, avant de s’embarquer à Meximieux, juste au N.E. du camp de la Valbonne. L’effectif du 6e bataillon est de 1001 sous-officiers, caporaux et soldats. Total du régiment = 1995.
Le 297e RI fait partie de la  151e brigade d’infanterie (297e, 357e et 359e RI) créée en septembre 1914 qui fait, elle-même, fait partie de la 71e Division d’infanterie. Elle passera à la 66e division d’infanterie en janvier 1915.

Le 297e RI dans les Vosges (18 septembre-16 décembre 1914)

Le 297e RI cantonne à Fontenoy-la-Joûte

Le Régiment est dirigé le 18 septembre sur Brouvelieures, dans les Vosges, à l’Ouest de St-Dié et arrive à Fontenoy-la-Joûte, à l’ouest de Baccarat, au N.O. de Raon-l’Etape.

La présentation du drapeau a lieu le 23 septembre et le lendemain le Régiment reçoit l’ordre de se mettre à la disposition du Colonel Cdt la 141e Brigade à Flin, au N.O. de St-Dié.

Le 24 septembre,  le 6e bataillon est dirigé sur la lisière nord de la forêt de Mondon entre Thiébauménil et Bénaménil, à l’Est de Lunéville. Il remplit sa mission et rejoint le soir même Fontenoy-la-Joûte sans incident.
Le Lieutenant-colonel se dirige sur Hablainville, au sud d’Ogéviller. Le colonel Cdt la 141e brigade lui donne l’ordre de faire réoccuper par le 6e bataillon Ogéviller, au S.E. de Bénaménil, et la crête 288.

Le 297e RI cantonne à Domptail

Le 27 septembre, le régiment va cantonner à Domptail, juste à l’ouest de Fontenoy-la-Joûte.
200 travailleurs du 6e bataillon [celui de Raymond Perroud] participent à des travaux de défense à Badménil [Badménil-aux-Bois, au sud de Domptail et au S.O. de Rambervillers] et entre Glonville et Fontenoy-la-Joûte, puis aux environs du bois de Chèvremont.

29 septembre : Exercice avec la Brigade.

Carte de Raymond Perroud à sa femme Marie Buttoudin, 29 septembre 1914. Cachet de la poste du Fayet le 6 octobre 1914

Ma chère petite femme, bien chers parrain et marraine,
Je fais réponse de suite à des lettres du 17 et du 20 qui m’ont fait un très grand plaisir de recevoir de ces nouvelles et de vous avoir dans une bonne santé. Moi, je vais toujours très bien et je suis bien, à l’endroit où nous sommes ; je ne nomme rien* ; en tout cas, n’ayez aucune crainte pour moi. Prenez patience et bon courage et espérons que tout finira bien et que l’on se reverra bientôt tous en bonne santé ; je termine en vous embrassant du fond du cœur et à bientôt de vos nouvelles.
(en haut) Un gros baiser à tous et surtout bonne santé. Le bonjour aux parents et amis.
* De septembre à décembre 1914, le 297e RI est en Lorraine : Domèvre, Blamont, La Mortagne, Cirey-sur-Vezouze.

Carte de Raymond Perroud à sa femme Marie Buttoudin, 29 septembre 1914 

Carte de Raymond Perroud à sa femme Marie Buttoudin, 29 septembre 1914 (Doc. famille Buttoudin)

30 septembre : Alerte des troupes de la Division à 1 heure du matin, à titre d’exercice. Départ du Régiment à 2 heures, rentrée au cantonnement à 8 heures.

Du 1er au 9 octobre 1914,  exercice, travaux de défense et ensevelissement des cadavres dans le bois du Grand Bras (sud de Domptail), corvées d’assainissement et de nettoyage dans le cantonnement.

Le 10 octobre 1914, le 6e bataillon se rend à Azerailles, au S.E. de Flin, sur la Meurthe, pour exécuter des reconnaissances dans la journée du lendemain et concourir avec les troupes de la 141e brigade au service des avant-postes dans la région Brouville, Gélacourt [à l’Est d’Azerailles], Reherrey, Vaxainville [au N.E. de Brouville et à l’est d’Hablainville].

12 octobre : Exercice d’occupation des positions Ste-Barbe et Bazien [au nord de St-Benoît-la-Chipotte] par la 151e Brigade. Le 297e en réserve au Moulin Gallois 1500 m à l’Est de Ménil-sur-Belvitte [idem].
16 octobre 1914 Le 6e bataillon se rend à Azerailles pour les reconnaissances du 16 au 17. Exécution :
A. Un peloton de la 23e Compagnie [celle de Raymond Perroud] commandé par le lieutenant de réserve Dumont se porte à St-Martin, au N.O. de Domèvre, et détache 3 patrouilles sur Vého et Chazelles flanquées à droite et à gauche par deux patrouilles de 3 cavaliers opérant l’une par N.D. de Lorette sur Chazelles, l’autre par Blémerey sur Reillon.

Renseignements : 1° Fournis par les habitants : à Blémerey pas d’Allemands depuis 18 jours ; tous les jours, patrouilles de uhlans sur les crêtes de St-Martin.
2° par les patrouilles : St-Martin et Blémerey ne sont pas occupés. Des tranchées ont été construites au Nord de Reillon. A 11 heures, elles étaient occupées par une compagnie d’Infanterie allemande. Chazelles est occupé par environ 60 fantassins.
Incidents : à 9 heures, la patrouille de cavalerie opérant à l’Est de St-Martin est reçue à coups de fusils par 10 uhlans occupant les crêtes de St-Martin.

17 octobre 1914 A 11 heures, le maréchal des logis de la patrouille de gauche marche sur Gondrexon, au nord de Chazelles, est arrêté et poursuivi par 7 uhlans qui le rejettent au nord de Reillon ; il est rejoint par ses cavaliers et la patrouille d’infanterie commandée par l’adjudant Pozio de la 22e Cie. Assailli par un feu violent parti des tranchées au nord du village, il est tué avec un de ses hommes ; le soldat Charroin tombe grièvement blessé. La patrouille d’infanterie ouvre le feu et permet ainsi aux autres cavaliers de se replier.

B. Un peloton d’infanterie de la 23e Compagnie commandé par le capitaine David se porte à Ancerviller et pousse 3 patrouilles de 8 hommes sur Bois des Chiens, Bois Bénal et Clair Bois avec deux patrouilles de cavalerie, l’une à l’est de Sainte-Pôle, l’autre à l’Ouest de la route de Baccarat à Domèvre.
Renseignements recueillis : Trois maisons d’Halloville ont été brûlées le 16 à la suite du bombardement par les Allemands. Le plateau du Bois des Chiens est labouré par les obus allemands. Une tranchée non occupée existe à la lisière Ouest du Bois Bénal.

Etat des pertes : 1 blessé.

17 octobre Dans cette reconnaissance, les soldats Charroin et Menault se sont portés courageusement en avant sous un feu violent pour aller chercher les corps de 2 cavaliers qui venaient d’être tués ; le soldat Charroin a été blessé au cours de sa courageuse action.

18 au 23 octobre 1914 Travaux extérieurs.

24 octobre Le 6e bataillon se rend à Azerailles et Brouville [au N.E. d’Azerailles] aux avant-postes pour les reconnaissances du 25 et du 26.

Le 297e RI cantonne à Ménarmont
25 octobre 1914 Le Régiment va cantonner à Ménarmont, au sud de Domptail et au S.O. de Baccarat.
27 au 29 octobre 1914 Travaux extérieurs. Des reconnaissances sont effectuées par d’autres compagnies.
Le 297e RI cantonne à Moyen
31 octobre 1914 : Le Régiment quitte Ménarmont et va cantonner à Moyen, à l’ouest d’Azerailles et au sud de Lunéville. Des reconnaissances sont effectuées sur Domèvre, Chazelles et Verdenal par d’autres compagnies.

3-4 novembre : Travaux, exercice.

6 novembre : Le 6e bataillon va occuper le point d’appui de Vathiménil, au N.O. de Flin et Azerailles, avec 3 compagnies, une Compagnie à Fraimbois, au sud de Lunéville.

7 et 8 novembre : Exercice et travaux.

Le 297e RI aux avant-postes à l’Est de Baccarat
9 novembre : Le régiment quitte Moyen se rendant aux avant-postes et va coucher à Baccarat.

Situation de Baccarat (en bas, au centre) sur la carte du repli français des 20-23 août 1914 

Situation de Baccarat (en bas, au centre) sur la carte du repli français des 20-23 août 1914 (site chtimiste.com, page batailles1418/Lorraine)

10 novembre 1914 : Le Régiment relève aux avant-postes la 142e brigade dans le secteur limité à l’Est par la ligne Bertrichamps [juste au S.E. de Baccarat], Neuf-Maison [Neufmaisons, à l’Est de Baccarat], lisière Ouest de bois des Haies, à l’Ouest par la ligne ravin S.E. de Gélacourt, Reherrey, Mignéville, Domèvre [au nord de Baccarat].

La ligne des grand-gardes est jalonnée par le village de Ste-Pôle et de Montigny [au sud d’Ancerviller et au nord de Merviller]. Le dispositif du régiment est le suivant :
3 compagnies à Vacqueville [à l’Est de Merviller, au N.E. de Baccarat], 1 compagnie à Ste-Pôle, 5e bataillon.

3 compagnies à Merviller [au N.E. de Baccarat], 1 compagnie à Montigny. L’Etat-major à Merviller [au N.E. de Baccarat].

12 novembre 1914 Le Régiment (secteur du centre) apporte son concours à une opération offensive tentée dans la direction de Petitmont.
Ordres reçus :
A. Dans le secteur du centre seront en action 2 batteries d’artillerie (90). L’une au sud du bois Le Comte, Est de Mignéville. L’autre au sud de Ste-Pôle.
B. Pour les couvrir, le 297e prendra le dispositif suivant :

1°) Bataillon de Vacqueville. La compagnie de Ste-Pôle tiendra ce village.

Une compagnie sera poussée dans la région d’Ancerviller, au nord de Ste-Pôle, où elle sera dès 5 h du matin. Patrouilles au bois des Chiens surveillant tout mouvement ennemi se produisant de Blamont vers Halloville, Nonhigny, Montreux. Deux compagnies en réserve de sécurité.

2°) Bataillon de Merviller. La compagnie de Montigny tiendra ce village. Une compagnie ira tenir dès 5 h les lisières Est du Bois Banal et du bois Le Comte.
Une compagnie sera poussée sur Montigny, fournissant le soutien de la batterie sud du bois Le Comte. Une compagnie en réserve de secteur.

Exécution : La compagnie de grand’garde de Ste-Pôle pousse jusqu’à Ancerviller. Une compagnie occupe Ste-Pôle, les 2 autres compagnies du 6e bataillon se portent sur Fenneviller [à l’Est de Vacqueville] en réserve.

 13 novembre 1914 : Le Régiment a repris la veille au soir ses positions d’avant-postes.

15 novembre : Une compagnie est envoyée à Brouville détachant une section à Reherrey (liaison avec le 357e).

Le 297e RI dans la colonne d’attaque de Cirey
16 novembre 1914 : Conformément aux ordres reçus, le 6e bataillon fait partie de la colonne d’attaque de Cirey [Cirey-sur-Vezouze, à l’Est de Barbas et Harbouey] : 2 compagnies (21e et 22e) avec la colonne de gauche (41e bataillon de Chasseurs), 2 compagnies (23e et 24e) en réserve.

Le 6e bataillon (colonne de gauche), sous le commandement du commandant du 41e  bataillon de Chasseurs, a pour mission d’attaquer Cirey en partant de Petitmont.

Exécution : Les 21e et 22e compagnies restent en réserve à 300 m au sud de Petitmont, à côté de Val-et-Châtillon, juste au sud de Cirey.

A 9h 30, la 22e compagnie et à 12h la 21e compagnie sont envoyées sur la gauche des

Colonne de droite. Les 23e et 24e compagnies moins un peloton en soutien de la batterie de la Bergerie restent en réserve générale de la brigade à la Bergerie de 4h 30 à 12h.

A 12h, elles sont portées en avant à 200 m au sud de Petitmont.

A 12h 30, un peloton de la 23e compagnie est envoyé à Val-et-Châtillon pour boucher le trou entre l’attaque du 359e et du 41e bataillon de Chasseurs.

Tableau des pertes : 1 tué, 6 blessés.

17 novembre 1914 : Le 6e bataillon forme deux groupes. 1er groupe : 22e et 24e compagnies ; 2e groupe : 21e et 23e compagnies sous le commandement du Chef de bataillon commandant le 6e bataillon.

1er groupe : de 6h à 8h 30, les 22e et 24e compagnies sont déployées à 500 m au nord de Petitmont à cheval sur la route de Cirey. La 22e compagnie a eu 6 blessés, 1 disparu ; la 24e compagnie 1 tué, 2 blessés.

2e groupe : Sa mission était de mener le combat sur le plateau de Val-et-Châtillon ayant comme objectif Cirey gare, servant de liaison entre le 359e à droite, le 41e Btn de Chasseurs à gauche. Un peloton de la 23e reste en soutien de l’artillerie à la Bergerie.

A 5h 30, les 21e et 23e compagnies s’arrêtent en halte gardée sur le plateau à l’Est de Val-et-Châtillon.

A 6 heures, elles prennent une formation de combat à la lisière sud du plateau.

A 7h 30, à l’arrivée des 2 compagnies du 5e bataillon, la 21e s’établit au cimetière de Val-et-Châtillon en réserve générale de la brigade. Les 17e et 19e compagnies, compagnies d’attaque sur Cirey (à cheval sur la croupe S.O. de la cote 358) le peloton de la 23e compagnie à 400 m en arrière.
La section de mitrailleuses derrière la 23e compagnie à 400 m en échelon en arrière à droite.

A 9h 30, changement de dispositif sur la menace d’une attaque venant du N.E. par la Maison forestière (renseignements fournis par un officier de hussards).

A 13h 30, le Chef de bataillon reçoit l’ordre de repli. A 17 heures, le 6e bataillon était rassemblé à la sortie sud de Bréménil, au S.O. de Val-et-Châtillon.

Etat des pertes : 3 tués, 10 blessés, un disparu.

18 novembre 1914 : Le régiment reprend son service d’avant-postes.

19 novembre Reconnaissance de nuit : reconnaître sur Harbouey ; une section de la 20e compagnie. Renseignements et incidents : néant.

20 novembre Service des avant-postes.
21 au 24 novembre Service des avant-postes.

Le 297e RI, relevé, cantonne à Flin et Azerailles
24 novembre 1914 : Relève par la 141e brigade des avant-postes de la 151e brigade qui devient Brigade de la Meurthe.
Le Régiment quitte Merviller ; 6e bataillon : 2 compagnies à Ménil-Flin, 2 compagnies à Flin.

26 au 30 novembre : Travaux d’installation dans les nouveaux cantonnements. Reconnaissance des secteurs de défense. Exercice d’occupation des centres de résistance.

Travaux de propreté. Instruction.

1er décembre 1914 : Exercice d’occupation des positions dans tous les secteurs de la brigade.

2 au 7 décembre : Travaux. Instruction. Travaux de propreté.

8 décembre : Reconnaissance : un détachement de contact a pour mission de reconnaître les défenses de Verdenal. Le 6e bataillon du 297e fait partie de ce détachement. Mission : reconnaître sur Domèvre et Verdenal.

Exécution : Quatre patrouilles de 15 hommes soutenus chacune par une section débouchant du bois Banal à midi sur Domèvre ayant pour objectif Verdenal, le bois des Prêtres, la cote 317.
La 1ère patrouille est arrêtée par l’ennemi installé sur la crête 266 ; les autres patrouilles pénètrent dans le bois des Prêtres et sont arrêtées sur les lisières nord-est et Est qui sont fortement occupées. A la tombée de la nuit, les patrouilles se replient sur leur soutien et repassent la Vezouze.

Renseignements recueillis : Une batterie ennemie a tiré du bois du Trion ; une autre batterie devait se trouver en arrière de la cote 317 au sud-ouest de Verdenal ; les lisières nord-est et Est du bois des Prêtres étaient fortement tenues ; la cote 266 au nord-est de Domèvre était assez fortement occupée. Incidents : aucune perte à signaler.

9 décembre 1914 : Travaux et instruction.

Le 297e RI, relevé, va cantonner à Domptail
10 décembre : Le Régiment quitte ses cantonnements pour se rendre à Domptail où il cantonne le 10 au soir.

11 décembre : Le régiment se rend de Domptail à Froville (6e bataillon).

12 décembre 1914 : La 151e brigade s’embarque [vers le nord-ouest] dans la journée à destination de Toul. Arrivés à Toul, les 2 bataillons se portent sur Andilly [au nord de Toul] où ils arrivent dans la nuit.

Le 297e RI, relevé, cantonne à Andilly
13 décembre : Installation au cantonnement.

14 décembre 1914 : Le régiment reçoit l’ordre de se porter le plus tôt possible à Manonville [Meurthe-et-Moselle, au S.O. de Pont-à-Mousson] à la disposition du Général commandant la 73e Division. Départ à 1h 35 par alerte. De Manonville, il reçoit l’ordre de porter un bataillon à Limey, un bataillon devant cantonner à Noviant-aux-Prés ; dans cette localité, ordre pour tout le régiment d’y cantonner en attendant de nouveaux ordres.

15 décembre Le régiment quitte Noviant-aux-Prés à 16h 30 pour se rendre à Andilly.

L’ALSACE et la cote 425 (16 décembre 1914-23 mars 1915)

Le 297e RI cantonne à Rambervillers

16 décembre 1914 : Départ du Régiment d’Andilly pour s’embarquer à Toul, à destination de Rambervillers, au S.O. de Baccarat. Le 6e bataillon cantonne à St-Gorgon.

Du 17 au 22 décembre 1914 : Travaux de propreté et revues ; théories et exercices.

Raymond Perroud écrit à sa belle-sœur Anna Buttoudin le 21 décembre 1914 ; il évoque la mort d’Eloi, le fiancé d’Anna ; voir les principaux extraits dans Vatusium n° 19, page 4.
Raymond mourra 3 semaines après avoir écrit cette lettre, 3 semaines avant ses 26 ans…
Voir fac-similé et texte intégral sur notre page (en construction)

Rambervillers le 21-12-1914
Ma chère petite Anna,
[…] Nous avons passé une huitaine de jours comme des galériens, voyagé par la pluie et le mauvais temps, trempés jusqu’aux os, couché dans les granges tout mouillés ; et encore, si on avait pu se reposer toute la nuit, mais des fois on n’était pas tout à fait couché qu’il fallait se relever pour partir ; c’est le plus pénible qu’on ait fait jusqu’à présent. Heureusement que maintenant voici cinq jours on est encore bien tranquille, peut-être pas pour longtemps, mais que veux-tu, obligés de supporter et rien dire, et encore bien heureux quand on n’est pas malade. Combien de fois ai-je songé dans ces moments de peine : les pauvres diables qui sont morts sans souffrir, comme ce cher Eloi, ils sont cent fois plus heureux que nous ; oui, je t’assure, ma chère Anna, ils sont plus heureux. C’est honteux de l’avouer, mais je recevrais une balle qui me laisserait sur place, eh bien je préfèrerais ça, que d’endurer comme à certains moments ; dans un moment de désespoir, ça me ferait rien. C’est triste à dire, et pourtant c’est tel ; car comprends voir un peu : voilà cinq mois qu’on souffre, en bonne santé heureusement, mais qui nous prouve que dans huit jours, quinze ou un mois peut-être, je subisse pas le même sort que ce cher Eloi ; au moins ceux qui sont morts, ils ne souffrent plus. […]
Mais tiens, moi qui suis ici encore en bonne santé, loin de ma petite femme chérie que j’aime, que j’adore comme toi ton cher Eloi, je suis marié il est vrai, c’est la seule chose qui me différencie de toi ; eh bien, combien de fois, dans mes moments de peine, dans ces nuits d’insomnie où, malgré la fatigue on ne peut dormir, j’ai revécu en moi-même ces beaux jours passés, ces nuits inoubliables même, passés en sa compagnie, ces instants divins où on oubliait tout de ce monde pour ne songer qu’à son amour ; enfin tout ce qui peut découler d’un amour réel, et que maintenant ici seul, loin de tout ce qui vous est cher, voué à la mort d’un jour à l’autre, et que tout ça je ne reverrai peut-être jamais, pas même le gentil sourire de celle qu’on a tant aimée.
Lui, il est tombé loin de tout, mais au moins il a été relevé et il repose parmi des camarades, tandis que moi, qui sait ce que le sort me réserve, peut-être blessé et mourir faute de soins au milieu d’un bois ou d’un champ, et rester là, seul comme un chien, jusqu’à ce qu’on vienne vous faire les honneurs qu’on fait à une bête ; à combien ai-je vu on a fait de même, d’abord  tu penses bien que tous ceux qui tombent on ne les rassemble guère, on les enterre où ils sont, n’importe où que ça soit ; ainsi tu vois le sort qui nous est réservé, et encore je t’en dis pas la moitié ; on dit bien de ne pas s’en faire mais quand on songe à tout, on n’est guère plus heureux que ceux qui sont morts. Bien sûr, malgré tout ça, on vit toujours dans l’espoir, mais hélas ! le hasard est si grand. Malgré tout ce que je viens de t’énoncer, il faut pas t’effrayer pour autant car, quoique ça soit la pure réalité, nous-mêmes on y pense pas, sans cela on en perdrait bien la tête ; on vit là comme des bêtes, suivant le cours de chaque jour, en attendant que l’heure de la délivrance sonne si la destinée veut bien nous réserver cette surprise. […]
Embrasse ma petite femme chérie pour moi. R. Perroud

Le 297e RI cantonne à Belfort, puis à Lauw et Thann
23 décembre 1914 : Le régiment reçoit dans la nuit l’ordre de s’embarquer en chemin de fer [vers le sud-est]. Destination Belfort.

24 décembre 1914 : Le Régiment se rend à Masevaux, au S.O. de Thann où il cantonne.

25 décembre 1914 : Installation au cantonnement.

1914 12 25 Carte de Raymond Perroud à Joseph Buttoudin*

Massevaux (Alsace), le 25-12-1914**,
Cher beau-frère, Deux mots pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours très bonnes pour le moment. La santé est excellente tout en espérant que la présente te trouvera de même. Depuis ma dernière lettre, nous avons changé de domicile ; on est à présent en Alsace à une vingtaine de kilomètres de Mulhouse ; on est tout à fait bien, les gens sont très gentils ; le malheur est qu’on a de la difficulté à se faire comprendre car ici ils parlent tous allemand ; enfin on est bien, c’est le principal, le reste on s’arrange toujours. Je termine en t’envoyant mes meilleures amitiés et que la santé continue à s’améliorer. Adieu et à bientôt de tes nouvelles. Ton beau-frère dévoué. R.P.
Je te donnerai de plus grands détails la prochaine fois.
* Joseph est le jeune frère de Marie, l’épouse de Raymond ; il sera tué en 1916 à Douaumont. Voir Vatusium n° 19, p. 9 à13 et notre page « Quatre Passerands morts pour la reprise du fort de Douaumont »
**Curieusement, le timbre de cette carte est tamponné à la date du 13 avril 1916, comme si Raymond n’avait pu la poster en décembre 1914… Il  sera tué quelques jours plus tard, le 16 janvier 1915.

Carte postale envoyée par Raymond Perroud le 25 décembre 1914 : texte 

Carte postale envoyée par Raymond Perroud le 25 décembre 1914 : texte (Doc. Gérard Buttoudin, Passy)

Carte postale envoyée par Raymond Perroud le 25 décembre 1914 :
« La Guerre en Lorraine en 1914. Raon-l’Etape bombardé par les Allemands. Vue intérieure de l’église » 

Carte postale envoyée par Raymond Perroud le 25 décembre 1914 : « La Guerre en Lorraine en 1914. Raon-l’Etape bombardé par les Allemands. Vue intérieure de l’église » (Doc. Gérard Buttoudin, Passy)

Carte de Raymond Perroud à Anna Buttoudin

Massevaux (Alsace) le 25-12-1914
Ma chère petite Anna
Je profite d’un jour de repos pour te donner de mes nouvelles qui sont toujours très bonnes pour le moment, tout en espérant que la présente vous trouvera tous de même. Depuis ma dernière lettre nous avons encore changé de domicile, les bureaux ont été transférés en Alsace, territoire allemand, et comme de juste nous les avons suivis. On est à peu près à une vingtaine de kilom de Mulhouse ; les gens sont tout à fait gentils, on couche presque tous dans des lits ; malheureusement on ne peut pas faire de conquêtes car, comme ils parlent tous le boche, on a toutes les difficultés à se faire comprendre. Tu vas voir, trois mois de cette vie et je deviens boche, en rentrant je ne sais plus parler français ; enfin, nous sommes bien, c’est le principal, si ça peut durer comme j’espère. Je termine en envoyant mes meilleures amitiés à toute la famille et à bientôt des nouvelles. Adieu ma chère Anna et ne te fais pas trop de chagrin. Un gros bonjour à tous. R.P.

Carte de Raymond Perroud à Anna Buttoudin envoyée le 25 décembre 1914 :
« La Guerre de 1914. Rehainviller en ruines. Un aperçu des villages de l’Est. »

Carte de Raymond Perroud à Anna Buttoudin envoyée le 25 décembre 1914 : « La Guerre de 1914. Rehainviller en ruines. Un aperçu des villages de l’Est. » (Doc. Gérard Buttoudin)

26 décembre 1914 : Le Régiment reçoit l’ordre de se rendre à Sentheim, au S.E. de Masevaux, en réserve d’armée. A son arrivée à Sentheim, il prend une formation de rassemblement à la sortie sud du village. A la fin de la journée, l’Etat-major et le 6e bataillon s’installent à Sentheim.

27 décembre 1914 : Le Régiment reste en réserve d’armée. Il reprend à 7 heures sa formation de rassemblement sur les mêmes emplacements que la veille. Il cantonne le soir à Lauw (5e bataillon) et à Ma(s)sevaux (Etat-major et 6e bataillon).

Du 28 décembre 1914 au 2 janvier 1915 : Installation au cantonnement. Revues. Exercice. Travaux, confection de gabions ; nettoyage du cantonnement.

Sentheim (en bas à gauche) ; Thann et Cernay ;
Bitschwiller (au nord de Thann), Rammersmatt (au sud-ouest de Thann)  

Sentheim (en bas à gauche) ; Thann et Cernay ; Bitschwiller (au nord de Thann), Rammersmatt (au sud-ouest de Thann) (site alsace1418.fr)

 

Participation à la bataille de Steinbach

Lorsque Raymond Perroud et le 297e RI arrive à Thann, aux abords de la cote 425, et s’installent à Sentheim le 26 décembre 1914, ils prennent en marche une bataille qui a commencé mi-décembre 1914 et durera jusqu’à mi-janvier 1915 : la bataille de Steinbach. Le 7 janvier 1915 sera pour le régiment une journée tragique…
Voir notre page « Le 297e RI à Steinbach, cote 425, janvier 1915. Fusillés pour l’exemple ».

Voir aussi le site steinbach68.org,
page 93. http://www.steinbach68.org/page93.htm
page 14-18(3) http://www.steinbach68.org/14-18(3).htm  

3 janvier 1915 : Le 6e bataillon quitte Mas(s)evaux à 17h et va cantonner à Rammersmatt, juste à l’est de Masevaux].

4 janvier 1915 : L’Etat-major du régiment et le 6e bataillon se rendent à Thann où ils s’installent en cantonnement d’alerte.

5 janvier 1915 : Le 6e bataillon quitte Thann à 16 heures, va s’établir à La Chapelle ; 21e et 22e dans les tranchées de la cote 425, 23e et 24e Compagnies en réserve à La Chapelle. L’Etat-major s’établit à La Chapelle.

6 janvier 1915 : L’attaque projetée pour ce jour-là, contrariée par le mauvais temps, n’ayant pas pu être préparée par l’artillerie, est renvoyée au lendemain par le Général commandant la 66e Division.
La nuit venue, le 6e Bataillon, aux tranchées, est brusquement attaqué et, de 17h 30 à 19h 30, il repousse des attaques sans cesse renouvelées. Celles-ci reprirent de nouveau à minuit. En raison de ces événements, le Lieutenant-Colonel Bonnelet, commandant le régiment appelle vers 3 heures les 17e et 18e compagnies de Thann. Ces dernières reçoivent l’ordre à 4h 30 et arrivent à La Chapelle à 5h 35.

Le combat du 7 janvier 1915, journée tragique…

7 janvier 1915 : En raison du mauvais temps, l’attaque projetée pour 9 heures est renvoyée à 13 heures.

Les armes du 6e bataillon étant encrassées par la boue, ce bataillon est remplacé aux tranchées de 1ère ligne à 10 heures par les 17e et 18e compagnies.
Le 6e bataillon se rassemble à La Chapelle et nettoie ses armes avec de l’eau.

L’attaque dont est chargé le 6e bataillon consiste à enlever la tranchée allemande située à l’Est de la cote 425 et d’aller s’établir à 200 mètres ou 300 mètres au-delà de cette tranchée face à Cernay.

Le Bataillon rassemblé à La Chapelle se met en marche à 13 heures dans l’ordre suivant : 24e Compagnie en tête, 23e Compagnie en échelon à gauche, 22e Compagnie en échelon à droite, 21e Compagnie, en réserve, a pour mission de garder les tranchées de 3e ligne.
La 24e Compagnie ayant sa droite au chemin de crête et tenant ainsi le versant nord, franchit sans difficulté le petit bois et les trois lignes de tranchées. Vers 13h 30, elle arrive à hauteur de la tranchée la plus avancée et est immédiatement soumise à un feu violent d’artillerie. Elle se déploie aussitôt, les 2 sections en arrière viennent renforcer les sections de la chaîne. Cette Compagnie essuie les feux combinés de l’infanterie et de l’artillerie et subit en peu de temps des pertes importantes. Elle est soutenue par la 23e Compagnie qui vient se déployer à sa gauche. Vers 14h 30, le Commandant Les Enfant ayant été blessé, le capitaine Golaz prend le commandement du bataillon.

Mort tragique du Lieutenant-colonel Bonnelet

A 15 heures, le feu devient moins violent. Les 23e et 24e Compagnies et un peloton de la 18e Compagnie se lancent en avant, beaucoup d’hommes chantent la Marseillaise et arrivent près de la tranchée allemande. A ce moment-là, les Allemands lèvent les mains en l’air.

Le Lieutenant-colonel Bonnelet se jette en avant, dépasse les plus avancés de ses soldats, en criant : « Ne tirez pas, ils se rendent. »

Malheureusement ce geste généreux doit lui coûter la vie, car les Allemands reprennent aussitôt leurs armes et font une décharge générale. Le Lieutenant-colonel Bonnelet est atteint en pleine poitrine et tombe les bras étendus en s’écriant : « Ah ! Mon Dieu ! ».

Quelques-uns des nôtres réussissent à atteindre la tranchée allemande et y sautent résolument ; mais après un combat corps à corps, ceux qui ne sont pas tués sont faits prisonniers.

Ayant été avisé de la mort du Lieutenant-colonel Bonnelet et de la mise hors de combat du Commandant Les Enfants, le commandant Girolami prend le commandement du régiment.

Total des pertes  (9 pages doubles dans le JMO… !) : 442 [sur un millier d’hommes] ; 67 tués, 196 blessés, 179 disparus dont le Lieutenant-colonel Bonnelet…

Cette journée, rendue catastrophique par la mort du Lieutenant-colonel et le nombre des pertes, va avoir apparemment d’autres conséquences tragiques le 23 mars 1915 : voir la question des fusillés pour l’exemple sur notre page « Le 297e RI à Steinbach, cote 425, janvier 1915. Fusillés pour l’exemple »

8 janvier 1915 : Les 18e, 22e, 23e et 24e compagnies sont remplacées à la cote 425 par 3 compagnies du 359 à 21 heures ; ces compagnies sont cantonnées à Thann.

9 janvier 1915 : Les compagnies restent en position.

10 janvier 1915 : Le capitaine Delbor, de la 20e compagnie, est désigné pour prendre le commandement du 6e Bataillon.

11 janvier 1915 : Les compagnies restent sur les mêmes emplacements. Un soldat du 75 d’infanterie prussienne s’est rendu prisonnier.

13 janvier 1915 : Le 6e bataillon remplace à 17 h à La Chapelle Cote 425 le 5e bataillon qui cantonne à Thann.

14 et 15 janvier 1915 : Trois soldats de la 21e compagnie sont tués dans les tranchées de la cote 425 par l’artillerie ennemie.

Mort de Raymond Perroud, tué par un éclat d’obus

16 janvier 1915 : Deux soldats de la 23e compagnie sont tués : caporal Perroud et Raymond, et 1 blessé dans les mêmes conditions et dans les mêmes tranchées [cote 425]. L’adjudant Viallet de la 17e Cie est tué pendant le bombardement de Thann. (Fin des extraits du JMO du 297e RI)

Fiche de décès de Raymond Perroud

Raymond Perroud est « mort le 16 janvier 1915 de ses « blessures de guerre à Thann dans le Haut-Rhin, Cote 425 ». Il avait presque 26 ans.
« Mort pour la France » : Jugement rendu le 27 décembre 1917 par le tribunal de Bonneville ; jugement transcrit le 14 janvier 1918 à Passy.

Fiche de décès de Raymond Perroud 

Fiche de décès de Raymond Perroud (site Mémoire des hommes)

Monument aux morts de Passy : inscrit sur la plaque des morts de 1915, avec une erreur de prénom (lire Raymond Rodolphe, et non Raymond Alfred), et une omission de son grade de caporal. Voir notre page Passy : Liste alphabétique des soldats morts en 14-18 

Sources et sites à consulter pour en savoir plus :

Fiche matricule de Raymond Perroud aux ADHS : Matricule 2164 ; cote du registre : 1 R 784

JMO du 297e RI

Extraits sur notre page JMO du 297e RI, août 1914-mars 1915, Vosges, Alsace, cote 425 

Documents de la famille Buttoudin, Passy

Voir nos autres pages sur
– Passy pendant la grande Guerre
en particulier
 notre page consacrée au monument aux morts de Passy.

– Passy de 1920 à nos jours.

Découvrez aussi, sur notre site, la richesse et la variété du patrimoine de Passy :
 Les ex-voto du temple romain de Passy
– Le château médiéval de Charousse à Passy
– Le retable de la Chapelle de Joux, à Passy
– L’étonnant « Cahier » d’Eugène Delale, école de Passy, 1882
–  La méthode Freinet à l’école de Passy, 1932-1952
– La conduite forcée de 1947-1952 et la production hydroélectrique à Passy
– L’Arve des Gures aux Egratz, à Passy
– Vues panoramiques sur le Mont-Blanc depuis Passy
– L’inalpage dans les « montagnes » de Passy, « l’emmontagnée », et la « remuée » pendant l’été
– La gare de Chedde à Passy et la ligne Le Fayet-Chamonix
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