Culture, Histoire et Patrimoine de Passy

art. de P. Guichonnet, L’émigration des Savoyards

Written By: BT

Extraits de l’article du professeur Paul Guichonnet, doyen honoraire de l’Université de Genève publié dans la revue VATUSIUM n° 10 en 2007, pages 5 à 10.

Passeport délivré par les autorités sardes, Vatusium n° 10, p. 20

 (…) Les causes de l’émigration sont multiples.

On a évoqué la pauvreté, endémique, durant des siècles, dans une population essentiellement paysanne et montagnarde, jusqu’à ce que la Savoie entre, à partir des années 1880, dans la modernité économique qui rend l’expatriation de moins en moins indispensable.

Cette date marque le début de l’industrialisation, et de la Houille blanche[1], tandis que la généralisation des fruitières[2], coopératives laitières et fromagères, fait entrer le monde rural clans l’économie monétaire.

On aura toujours des déplacements saisonniers, à court rayon, de travailleurs vers des régions proches : ouvriers agricoles pour les fenaisons et les moissons; bergers du val de Chamonix gardant, l’été, les troupeaux en Valais et en Tarentaise ; effeuilleuses[3] du Chablais dans les vignes du pays de Vaud. L’avant pays, où la location des terres en fermage était très répandue, obligeait des hommes et femmes de la région d’Annecy et de l’Albanais à aller travailler à Lyon, dans la soierie exerçant le métier de canuts[4].

La cause majeure de l’émigration était, cependant, dans les montagnes, le « chômage
climatique » dû à la saison d’hiver. Pour diminuer le nombre des bouches à nourrir, les hommes allaient chercher du travail au-dehors. Laissant au village les femmes, les enfants et les vieillards, ils partaient aux premières neiges et s’en revenaient, au printemps, pour les travaux des champs et l’inalpage du bétail.

Aussi l’émigration fut-elle toujours avant tout masculine. Si un migrant célibataire s’établissait dans son lieu d’accueil, il revenait, généralement prendre femme au pays. (…)

Dès la fin du Moyen Âge, la Savoie du nord pratique “une émigration de qualité”, qui est l’une des plus originales de toutes celles des Alpes occidentales. Avec cette certaine partie du Chablais et de la Tarentaise, son foyer principal est le Faucigny (Mégevette, Nancy-sur­-Cluses, le bassin de Sallanches et la vallée de Montjoie).

Par la Suisse allemande, les migrants se dirigent vers les terres d’Empires catholiques Lorraine, Alsace, Forêt-Noire, Pays de Bade, Bavière, Vienne et l’Autriche, jusqu’à Prague et Cracovie. Il s’agit de colporteurs, les “merciers” (du latin mercator : marchand). 

 (…) En 1834, 20.000 émigrants vivent à Paris (…).  Très francisés, les Savoyards de Paris joueront un rôle important dans les événements de 1860, incitant leurs parents compatriotes restés au pays, au militantisme “annexionniste”.  (…)

 La Savoie, longtemps pays pauvre, est parvenue à un niveau socio-économique qui la classe aux premiers rangs en France. De terre d’exode, elle est devenue terre d’accueil et connaît grâce à l’immigration, une spectaculaire croissance démographique. À partir des années 1960, la neige et l’hiver, qui obligeaient les hommes à l’exode saisonnier, sont devenus des ressources essentielles, qui retiennent les gens au pays et attirent de nouveaux-venus.

L’émigration, lutte séculaire pour la survie, geste humaine passionnante, est une page désormais tournée. (fin de l’article)

 Pour lire l’article complet et découvrir de nombreux documents iconographiques, se reporter au numéro 10 de Vatusium : cliquez ici.


[1] énergie hydroélectrique

[2] lieu de collecte du lait et de fabrication de fromages

[3] femmes qui éclaircissent le feuillage des vignes pour améliorer l’ensoleillement du raisin

[4] ouvriers spécialisés dans le tissage de la soie

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