Culture, Histoire et Patrimoine de Passy

Pestalozzi : « L’avenir des nations est dans les écoles du peuple »

Written By: BT

Une citation d’Henri Pestalozzi * (1746-1827) orne le fronton de l’école des garçons de Chedde, à Passy :

« L’avenir des nations est dans les écoles du peuple ».

Une statue de Pestalozzi se trouve sur la place qui porte son nom à Yverdon-les-Bains, capitale du Nord-Vaudois, au sud du lac de Neuchâtel.

Une statue de Pestalozzi se trouve sur la place qui porte son nom à Yverdon-les-Bains, capitale du Nord-Vaudois, au sud du lac de Neuchâtel.

On retrouve cette phrase dans La Première année de lecture courante de Jean-Marie Guyau (p. 287, 1887) : « Né à Zurich, en Suisse, en 1746, Pestalozzi avait appris de sa mère à n’avoir qu’une pensée : se rendre utile à ses semblables, principalement à ceux qui souffrent. Voulant chercher des remèdes à la misère du peuple, il se livra d’abord à l’étude de la jurisprudence, dans l’espoir de découvrir quelque utile réforme des lois qui diminuât la misère. Il ne tarda pas à se convaincre que le véritable remède est moins de changer les lois que d’éclairer les esprits.
On aura beau faire des lois meilleures, dit-il, ce ne sera point assez ; l’avenir des nations est dans les écoles ; ce sont les écoles qu’il faut réformer.” »

* CHePP remercie le Guichet du savoir  de la Bibliothèque municipale de Lyon qui a confirmé nos hypothèses.

Fronton de l’école de garçons à Chedde construite en 1939 à Passy (cliché Bernard Théry, 2011)

Fronton de l’école de garçons à Chedde construite en 1939 à Passy (cliché Bernard Théry, 2011)

Cette phrase était également inscriteau fronton de l’école « Jules Ferry » de Batna en Algérie. (source blog)

Qui était Pestalozzi ?

Pédagogue éducateur et penseur suisse, pionnier de la pédagogie moderne, Johann Heinrich (Jean-Henri) Pestalozzi est connu pour avoir cherché à appliquer les principes de l’Emile de Rousseau.  Il a contribué à fonder la pédagogie moderne.

Statue de Pestalozzi dans un square de Zurich

Statue de Pestalozzi dans un square de Zurich

Aperçu de la « pédagogie » au XVIIIe siècle pour situer l’action de Pestalozzi…

« Les écoles populaires. — De grands efforts furent tentés au dix-huitième siècle, dans les pays catholiques comme dans les pays protestants d’Allemagne, pour développer l’instruction populaire. Marie-Thérèse et Frédéric II considérèrent l’instruction publique comme une affaire d’État. Des initiatives isolées s’ajoutaient à l’impulsion gouvernementale. En Prusse, un seigneur, Rochow (1734-1805), fondait des écoles de villages. En Autriche deux ecclésiastiques Felbiger (1724-1788), et Kindermann (1740-1801), contribuaient par leur activité pédagogique à la réforme des écoles.
Néanmoins les résultats étaient encore bien faibles, et l’école populaire, surtout l’école de village, restait dans un triste état.
« Presque partout, dit M. Dittes, on installait, en qualité d’instituteurs, des domestiques, des artisans corrompus, des soldats congédiés, des étudiants dégénérés, en général, des gens d’une moralité et d’une éducation douteuses. Leur revenu était mesquin, leur autorité petite. La fréquentation de l’école, généralement très irrégulière, était presque partout entièrement suspendue en été. Beaucoup de villages ne possédaient aucune école, et elle n’était presque nulle part fréquentée par tous les enfants. En maint pays, la plupart des enfants, surtout les filles, manquaient de toute instruction. Le peuple, spécialement le paysan, considérait l’école comme un fardeau ; le clergé s’en regardait toujours, il est vrai, comme le maître, mais, en somme, il faisait très peu pour elle et en arrêtait même le progrès. La noblesse était peu favorable, en général, à la culture d’esprit pour le peuple… L’enseignement restait mécanique, la discipline rudimentaire.

On rapporte qu’un maître d’école de la Souabe, mort en 1782, avait délivré pendant ses années d’enseignement 911 527 coups de bâton, 124 010 coups de fouet, 10 235 soufflets, 1 115 800 taloches. Au surplus, il avait fait agenouiller 777 fois des garçons sur la bûche triangulaire ; il avait fait porter 5 001 fois le bonnet d’âne et tenir 1 707 fois la baguette en l’air. Il avait fait usage de quelque chose comme 3 000 mots injurieux…» (site Encyclopédie de l’Agora pour un monde durable : biographie de Pestalozzi par Gabriel Compayré)

CHePP vous propose de  découvrir la vie et l’œuvre de Pestalozzi en plusieurs étapes, au choix : un bref aperçu, un résumé en une page, des extraits plus développés d’une biographie.

Une première idée de Pestalozzi (bref aperçu  tiré de Wikipedia  :

« Pestalozzi voue sa vie, en Suisse, à l’éducation des enfants pauvres. Les diverses écoles qu’il fonde — notamment à Stans, Berthoud et Yverdon-les-Bains — servent de modèles dans toute l’Europe. Ses méthodes d’éducation, concrètes et directes, fondées sur le développement progressif de toutes les facultés, sont exposées dans ses ouvrages, dont le roman humanitaire Léonard et Gertrude (1781-1787) et l’essai Comment Gertrude instruit ses enfants (1801).

De 1804 à 1824, Pestalozzi réside à Yverdon (Chef lieu du district du Jura-Nord Vaudois) où il fonde un institut pour les jeunes-gens mais également une école pour les jeunes-filles, une pour les sourds-muets et une pour les enfants pauvres. (…) Ses principes éducatifs sont :
– présenter l’aspect concret avant d’introduire les concepts abstraits ;
– commencer par l’environnement proche avant de s’occuper de ce qui est distant ;
– faire précéder d’exercices simples les exercices compliqués ;
– procéder graduellement et lentement.

Sa pédagogie reste ancrée dans les domaines agricole et professionnel et elle préconise l’enseignement mutuel. (…) »

Pestalozzi et sa femme entourés de leurs élèves

Pestalozzi et sa femme entourés de leurs élèves

Vie et œuvre de Pestalozzi  (résumé en une page tiré du site coe.int)  :

« Pédagogue et écrivain, influencé par les idées de Jean-Jacques Rousseau, Johann Heinrich PESTALOZZI voua sa vie à l’éducation des enfants pauvres. Les diverses écoles qu’il fonda ont servi de modèles dans toute l’Europe. Ses méthodes d’éducation, concrètes et directes, fondées sur le développement progressif de toutes les facultés, sont exposées dans ses ouvrages, dont le roman humanitaire Lienhard und Gertrud (Léonard et Gertrude) (1781-1787) et l’essai Wie Gertrud ihre Kinder lehrt (Comment Gertrude instruit ses enfants) (1801).

Né à Zurich le 12 janvier 1746, d’origine italienne, il est citoyen suisse. Choqué par la pauvreté, il décide en 1773 d’accueillir dans sa ferme des enfants, garçons et filles, qui mendient le long des chemins. Dans leurs moments libres ou tout en travaillant, ces enfants acquièrent un bagage intellectuel de base qui leur permettra de sortir de leur pauvreté. Chaque enfant est observé, respecté, encouragé dans ses qualités, son caractère, son ouverture d’esprit, sa bonne santé, ses forces physiques retrouvées, ses aptitudes pour le calcul, ses dons pour le dessin, ses dispositions pour le chant, etc.

Entre 1781 et 1787, Pestalozzi publie Lienhard und Gertrud. Il y expose surtout ses idées sociales et éducatives. Ses livres ont un très grand succès et sont traduits en plusieurs langues. En 1798, Philipp Albert Stapfer, Ministre des Arts et des Sciences de la nouvelle République helvétique, le persuade de se rendre à Stans pour diriger la « maison des pauvres » qui doit recueillir les enfants meurtris par la guerre. En 1799, une soixantaine d’enfants malades, blessés, affamés, y sont accueillis, soignés, nourris, logés, éduqués, instruits. Il n’y a ni horaires, ni programme, ni classe. Il y alterne apprentissage scolaire et manuel. Il écrit sa célèbre Lettre de Stans qui contient les prémices de son engagement éducatif. Persuadé alors que seule l’éducation permet à l’homme d’améliorer sa condition, Pestalozzi décide de devenir maître d’école. »

Une gravure permet à elle seule de comprendre bien des aspects de la méthode Pestalozzi :

1799 : Pestalozzi et les orphelins de Stans ; commentaire de cette gravure ci-dessous (site Meirieu).

1799 : Pestalozzi et les orphelins de Stans ; commentaire de cette gravure ci-dessous (site Meirieu).

Commentaire de cette gravure par Philippe Meirieu ( source : site de Philippe Meirieu ) :

« En automne 1798, le gouvernement helvétique envoie Heinrich Pestalozzi, un disciple de Rousseau qui a pour projet de « donner des mains à l’Émile », diriger un orphelinat à Stans, une bourgade de Suisse alémanique. L’armée française du Directoire vient de dévaster le canton de Nidwal. Les orphelins miséreux pullulent. Malgré sa sympathie politique pour la Révolution française et la République helvétique, Pestalozzi considère la situation comme humainement insupportable et accepte la mission qui lui est confiée. Là, il touche le fond de la misère et de la déchéance, trouvant des enfants « complètement farouches et habitués à la mendicité », « couverts de gale au point de pouvoir à peine marcher, le front ridé par la méfiance envers celui qui était allié des soldats qui avaient fait leur malheur ». Ils ne tiennent pas en place, vivent dans la violence de tous les instants, ne savent rien des « savoirs élémentaires », chers à Pestalozzi, et, de plus, n’accordent aucun crédit à leur « maître ».

Nul doute que, face à une telle situation, d’autres auraient choisi de déployer un temps et un espace disciplinaires pour recouvrir pudiquement d’un vernis scolaire la misère du monde. L’école est bien pratique pour cela : elle occupe les enfants plusieurs heures par jour et, même si elle les laisse aussi démunis qu’elle les a trouvés, au moins peut-elle donner à voir, entre-temps, de beaux rassemblements bien ordonnés qui rassurent efficacement ceux qu’inquiète le déferlement des barbares. Pestalozzi ne fera rien de tel. Il s’empressera, en revanche d’ouvrir un « institut » et d’y accueillir sans condition aucune tous les enfants de Stans. Là, il s’efforcera de répondre à leurs besoins matériels immédiats ainsi que de « mettre leur activité intellectuelleen éveil » : « Apprendre était pour eux une chose entièrement nouvelle et dèsque certains s’aperçurent qu’ils arrivaient à quelque chose, leur zèle devint alors infatigable. »

La clé, Pestalozzi nous la livre un peu plus loin dans la fameuse Lettre de Stans : « Deux des expériences que j’ai faites sont importantes [… ]. La première est qu’il est possible d’enseigner en même temps et de mener très loin un très grand nombre d’enfants, même d’âges très disparates. La seconde est que cette foule d’enfants peut être instruite en beaucoup de choses en même temps qu’ils travaillent. »

Le mythe tourne ici à la provocation. Mais, avant de le récuser, et pour soutenir notre imagination, observons quelques instants cette gravure d’époque.

Ici, le maître ne parle pas ; il montre à trois jeunes filles une planche d’architecture. Les jeunes filles, d’âges différents, réagissent chacune à leur manière ; un échange s’ébauche qui subvertit, en 1798, toutes les formes possibles de contrôle et de préjugés sociaux : des filles du peuple, debout dans une classe, travaillent sur des questions traditionnellement dévolues aux hommes et aux nantis ; qui plus est, elles ne se contentent pas de recevoir un enseignement mais interrogent et discutent ; c’est même la plus jeune qui, avec assurance, interpelle le maître. Ce dernier, tout en « enseignant », tient la main d’un enfant malade qu’un autre élève regarde attentivement et semble protéger : celui qui ne peut apprendre n’est pas exclu pour autant ; il reste présent, objet de tous les soins d’une collectivité qu’il aspire – son regard en témoigne – à rejoindre au plus tôt. Aux pieds de Pestalozzi, une jeune fille apprend à lire à deux autres enfants : le maître, pour un temps, a délégué son pouvoir à une de ses élèves ; de toute évidence, cette dernière accomplit sa tâche avec une ardeur qui force l’attention des plus jeunes et stimule leur curiosité. À côté d’elles, au-dessous de la fenêtre, un enfant dort ; il ne trouble pas la classe et ne sera ni puni ni sanctionné : son heure d’étudier viendra, pour autant que le maître soit là à son réveil. Un autre travaille seul, debout : il écrit ; et la détermination sereine qu’on peut lire sur son visage laisse supposer qu’il continuera bien après que la classe soit finie. De l’autre côté, un jeune garçon lit à ses camarades un ouvrage à haute voix ; trois élèves semblent à peu près attentifs, mais un autre s’étire pour marquer son ennui tandis qu’un cinquième se laisse attirer, par un garçon au regard sceptique, vers des activités sans doute plus attractives : apprendre n’est pas facile et les tentations de s’y soustraire sont nombreuses. Pestalozzi ne semble pas choqué : solide et paisible, il laisse faire. À quoi bon assujettir les corps quand, de toutes façons, les esprits vagabonderont ? Il vaut mieux garder son énergie pour saisir ou créer des occasions plus favorables. Sur le seuil, une mère attend avec un enfant dans les bras. À moins que ce ne soit une assistante de Pestalozzi. Mais elle ne fait pas la classe, elle accompagne et accueille, sans usurper la place du maître. Dehors, on se bat encore ; mais le jeu de règles, on le devine, supplante déjà la violence brute.

Le tableau est, certes, trop idyllique et – il faut bien en convenir – difficilement crédible. Mais il configure un espace, assigne des places, évoque des fonctions, ouvre des possibles qui laissent entrevoir ce que pourrait être une classe « où l’on travaille ». Trop édifiant sans aucun doute. Mais moins inquiétant que le mythe de la classe ordonnée, (…) plus proche, au demeurant, de l’école de Jules Ferry en ce qu’elle eut de meilleur – dans les classes uniques des écoles rurales, par exemple – quand l’instituteur parvenait à mettre au travail et à faire réussir en s’entraidant des élèves d’âges et de niveaux différents.

Et, pour que le mythe fondateur soit complet, il ne manque rien à Pestalozzi, pas même la bénédiction de la République qui, par un décret de l’Assemblée nationale du 26 août 1792, « considérantque les hommes qui, par leurs écrits et par leur courage ont servi la cause de la liberté et préparé l’affranchissement des peuples, ne peuvent être regardés comme étrangers par une nation que ses lumières et son courage ont rendue libre, déclare conférer le titre de citoyen français à Heinrich Pestalozzi ».
Extrait de Philippe Meirieu, Des enfants et des hommes, Littérature et pédagogie, Paris, ESF éditeur, 1999.

Suite du résumé :

« En 1800, il ouvre au château de Burgdorf un institut d’éducation et une section pour la formation des maîtres. Deux ans plus tard, l’institut compte 80 élèves de 5 à 18 ans. Il n’y a ni notes, ni sanctions, ni châtiments corporels, ni livret scolaire. La réputation de Pestalozzi se répand. Des familles viennent le voir et lui envoient leurs enfants. Ses ouvrages sont lus. De jeunes maîtres arrivent pour partager cette expérience nouvelle. Il met au point sa Méthode de l’écriture, de la lecture et du calcul. Les enfants progressent à leur rythme, la pédagogie est différenciée. L’institution devient un véritable centre de recherches pédagogiques. En 1801, il publie Wie Gertrud ihre Kinder lehrt et, en 1803, Buch der Mütter (le livre des mères). A Yverdon, dans son nouvel institut, il poursuit son œuvre d’éducateur. Il a un grand succès et reçoit de nombreuses visites et des stagiaires de l’étranger. Il y a 150 élèves, une trentaine de maîtres et une quarantaine de stagiaires, futurs enseignants. Il organise des séminaires pédagogiques. Le tzar Alexandre 1e` le soutient. En 1806, il ouvre un institut pour jeunes filles afin de former des institutrices et de futures bonnes mères. Il fonde également une école pour enfants sourds-­muets. Ce sera la première en Suisse. En 1818, il tente d’ouvrir une école pour enfants pauvres, filles et garçons. In 1826, il publie Schwanengesang (le chant du cygne). Johann Heinrich Pestalozzi meurt à Brugg en 1827, à l’âge de 81 ans.

Portrait de Pestalozzi , par F.G.A. Schöner

Portrait de Pestalozzi , par F.G.A. Schöner

Pestalozzi fait partie de ces « pédagogues du cœur » pour qui l’apprentissage de l’amour fait autant partie de l’éducation que la découverte des savoirs intellectuels. Par « la tête, le cœur, la main », l’enfant est pris en considération dans un tout où chacune des dimensions doit être prise en compte. La « Méthode Pestalozzi » s’organise autour de la notion centrale de « liberté dans l’autonomie » qui fait appel à ces trois éléments dans la recherche de la liberté et de l’autonomie de l’individu, le rôle de l’éducateur étant de veiller à ce que ces trois éléments restent équilibrés.

Souvent appelé « le père des pauvres » ou « l’éducateur du peuple », il était avant tout un penseur et un fervent partisan de l’action. C’était un praticien à la recherche d’une théorie applicable à sa pratique. Pour lui, le maître doit prendre comme point de départ le vécu des enfants et adapter son enseignement à la personnalité de chacun. Il étudie les manières d’apprendre plutôt que d’enseigner. L’enfant doit se servir des connaissances acquises et en faire profiter les autres, plus petits ou en difficulté, afin de les acquérir pleinement : on ne sait vraiment que ce que l’on sait expliquer.

Pestalozzi va consacrer sa vie à tenter de comprendre ce qu’est un enfant. Sa pédagogie part de l’enfant et de sa véritable nature. Pour lui, la pédagogie se doit d’être lente et attentive aux rythmes de l’enfant. Avancer trop vite épuise les enfants qui perdent alors tout goût de découvrir et d’apprendre. Le manuel est, quant à lui, vu comme un simple support. Ce qui importe, c’est la qualité de la relation pédagogique. Le savoir se construit de l’intérieur, à travers la relation humaine. Sa Méthode place l’enfant au centre de l’action éducative : elle fait de lui l’acteur de sa formation. Déjà admirée ou critiquée de son vivant, elle repose sur un principe très simple : le pédagogue doit aimer les enfants. Père de la pédagogie moderne, Pestalozzi a été à l’origine de nombreuses réformes de l’éducation au XIXe siècle. »

Pour en savoir plus, voici une biographie de Pestalozzi, par Gabriel Compayré (1843-1913). Ces morceaux choisis sont extraits du site Encyclopédie de l’Agora pour un monde durable.

« Pestalozzi (1746-1827). — En Suisse, la situation de l’instruction primaire n’était guère meilleure. Les instituteurs se recrutaient au hasard ; leur salaire était misérable ; ils n’avaient pas en général de logement à eux, et ils étaient obligés de se louer pour les travaux domestiques chez les habitants aisés des villages, afin d’y être nourris et logés. Un esprit mesquin de caste dominait encore l’instruction, et les pauvres restaient plongés dans l’ignorance.
C’est dans ce milieu mauvais et défavorable qu’apparut, vers la fin du dix-huitième siècle, le plus célèbre des pédagogues modernes ; un homme (…) a été grand entre tous par son amour inépuisable pour le peuple, par son ardeur de sacrifice, par son instinct pédagogique. Pendant les quatre-vingts ans que dura sa laborieuse existence, Pestalozzi n’a jamais cessé de travailler pour les enfants et de se dévouer à leur instruction.» (…)

Pestalozzi chez les enfants d’orphelin à Stans, par Konrad Grob

Pestalozzi chez les enfants d’orphelin à Stans, par Konrad Grob

Léonard et Gertrude. — « En 1781 Pestalozzi publia le premier volume de Léonard et Gertrude. (…) Ce livre, (…) est une sorte de roman populaire où l’auteur met en scène une famille d’ouvriers. Gertrude y représente les idées de Pestalozzi sur l’éducation des enfants. Les trois autres volumes (1783, 1785, 1787), racontent la régénération d’un village par le concours de la législation, de l’administration, de la religion et de l’école, de l’école surtout, » qui est le centre d’où tout doit partir. » (…)

Institut de Berthoud (1802). — Lorsque Pestalozzi publia Comment Gertrude, etc., et le Livre des mères, il n’était plus simplement maître d’école à Berthoud ; il avait pris la direction d’un institut, c’est-à-dire d’un internat d’enseignement primaire supérieur. Là aussi il appliqua la méthode naturelle « qui fait partir l’enfant de ses propres intuitions et le conduit peu à peu et par lui-même aux idées abstraites. » L’institut réussit. Les élèves de Berthoud se faisaient remarquer surtout par leur habileté en fait de dessin et de calcul mental. Les visiteurs étaient frappés de leur air de gaieté. Le chant, la gymnastique étaient en honneur, et aussi les exercices d’histoire naturelle, pratiqués en plein champ, pendant les promenades. Le régime intérieur était fait de douceur et de liberté. « Ce n’est pas une école que vous avez ici, disait un visiteur : c’est une famille ! »

Voyage à Paris. — C’est à cette époque que Pestalozzi fit le voyage de Paris, comme membre de la consulta appelée par Bonaparte pour régler le sort de la Suisse. Il espérait profiter de son séjour en France pour y répandre ses idées pédagogiques. Mais Bonaparte refusa de le voir, en disant qu’il avait autre chose à faire qu’à discuter des questions d’abc. Monge, le fondateur de l’École polytechnique, fut plus accueillant et écouta avec bienveillance les explications du pédagogue suisse : mais il conclut en disant : « C’est trop pour nous » Plus dédaigneux encore, Talleyrand avait dit : « C’est trop pour le peuple ! » (…)

Institut d’Yverdun (1805-1825). — En 1803, Pestalozzi dut quitter le château de Berthoud. Le gouvernement suisse lui donna en échange le couvent de Nünchenbuchsee : Pestalozzi y transféra son institut, mais pour peu de temps. Dès 1805, il s’établit à Yverdun, au bout du lac de Neutchâtel, dans la Suisse française ; et c’est là qu’avec l’aide de plusieurs collaborateurs il développa à nouveau ses méthodes, avec un succès brillant au début, puis à travers toute sorte de vicissitudes, de difficultés et de misères. » (…)

Succès de l’institut. — De nombreux visiteurs se rendaient à Yverdun, quelques-uns par simple flânerie. L’institut d’Yverdun faisait partie en quelque sorte des curiosités de la Suisse. On visitait Pestalozzi, comme on allait voir un lac ou un glacier. Aussitôt que l’arrivée d’un haut personnage était signalée, Pestalozzi appelait l’un de ses meilleurs maîtres, Ramsauer ou Schmid.

« Prends tes meilleurs élèves, lui disait-il, et viens montrer à ce prince ce que nous faisons. Il a de nombreux serfs ; lorsqu’il sera convaincu, il les fera instruire. » (…)

Pestalozzi et le calcul

Pestalozzi et le calcul

Méthodes d’Yverdun. — L’écrivain que nous venons de citer nous fournit des renseignements précieux sur les méthodes qui étaient en usage à Yverdun :

« L’enseignement s’adressait à l’intelligence plus qu’à la mémoire. Attachez-vous, disait à ses collaborateurs Pestalozzi, à développer l’enfant, et non à le dresser comme on dresse un chien. »

« La langue nous était enseignée à l’aide de l’intuition ; on nous apprenait à bien voir et par cela même à nous faire une juste idée du rapport des choses. Ce que nous avions bien conçu, nous n’avions pas de peine à l’exprimer clairement. »

« Les premiers éléments de la géographie nous étaient enseignés sur le terrain… Puis nous reproduisions en relief avec de l’argile le vallon dont nous venions de faire l’étude.»

« On nous faisait inventer la géométrie, en se contentant de nous marquer le but à atteindre et de nous mettre sur la voie. On procédait de la même manière en arithmétique. Nos calculs se faisaient de tête et de vive voix, sans le secours du papier…. » (…)
Principe essentiels. — Pestalozzi n’a jamais pris la peine de résumer les principes essentiels de sa pédagogie, Incapable de tout travail de réflexion abstraite, il emprunte à ses amis toutes les fois qu’il le peut, l’exposition raisonnée de ses propres méthodes. Dans sa première lettre à Gossner, il est tout heureux de reproduire les observations du philanthrope Fischer qui distinguait dans son système cinq propositions essentielles :

1° Donner à l’esprit une culture intensive, et non simplement extensive : former l’esprit et ne pas se contenter de le meubler ;

2° Rattacher l’enseignement tout entier à l’étude du langage ;

3° Fournir à l’esprit pour toutes ses opérations des données fondamentales, des idées mères ;

4° Simplifier le mécanisme de l’enseignement et de l’étude ;

5° Populariser la science.

Pestalozzi conteste bien sur quelques points la traduction que Fischer a donnée de sa pensée : mais, malgré ses réserves, impuissant à trouver une formule plus exacte, il accepte en définitive cette interprétation de sa doctrine.

Plus tard un autre témoin de la vie de Pestalozzi, Morf, a réduit aussi en quelques maximes la pédagogie du grand instituteur :

1° L’intuition est le fondement de l’instruction ;

2° Le langage doit être lié à l’intuition ;

3° Le temps d’apprendre n’est pas celui du jugement et de la critique ;

4° Dans chaque branche l’enseignement doit commencer par les éléments les plus simples, et continuer graduellement en suivant le développement de l’enfant, c’est-à-dire par des séries psychologiquement enchaînées ;

5° On doit insister assez longtemps sur chaque partie de l’enseignement pour que l’entent en acquière la complète possession ;

6° L’enseignement doit suivre l’ordre du développement naturel et non celui de l’exposition synthétique ;

7° L’individualité de l’enfant est sacrée ;

8° Le but principal de l’enseignement élémentaire n’est point de faire acquérir à l’enfant des connaissances et des talents : c’est de développer et d’accroître les forces de son intelligence ;

9° Au savoir il faut joindre le pouvoir ; aux connaissances théoriques l’habileté pratique ;

10° Les relations entre le maître et l’élève doivent être fondées sur l’amour ;

11° L’instruction proprement dite doit être subordonnée au but supérieur de l’éducation.

Chacun de ces aphorismes mériterait un long commentaire. Il suffit cependant de les étudier dans leur ensemble, pour se faire une idée à peu près exacte de cette pédagogie vraiment humaine qui s’appuie sur des principes psychologiques. (…)
Procédés pédagogiques. — La pédagogie de Pestalozzi vaut par les procédés, non moins que par les principes. Sans prétendre tout énumérer, nous indiquerons succinctement quelques-unes des pratiques scolaires qu’il a employées et recommandées :

L’enfant doit savoir parler avant d’apprendre à lire.

Pour la lecture, il faut se servir de lettres mobiles que l’on colle sur carton.

Avant d’écrire, il faut dessiner.

Les premiers exercices d’écriture doivent être faits sur l’ardoise.

Il faut dans l’étude du langage suivre l’évolution de la nature, étudier d’abord les noms, puis les qualificatifs, enfin les propositions.

Les éléments du calcul seront enseignés à l’aide d’objets matériels pris comme unités, ou tout au moins, de traits figurés sur un tableau.

Le calcul oral sera le plus employé.

L’élève doit, pour se faire une idée juste et précise des nombres, se les représenter toujours comme une collection de traits ou de choses concrètes, et non comme des chiffres abstraits.

Un petit tableau divisé en carrés dans lesquels sont figurés des points servent pour apprendre à additionner, à soustraire, à multiplier, à diviser.

Il n’y avait ni livre ni cahier dans les écoles de Berthoud.

Les enfants n’avaient rien à apprendre par cœur. Ils devaient répéter tous à la fois et en mesure les instructions du maître.

Chaque leçon ne durait qu’une heure et était suivie d’un petit intervalle, d’une courte récréation.

Le travail manuel, le cartonnage, la culture du jardin, la gymnastique étaient associés au travail de l’esprit. La dernière heure de la journée était consacrée au travail libre ; les élèves disaient : « On travaille pour soi. » Quelques heures par semaine étaient consacrées aux exercices militaires. (…)

Pestalozzi, gravure de Ludwig Bechstein, 1854

Pestalozzi, gravure de Ludwig Bechstein, 1854

Pestalozzi et Rousseau. — Pestalozzi a souvent avoué ce qu’il devait à Rousseau. « Mon esprit chimérique et peu pratique fut saisi, disait-il, par ce livre chimérique et impraticable. Le système de liberté fondé idéalement par Rousseau excita en moi une ardeur infinie vers une sphère d’activité plus grande et plus bienfaisante. »

La grande supériorité de Pestalozzi sur Rousseau, c’est qu’il a travaillé pour le peuple ; c’est qu’il a appliqué à un grand nombre d’enfants les principes que Rousseau ne mettait en œuvre que dans une éducation individuelle et privilégiée. Émile, après tout, est un aristocrate : il est riche et bien né ; il est comblé de tous les dons de la nature et de la fortune. Les élèves réels n’offrent pas en général à l’action des pédagogues une matière aussi docile, aussi complaisante. Pestalozzi n’a eu affaire qu’à des enfants du peuple, qui ont tout à apprendre à l’école parce qu’ils n’ont trouvé au foyer domestique, auprès de parents occupés ou inattentifs, ni excitations ni exemples, parce que leurs premières années n’ont été qu’un long sommeil intellectuel. Pour ces natures engourdies, bien des exercices sont nécessaires qui passeraient à bon droit pour des inutilités, sil s’agissait d’instruire des enfants d’une autre condition. Avant de condamner, avant de railler les minuties de Pestalozzi et des pédagogues de la même école, il faut considérer au service de qui ils mettaient ces procédés. Véritable organisateur de l’éducation de l’enfance et du peuple, Pestalozzi a droit aux applaudissements de tous ceux que préoccupe l’avenir des classes populaires. »  (site Encyclopédie de l’Agora pour un monde durable)

Pour en savoir plus sur le pédagogue suisse Johann Heinrich Pestalozzi, voir les sites suivants :

– site wikisource
– Site INRP Nouveau dictionnaire de pédagogie, dir. Ferdinand Buisson, 1911, article Pestalozzi
Site en langue anglaise avec de nombreuses illustration

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