Lire notre revue Vatusium n° 3, p. 28 : Bénédiction du coq par le père Gurret, lors de la restauration de la couverture de l’église St-Pierre de Passy.
Cinq coqs dans le patrimoine de Passy
Cette recherche, menée pour CHePP par Bernard Théry, fera l’objet d’un article développé dans un prochain Vatusium.
Pourquoi y a-t-il un coq sur les clochers de nos églises et de nos chapelles-écoles ?
La première idée qui vient à l’esprit, c’est celle du « coq gaulois », symbole du peuple français. Mais au XIXe siècle, des auteurs comme Monseigneur Augustin Crosnier (1)et M. l’abbé Barraud (2)ont affirmé l’origine religieuse de nos coqs. Alors, coq gaulois ou coq chrétien ?
La valeur symbolique du coq dans l’antiquité et les premiers temps du christianisme
Le coq dans l’antiquité
L’Antiquité avait fait du coq blanc un oiseau sacré, particulièrement dédié à Jupiter et à Mercure. « Cet oiseau solaire était pour les philosophes pythagoriciens ou platoniciens le symbole de la beauté, de la lumière et de l’immortalité de l’âme. » (3). « L’exactitude avec laquelle le coq marque les heures de la nuit, l’a fait aussi considérer comme l’emblème de l’activité et de la vigilance » (4)
Le coq dans la Bible
Dans l’Ancien Testament : « Le livre de Job loue l’œuvre du Seigneur « qui donna l’intelligence au coq » pour lui permettre de discerner les heures et d’annoncer l’arrivée du soleil. ». (5)
Dans le Nouveau testament : Le coq est associé à saint Pierre dans les Evangiles en raison de son reniement (6). Voir par exemple La Maesta de Duccio : le Christ outragé, 1308-1311. Sienne, musée de l’Œuvre du Dôme.
Le symbolisme du coq dans les premiers siècles de l’Eglise
L’image du coq, symbole de la vigilance, dans les catacombes chrétiennes
Le coq faisait partie des symboles chrétiens retrouvés dans les catacombes (7), sur les lampes ou sur les sarcophages, signe de lumière et d’espoir de résurrection (8).
L’image du coq dans les textes des Pères de l’Eglise et les écrivains chrétiens
Les premiers textes consacrés au symbolisme du coq par Prudence (348-v. 410) et saint Ambroise (v. 340-397) font de l’animal « le type de la vigilance qui lutte contre les tentations et les démons de la nuit. (9) Selon Prudence, poète latin chrétien, il est la figure du Christ ressuscité des morts et comme tel, il annoncera le Jugement dernier, la dernière aurore. (15)
Le coq, au Moyen-âge, symbole du prédicateur.
Du Ve siècle au XIIIe siècle, de saint Eucher, archevêque de Lyon, aux liturgistes du XIIIe de nombreux auteurs, dont saint Grégoire le Grand au VIe siècle, expliquent que le coq figure en ce monde les apôtres et leurs successeurs, les prédicateurs saints, qui ignorent les désirs charnels et veillent sur le peuple de Dieu.
Premiers témoignages de la présence d’un coq sur les clochers, en Europe
Les premiers coqs de clocher en Italie
Rome, au IXe siècle : « Le pape Léon IV (847-855) est plusieurs fois mentionné comme étant celui qui aurait autorisé la présence d’un coq sur le clocher de l’antique Basilique Saint-Pierre. » (10)
Brescia, en Lombardie, au IXe siècle, et ailleurs en Italie : Ughelli, dans son Italia sacra, nous apprend que, de son temps c’est-à-dire en 1670, on voyait encore à Brescia, un coq en bronze que l’évêque Rampert, fit fondre et placer au haut du clocher de sa cathédrale, et sur lequel était gravée cette inscription donnant la date de 820 (11). Voir aussi les Actes de l’Eglise de Milan et les règlements de saint Charles Borromée (1538-1584).
Les premiers coqs de clocher en Angleterre
Winchester, comté du Hampshire au sud de l’Angleterre : « Wolstan, moine de St-Swithun vivant au Xe siècle, décrit poétiquement dans sa Vie de Saint Switin le coq que l’évêque Elfège avait fait mettre au sommet de l’église de Winchester. (12) »
Londres : On peut également voir un coq sur la tapisserie de Bayeux qui, en 1066, illustre la conquête de l’Angleterre (Scène 26 de l’inhumation solennelle du roi Edouard dans la nouvelle abbatiale Saint-Pierre de Westminster).
Pour en savoir plus, voir le site montrant l’intégralité de la tapisserie de Bayeux.
Les premiers coqs de clocher en Suisse : « Eckerard, doyen de l’abbaye de St.-Gall, en Suisse, vers 1025, rapporte que deux voleurs étaient montés au sommet du clocher de l’église pour enlever le coq, croyant qu’il était d’or. » (13)
Les premiers coqs de clocher en France : Les témoignages de plusieurs auteurs confirment l’existence de coqs sur des clochers à Beauvais (fin XIe siècle), Coutances (fin XIe siècle), Châlons en Champagne, dans le Midi de la France : Mende (XIIIe siècle), en Lozère, à Toulouse, Gisors (538), Dijon (1386), Compiègne (1469)…
Mais pourquoi le choix du coq comme girouette sur les clochers ?
Plusieurs explications ont été données, et si aucune n’est définitive, une chose est sûre, cette coutume remonte très loin dans notre histoire occidentale et n’a rien à voir avec le coq gaulois (14) ! Il y a à cela au moins deux raisons.
La première est d’ordre historique : lors de la première apparition attestée d’un coq de clocher au IXe siècle, le « coq gaulois » n’était pas encore devenu l’emblème du peuple français.
La deuxième raison est d’ordre géographique et tient au fait que le coq des clochers n’est pas du tout, comme on l’a vu, une spécificité française…
Nos coqs des clochers relèvent donc de la symbolique chrétienne… mais ils ont, à Passy comme ailleurs, plusieurs significations qui ont pu évoluer à travers les âges.
Explications liées au thème du réveil
Le chant du coq, symbole d’appel destiné aux chrétiens et de prédication
Le coq des clochers est peut-être en lien avec les habitudes des premiers chrétiens qui se rassemblaient pour une prière matinale au « chant du coq », et ce jusqu’à l’apparition des cloches, vers le Vème siècle. On peut comprendre assez facilement que le coq, oiseau annonciateur du jour, appelle les âmes à la vie chrétienne. Cette explication a été donnée par Honorius d’Autun, vers 1120 (15), Saint Bonaventure (1221-1274) (16) ou Reinerus, religieux de l’ordre des Frères prêcheurs, auteur du XIIIe siècle (17).
Elle a surtout été développée par Guillaume Durand, évêque de Mende, mort en 1296 : « Les prédicateurs, enfin, comme le coq, se tournent contre le vent, quand, en s’élevant contre les rebelles et les reprenant, ils leur résistent fortement. » (18)
Le symbolisme du coq blanc à la Renaissance : la grâce de Dieu
« En Italie, on redécouvrait progressivement (à la fin du Moyen Age) les philosophes pythagoriciens et néoplatoniciens. Jean de San Giminiano explique vers 1450 que le coq désigne les prédicateurs saints : « Il est le témoin du Jugement dernier, mais le coq blanc a une valeur particulière. Il signifie la grâce de Dieu. » (19)
Explications liées au thème de la lumière et de la Résurrection
Le coq, symbole du Christ, du passage des ténèbres à la lumière et de la Résurrection
« Le coq a été choisi parce que, comme le Messie, il annonce, à tous, le passage des ténèbres à la lumière. » (19)
Peut-on parler aussi d’une dévotion au Christ, « soleil de justice », qui aurait été importée en Gaule par saint Patrick et les moines irlandais ? (20)
« N’est-ce pas à l’aube pascale que le miracle (de la résurrection) s’est accompli, c’est-à-dire au moment où retentit le chant du coq ? » (21).
Explications liées au thème de saint Pierre
Le coq, symbole du reniement de saint Pierre, du premier pape et… de la Contre-réforme
Le coq, témoin de la trahison de Pierre, serait placé sur les clochers pour rappeler à ceux qui lèveraient le regard, de faire l’impossible pour ne pas répéter l’erreur de saint Pierre. » (22)
Un vitrail de l’église N.D. de Toute-Grâce, au plateau d’Assy, à Passy, créé par Paul Bony en 1948, illustre tous les attributs de saint Pierre.
« Depuis le XVIe siècle, s’y est ajoutée une pointe antiprotestante car le coq aussi est l’attribut de saint Pierre, le premier pape de l’Eglise romaine. » (23) Notons que Passy se situe dans une région où le baroque, l’art de la contre-réforme, est particulièrement vivace.
Explications liées au thème de la girouette et de l’orientation
Le coq-girouette, face au vent et… aux péchés
« Le coq-girouettetoujours face au vent, est le Christ face aux péchés et aux dangers du monde et, par similitude, le chrétien face aux mêmes dangers et aux mêmes péchés. » (24)
Le coq-girouette, signe de la bonne orientation de l’église
« Le coq au sommet du clocher des églises est appelé « cochet ». Attesté depuis le début du VIe siècle par saint Eucher (25), son rôle est de désigner les églises « orientées », tournées vers l’orient, le soleil levant, l’Est. » (26)
A Passy, cette explication vaut pour les églises Saint-Pierre et Saint-Donat, mais pas pour les chapelles de Joux, Maffrey et de La Motte, orientées nord-sud…
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NOTES ET REFERENCES
(1) Mgr Augustin Crosnier, Dernier mot sur le coq superposé à la croix,le Bulletin monumental, revue de la Société française d’archéologie pour la conservation et la description des monuments historiques fondée en 1834, pp.577-596.
(2) M. l’abbé Barraud, séance du 19 octobre 1850, Bulletin des Comités historiques – Archéologie – Beaux Arts, « Recherches sur les coqs des églises » pages 268 à 277, 1885.
(3) Colette Beaune, article « Pour une préhistoire du coq gaulois »parudans la revue Médiévales, Année 1986, Volume 5, Numéro 10, p. 69.
(4) abbé Barraud, op. cit., p. 273.
(5) Job, XXXVIII, 36 (« Qui a mis dans l’ibis la sagesse, donné au coq l’intelligence ? », trad. Ecole biblique de Jérusalem), cité par Colette Beaune, op. cit., p 70.
(6) Matthieu, XXVI, 69-75. Luc, XXII, 6041. Jean, XVIII, 17 et 25-27.
(7) Voir les notes d’Antonio Bosio traduites par Paolo Aringhi en 1651 : Rome souterraine, très nouvelle, Roma subterranea novissima….
(8) Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, t. 3, p. 2886-2905, cité par Colette Beaune, op. cit., p. 70.
(9) PRUDENCE, P.L., t. 69, c. 775, évoqué par Colette Beaune, op. cit., p. 70.
(10) Information fournie par le Guichet du savoir, BM de Lyon qui précise cependant : « Nous n’avons pas pu trouver de sources l’attestant. »
(11) Ferdinand Ughelli, Italie sacra, t. IV, p. 535, editio anni 1719, cité par l’abbé Barraud, op. cit., p. 273 et par M. le comte de Leusse, Membre de l’Académie des Inscriptions et des Belles Lettres, 1945, lui-même cité par Emile Violet dans Les coqs et croix de clochers du Mâconnais, en 1936.
(12) M. le comte de Leusse, cité par d’Emile Violet op. cit.
(13) Dans son De casibus sancti Galli : « Ascendunt campanarium cujus cacuminis gallum aureum putantes, etc. », citation donnée par Mgr. Crosnier, op. cit. p. 591.
(14) Pour en savoir plus, lire l’article de Colette Beaune, op. cit., pp. 76 sq. Sur les avatars du coq gaulois, voir aussi l’ouvrage de Michel Pastoureau « Les emblèmes de la France », éd. Bonneton, 1998, bien résumé sur ce site.
(15) Honorius August. De gemma animae, lib. I. p. 145, cité par Mgr. Crosnier, op. cit. p. 591, Colette Beaune, op. cit., p 74, et M. le comte de Leusse, cité pard’Emile Violet, op. cit.
(16) Saint Bonaventure cité par Mgr. Crosnier, op. cit. p. 591.
(17) Reinerus, Lib. Contra Valdenses, cap. V, in Magna Bibliotheca veterum patrum, a Margarino de la Bigne collecta, t. XIII, p. 301, col.I. A., cité par Colette Beaune, op. cit., p 74 et par Daniel Couturier, L’Esprit de la girouette, éditions Cheminements, 2006.
(18) G. Durand, Rational ou Manuel des divins Offices, Lib. I, cap. 1, n° 22 ; t.v I, p. 7 édit. an. 1574, cité par l’abbé Barraud, p. 275, par M. le comte de Leusse, cité par d’Emile Violet, op. cit. et par Daniel Couturier, op. cit.
(19) Jean de San Giminiano, Liber de exemplis, Bâle, 1499, s.p., 1. IV, cité par Colette Beaune, op. cit., p 77-78.
(19) Site Petite histoire des girouettes
(20) Site bachy
(21) chanoine R. Gaudin, Le coq des clochers, article paru en 1956 dans Mémoires de la Société Archéologique et Historique de la Charente.
(22) Sites : monthureux ; girouette artisanale.
(23) Fernand Roulier, Un art retrouvé, tome 1, p 47, note 62.
(24) R. Gaudin, op. cit.
(25) Saint-Hilaire (de), Paul, Le coq, Oxus, Paris, 2007, p. 38.
(26) site Dictionnaire des symboles
CHePP remercie le Guichet du savoir de la Bibliothèque municipale de Lyon qui nous a fourni de très intéressantes pistes de lecture pour notre recherche.