Références :
Lire notre revue Vatusium n° 4, p. 18-19 (pour lire un extrait, cliquez ici) ; Vatusium n° 12, p. 9 (photos : vues extérieures et toile du retable).
Voir aussi :
– Pierre Dupraz, Traditions et évolution de Passy, p. 155-156 (les écoles).
– Fernand Roulier, Un art retrouvé, églises et chapelles baroques du diocèse d’Annecy, Tome 2 : Le Faucigny, 2002, page 108.
Description du retable (tirée de Un art retrouvé, page 108)
L’autel et son couronnement en 2011 (cliché Bernard Théry)
« L’autel en piètrement (imitation de la pierre) et son retable en bois, qui imite le marbre, ont été probablement construits au début du XIXe siècle, mais ils conservent quelques réminiscences de la tradition baroque, surtout dans le couronnement avec son dais orné d’un Sacré-Cœur, qui émerge d’une nuée rayonnante et dans les deux pots à feu de l’entablement. » (Un art retrouvé, p. 108)
« L’étage principal est occupé par une grande peinture sur toile, placée entre deux paires de colonnes lisses avec chapiteaux corinthiens, et deux chutes de feuillages dorés. »
« Cette peinture représente, en avant d’un large paysage, Le Christ en croix entouré de saint Pierre*, qui présente les clés, de saint Roch, habillé en pèlerin, tenant son bâton et montrant les bubons de la peste sur sa cuisse. Plus bas, la Vierge implore son fils auprès d’une visitandine (sainte Jeanne de Chantal ? **) qui enserre le pied de la croix, d’un évêque (qui ne ressemble pas à saint François de Sales ***) et, derrière lui, de saint Jean l’évangéliste **** et saint Sébastien percé de flèches. Des anges recueillent le sang du Christ. (…) » (Un art retrouvé, p. 108)
* inscription : S.PETRUS ; noter aussi la tiare pontificale portée par un ange : « Coiffure circulaire, composée de trois couronnes, que portait le pape dans certaines circonstances solennelles. Elle avait au cours des siècles revêtu le caractère d’un signe de l’autorité suprême du pape, les pouvoirs temporels eux-mêmes étant soumis au pouvoir spirituel. Puis elle est devenue emblème du Saint Siège et figure dans les armoiries pontificales en même temps que les clefs de Saint Pierre. Le pape Paul VI a supprimé le port de la tiare. » (source site de l’Eglise catholique ) Pour en savoir plus sur l’histoire de la tiare papale et ses diverses interprétations, voir aussi Wikipedia (Note CHePP).
** Ou plutôt sainte Brigitte, ce que confirme l’inscription BRIGITA apparue lors de la restauration (note CHePP).
*** Cet évêque est peut-être saint Grat ou saint Guérin (Vatusium n° 4, p. 18).
**** inscription : S.IOANI
« Des motifs dorés, qui représentent, à droite, les insignes pontificaux (tiare et crosse à trois barres) et, à gauche, les insignes épiscopaux (mitre et crosse) complètent la décoration. » (Un art retrouvé, page 108, d’après une étude de Madame Élisabeth Dandel, conservateur déléguée des Antiquités et objets d’art du département de la Haute-Savoie).
Le personnage placé à droite de la croix, sur un nuage est sainte Agathe (son nom est peint sur le nuage qui la porte). Elle mourut sur un brasier au IIIe siècle.
« Ordinairement représentée avec ses seins coupés sur un plateau, elle est ici avec un bâton enflammé et un voile, symboles de protection contre les incendies ; (…) sa spécialité de protectrice contre l’incendie lui vient du fait que son voile aurait protégé la ville de Catane d’un incendie causé par l’éruption de l’Etna.» (Lire la suite dans Vatusium n° 4, p. 18).
La chapelle que les habitants de Joux avaient construite de leurs mains avait été détruite par le feu en 1664 ; en se plaçant sous la protection de cette sainte, ils espéraient conjurer ce mauvais sort.
Au pied de la croix, on aperçoit, à gauche un petit personnage sur un sentier et des bâtiments, à l’arrière plan. Ce décor n’évoque pas la montagne.
La restauration de la toile du retable et ses « découvertes »
La toile a été inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1997.
En 2005, la municipalité de Passy l’a fait restaurer, car elle était en mauvais état. Cette restauration a été effectuée par Isabelle Rollet.
Lors de la dépose, on s’est rendu compte que la partie supérieure du tableau avait été repliée derrière le cadre : sur les photos prises avant la restauration (Vatusium n° 4, p.18), on ne voit ni le haut de la croix, ni Dieu le Père représenté sur un nuage à gauche, ni la colombe représentant le Saint-Esprit.
On peut d’ailleurs se demander si cette toile n’est pas une œuvre (dont on ne connaît pas l’auteur) qui n’avait pas été conçue pour la chapelle de Joux mais qui a été réemployée pour ce retable de Passy dans lequel… il a fallu la faire entrer !
Peut-être même certains personnages ont-ils pu être ajoutés à la toile d’origine pour illustrer les saints protecteurs de Joux… On a l’impression que plusieurs artistes sont intervenus.
La restauratrice a rétabli l’œuvre dans son état d’origine. Mais ce faisant, la toile agrandie ne rentre plus dans le cadre en bois du retable. Il faudra trouver une solution pour reconstituer l’ensemble.
Actuellement, la toile restaurée est présentée sur un chevalet dans la chapelle de Bay, en attendant de retrouver la chapelle de Joux.
Notre association Culture, Histoire et Patrimoine de Passy s’associe avec l’Amicale de Joux et la mairie de Passy pour mener à son terme cette restauration.
La chapelle de Joux, une protection contre le fléau de la peste ?
On notera que « saint Roch et saint Sébastien sont invoqués contre la peste. Les flèches peuvent représenter les atteintes de la peste dont la cible est l’Homme. » (Vatusium n° 4, p. 19)
Saint Roch, patron des pèlerins (voir la coquille Saint-Jacques sur son manteau), soigna les pestiférés en Italie au XIVe siècle, avant d’être atteint lui-même. La toile montre un ange soignant le bubon qui infecte sa jambe ; les représentations de ce saint sont souvent accompagnées d’un chien qui, selon la légende, lui apportait chaque un pain dans son ermitage ; ce n’est pas le cas ici.
Une épidémie de peste a-t-elle décimé ou bien épargné ce village ? Il est sûr en tout cas que la peste a ravagé la Savoie aux XVIe et XVIIe siècles… (Voir notre page ).
La date de 1617 gravée sur le bassin de pierre aux Julliards « correspond précisément à la fin d’une des épidémies de peste qui ont frappé la Savoie. » (Vatusium n° 12, p. 31).
Albert Mermoud précise dans Mémoire du Mt-Blanc d’antan : « De fortes épidémies de peste font des ravages dans la population ; leur point culminant est atteint en 1629-1630 » (p. 223)
Il ajoute : « Les occupations étrangères n’étaient pas les seules responsables de la misère. Depuis deux siècles, sévissaient la peste, les mauvaises récoltes dues aux conditions climatiques, le manque d’argent, le manque d’esprit d’initiatives de ceux qui en possédaient peu ou prou (…).
La peste a peut-être joué le rôle le plus néfaste sur l’état économique et social de la Savoie. La “contagion”, comme on disait alors, – car il ne s’agissait pas toujours de la véritable peste – sévissait à l’état endémique, avec des fulgurances meurtrières, aux XVIe et XVIIe siècles, sans atteindre, semble-t-il, les pertes énormes du XIVe, où même les hautes vallées perdirent 50 % de leur population. La lutte contre le fléau était limitée : interdiction de circuler, isolement des contagieux dans des cabanes hors de la cité, désinfection des maisons contaminées, usages des aromates et des parfums pour purifier l’air et se protéger des miasmes.
La peste va provoquer les grandes peurs paniques et les excès qui en découlent toujours. Les plus sages y verront un fléau envoyé par Dieu pour châtier les péchés des hommes qui ne peut être vaincue que par le secours du Ciel, par la prière, les offrandes, les fondations de chapelles… Mais d’autres y verront une manifestation diabolique, à laquelle Satan et les sorciers ne sont pas étrangers. Alors, malheur à tout suspect, vagabond, ou tout simplement à tout individu dont le comportement n’était pas conforme à l’ordinaire : arrêté, torturé, il risquait fort de finir sur le bûcher. » (p. 227).
On comprend que dans un tel contexte les habitants de Joux aient placé leur chapelle sous la protection auprès de ces deux saints qui pouvaient, selon le dogme catholique, intercéder en leur faveur auprès du Christ et de Dieu.
Des anges recueillent le sang qui coule, abondamment, des blessures du Christ. Les traces de sang sont réparties sur l’ensemble du corps de Jésus, y compris sur les jambes, ce qui est inhabituel. On peut observer également les plaies sanguinolentes de saint Sébastien, à droite, et le bubon de saint Roch, à gauche. Ce phénomène d’écho dans la composition triangulaire de la toile semble souligner que le Christ et ses saints partagent les souffrances des hommes.
Sur saint Sébastien, voir à LANSLEVILLARD, la chapelle Saint-Sébastien, Val Cenis Lanslebourg (Haute Maurienne). « Construite au Moyen-âge, d’allure modeste à l’extérieur, cette chapelle est entièrement décorée à l’intérieur de peintures murales (fin du XV° siècle). Comme une bande dessinée, la peinture murale raconte la vie du Christ et celle de saint Sébastien, invoqué contre la peste. Un décor remarquable par son excellent état de conservation et par la fraîcheur de ses couleurs. La chapelle, construite de 1446 à 1518, doit ses peintures murales à un donateur rescapé de la peste. Elles représentent, en 17 tableaux, la vie de Saint Sébastien et en 36, celle du Christ et constituent une œuvre étonnante. » Une des fresques représente un médecin qui perce le bubon d’une pestiférée. (voir le site )
Il est quand même curieux de constater que Dieu le Père et le Saint-Esprit aient été… escamotés lorsque la toile a été enchâssée dans le cadre du retable !
La foi populaire aurait retourné comme un gant l’adage selon lequel « il vaut mieux s’adresser au Bon Dieu qu’à ses saints »… !
Pour en savoir plus sur saint Roch, saint Sébastien, saint Jean et sainte Agathe, lire notre revue Vatusium n° 4, pages 18 et 19.
Autres pages sur les chapelles de Passy.
A découvrir également…
– La chapelle-école de Joux.
– La chapelle de Bay et son retable.
– La peste aux XVIe et XVIIe siècles
– Le village de JOUX, le LAVOUET et les SOUDANS, hier et aujourd’hui