Lire notre revue Vatusium n° 17, p. 53 : « Entrée de la vallée de Chamouni. Grand spectacle qu’elle présente ».
De « l’Enfer » des torrents au « Paradis terrestre »…
La Rochefoucauld : « Après avoir grimpé les Montées, nous nous trouvâmes dans la vallée de Chamouny, vallée qui nous parut la Terre promise, tant nous souhaitions d’y arriver. Ce fut alors que nous vîmes d’un peu plus près les Glacières que nous avions déjà aperçues de Salenches et de Servoz. Nous vîmes le 1er août la glace qui descendait jusqu’au fond de la vallée, tandis que le soleil nous rôtissait les épaules.
Au haut des Montées nous reprîmes nos chevaux ; et, après avoir fait deux mortelles lieues, par un chemin dont le fond est de roc inégal et en traversant à gué plusieurs Nans qui descendent des Glacières, nous arrivâmes à Chamouny. L’honnête prieur de ce lieu nous engagea à aller loger chez lui, ce que nous acceptâmes avec grande joie, espérant y être mieux qu’au cabaret (1) ; il nous reçut fort bien et nous donna trois chambres dans chacune desquelles était une paillasse sur un bois de lit.
Nous reçûmes à notre arrivée la visite d’une partie des paysans de Chamouny qui briguèrent l’honneur de nous conduire le lendemain pour voir la glace ; nous en choisîmes six à qui nous donnâmes l’ordre, et nous fixâmes le départ à 4 heures du matin. (…) » (La Rochefoucauld, Relation inédite du voyage aux Glacières de Savoye en 1762)
1. « Saussure a dit également que lors de sa première visite dans la vallée, en 1760, il ne trouva aucun hôtel passable. La question du premier hôtel à Chamonix a été traitée avec de grands développements par M. Coolidge dans son ouvrage : Swiss Travel and Swiss Guide Books, Londres, 1889, et par M. Ch. Durier dans un article bibliographique sur ce même ouvrage. (Bulletin du C.A.F., 1890, p. 43) S’il nous était permis de donner notre avis, nous pensons que Mme Couteran, la veuve du notaire de Chamonix, avant d’établir une véritable auberge ou un hôtel, a commencé par louer des chambres aux voyageurs qui ne voulaient pas coucher au cabaret, alors peu confortable, ou qui n’avaient pas trouvé asile au prieuré. »
Pour compléter les extraits publiés dans Vatusium n° 17, voici les paragraphes de Saussure et Bourrit dans leur intégralité :
Saussure : « En sortant de ce défilé étroit et sauvage, on tourne à gauche et l’on entre dans la vallée de Chamouni, dont l’aspect est au contraire infiniment doux et riant. Le fond de la vallée en forme de berceau est couvert de prairies, au milieu desquelles passe le chemin bordé de petites palissades. On découvre successivement les différents glaciers qui descendent dans cette vallée. On ne voit d’abord que celui de Taconay, qui est presque suspendu sur la pente rapide d’une petite ravine dont il occupe le fond. Mais bientôt les yeux se fixent sur celui des Buissons, qu’on voit descendre du haut des sommités voisines du Mont-Blanc : ses glaces d’une blancheur éblouissante, dressées en forme de hautes pyramides, sont un effet étonnant au milieu des forêts de sapins qu’elles traversent et qu’elles surpassent ; on voit enfin de loin le grand glacier des Bois, qui en descendant se recourbe contre la vallée de Chamouni ; on distingue ses murs de glace qui dominent des rocs jaunes, taillés à pic.
Ces glaciers majestueux, séparés par de grandes forêts, couronnés par des rocs de granit d’une hauteur étonnante, qui sont taillés en forme de grands obélisques et entremêlés de neiges et de glaces, présentent un des plus grands et des plus singuliers spectacles qu’il soit possible d’imaginer. L’air pur et frais qu’on respire, si différent de l’air étouffé de vallées de Sallenche et de Servoz, la belle culture de la vallée, les jolis hameaux que l’on rencontre à chaque pas, donnent par un beau jour l’idée d’un monde nouveau, d’une espèce de Paradis terrestre, renfermé par une divinité bienfaisante dans l’enceinte de ces montagnes. La route partout belle et facile, permet de se livrer à la délicieuse rêverie et aux idées douces, variées et nouvelles qui se présentent en foule à l’esprit.
Quelquefois de grands éclats, semblables à des coups de tonnerre, et suivis comme eux de longs roulements, interrompent cette rêverie, causent une espèce d’effroi quand on ignore leur cause, et montrent quand on la connaît, combien est grande la masse des glaçons dont la chute produit un si terrible fracas.
La grandeur des objets trompe sur les distances ; en entrant dans la vallée, on croit qu’en moins de demi-heure on arrivera à l’autre extrémité ; et cependant on met deux heures à aller jusqu’au Prieuré, qui n’est pas même à la moitié de la longueur de la vallée. » (Saussure, Voyages dans les Alpes, 1779-1786, § 510)
Bourrit, éditions de 1773 et 1785 : « Ce qui frappe d’abord les yeux, c’est l’aspect des amas de glace qui descendent des vallées supérieures jusques dans la plaine. On voit ensuite quelques monceaux de maisons de bois éparses çà et là ; les églises, les chapelles et les maisons des curés sont presque les seules qui soient bâties de pierres ; elles se font remarquer de loin par leur blancheur. Le chemin est étroit, bordé d’une espèce de palissade faite de pieux fichés en terre et entrelacés par des branches de sapin. Ces sortes de haies sont meilleures que les nôtres pour garantir les champs des bestiaux, et les possesseurs n’ont à craindre que de telles incursions. Les habitants étaient alors occupés dans leurs jardins et leurs prairies, et complétaient agréablement le tableau. » (Marc-Théodore Bourrit, Description des glacières de Savoye, 1773)
« On ne saurait exprimer le plaisir qu’on ressent lorsque parvenu au sommet du chemin, l’on découvre une partie de la vallée de Chamouni, et des magnifiques montagnes qui la dominent ; l’aspect en est théâtral ; l’imagination la plus fertile, le pinceau le plus brillant, le plus hardi ne sauraient donner qu’un faible image ; tout y paraît neuf. (…)
Mais ce qui frappe le plus, c’est l’aspect des amas ou lits de glaces qui, du haut des sommets descendent dans le bas, et viennent mêler leurs prolongements, leurs débris étranges, aux riches productions de la vallée ; le plus apparent de ces amas, représente les ruines d’une ville : l’on y voit des tours, des pyramides, des obélisques, les uns sur pied, les autres inclinés : la partie la plus magnifique de cette représentation, est encore dans l’éclat éblouissant, la blancheur et la transparence de ces objets, quand le soleil y darde ses rayons ; ces pyramides, ces tours paraissent alors du plus pur albâtre, et la plus belle porcelaine le cède aux couleurs azurées, qui se mêlent au vif éclat du soleil. (…)
L’on est au pied des plus hautes montagnes de l’Europe : leurs bases sont de beaux pâturages, puis des bois qui s’élèvent à huit ou neuf cent toises [1560 à 1750 m]. Là, commencent des rochers taillés à pic, qui se terminent en pointes ou aiguilles, à la hauteur de deux mille toises [3900 m env.]; leurs hachures, leurs fractures les rendent inaccessibles ; dans leur ensemble, ils forment une lisière admirablement bien découpée ; vues séparément, ce sont autant de pyramides et d’obélisques de l’aspect le plus imposant et le plus majestueux ; le pourpre, une teinte de feu les colorent. Le Mont-Blanc, dont on ne voit que quelques saillies, domine ces masses, l’œil, qui vient de suivre les vastes prairies, les bois coupés par des glaciers qui descendent des monts, suit encore l’éclatante blancheur des sommets de cette montagne, qui se mêlent à l’azur des cieux. Le fond de la vallée, cultivée autant qu’elle peut l’être, est entrecoupé par de jolis bois ; des torrents, des ruisseaux y circulent, et des vallons qui se terminent à l’Arve, présentent des aspects charmants. » (Marc-Théodore Bourrit, Nouvelle description des glacières et glaciers de Savoye…, 1785)
Pont sur l’Arve : passage sur la rive droite
Saussure : « Une demi-heure avant d’arriver au prieuré, on quitte la rive gauche de l’Arve, que l’on a toujours suivie depuis le Pont Pélissier, et l’on traverse cette rivière sur un pont de bois.
On s’approche alors des rochers qui bordent la vallée sur la rive droite de l’Arve ; on voit sortir du pied de ces rochers de belles sources, semblables à celles que nous avons vues entre Cluse et Sallenche, et qui sont aussi vraisemblablement l’écoulement d’un Lac situé sur le haut de la montagne. Celui que les gens du pays croient être le réservoir de ces fontaines est derrière la plus haute sommité du Mont Brévent ; il n’a aucune issue apparente, et reçoit cependant les eaux d’une assez grande surface de rochers. » (Saussure, Voyages dans les Alpes, 1779-1786, § 516)
Bourrit : « Après deux heures de marche, nous traversâmes encore l’Arve, nous nous assîmes près d’un ruisseau qui s’y jette ; là nous entendîmes un grand bruit dans les montagnes, nous le crûmes l’effet du tonnerre ; le temps cependant était serein. Nous jugeâmes que l’orage encore derrière les montagnes ne tarderait pas à nous accueillir ; mais nous étions dans l’erreur ; nous apprîmes que c’était le bruit des chutes de neige qui se détachent des glacières et roulent quelquefois jusques au bas des vallées.
Enfin nous arrivâmes sur le soir au Prieuré, village le plus considérable de la vallée. Les fréquents voyages que les curiosités de ces lieux font entreprendre, avoient fait souhaiter qu’il y eut une retraite logeable, c’est ce qu’une veuve honnête et prévenante a entrepris depuis quelques années ; nous y fûmes très bien.
La vallée de Chamouni a environ six à sept lieues de long, et n’en a qu’un quart dans sa plus grande largeur ; en quelques endroits elle n’a pas quatre cent pas ; l’Arve la traverse dans sa longueur ; elle est habitée par plus de quinze cent personnes. » (Marc-Théodore Bourrit, Description des glacières de Savoye, 1773)
Découvrez le n° 17 de Vatusium : La traversée de Passy
Voir aussi nos pages :
– Histoire des lettres de W. Windham et P. Martel relatant leurs voyages à Chamonix (1741 et 1742) par Théophile DUFOUR
– La lettre de William Windham en 1741
– La lettre de Pierre Martel en 1742
– La traversée des Houches au XVIIIe siècle
– Nant et glacier des Buissons [Bossons] au XVIIIe siècle
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