Lire notre revue Vatusium n° 17, p. 22-23, « Les cultures au XVIIIe siècle ».
Quand et comment la pomme de terre a-t-elle été introduite dans la haute vallée de l’Arve ?
Au début du XIXe siècle, le peintre Samuel Birmann constate que l’on cultive la pomme de terre dans la vallée de Chamonix :
« À Chamonix les pommiers et les pruniers végètent avec peine. En revanche, c’est la patrie des sapins et des mélèzes, d’une quantité de beaux bouleaux, et de superbes bois d’aunes qui bordent les ruisseaux et les torrents. Le fond de la vallée forme une assez jolie plaine dont la moitié à peu près est consacrée à produire du fourrage ; le reste est occupé par des plantations de pommes de terre, de lin d’une excellente qualité, et de chanvre, et par des champs d’orge, de seigle et d’avoine. Le miel de la vallée est très estimé. » (Samuel Birmann, 1793 – 1847, Souvenirs de la Vallée de Chamonix, 1826).
Les pommes de terre entrent dans l’alimentation humaine de certains Savoyards dès le début du XVIIIe siècle :
Dans La vie quotidienne en Savoie aux XVIIe et XVIIIe siècles, les historiens Jean et Renée Nicolas apportent en effet les précisions suivantes :
« Apparues dès le début du XVIIIème siècle, les tartufles, ou pommes de terre sont accueillies avec réticence et lentes à s’imposer, elles qui mettront pourtant le petit peuple à l’abri des famines. C’est d’abord une curiosité, réservée aux jardins, et mets de riches qui les essaient les premiers : les visitandines de Thonon mettent les tartufles à leur menu dès 1725, Mme de Warens, aux Charmettes, en fait servir à ses domestiques en 1737, l’avocat Garbillon, d’Annecy, en note l’achat régulier sur son livre de ménage en 1742-1743. Les agronomes, médecins et curés vantent ses mérites et vertus nutritives, et ils en distribuent la semence aux paysans qui la font passer aux champs, massivement, dans la seconde moitié du siècle. » (Hachette, 1979, p.183)
Selon Stéphen d’Arve, Saussure aurait introduit la pomme de terre à Chamonix en 1778. Dans son Histoire du Mont-Blanc, il raconte en effet :
« Suivant une opinion accréditée à Chamonix, la vallée est redevable à M. de Saussure de l’introduction de la pomme de terre, utilisée déjà dans quelques provinces du Midi, pour les bestiaux surtout ; mais repoussée en général comme élément de l’alimentation humaine par d’invincibles préjugés. On s’imaginait que ce genre de nourriture pouvait donner la lèpre et des médecins avaient soutenu qu’il engendrait la fièvre. Une étude plus attentive de ce tubercule avait été déterminée en 1771 par l’Académie de Besançon qui proposait pour sujet du prix annuel l’indication de substances alimentaires nouvelles qui pourraient atténuer les effets d’une disette. M. de Saussure se préoccupait déjà beaucoup des qualités de la pomme de terre ; car ce serait à son voyage de 1778, huit ans avant les expériences de Parmentier, que cinq échantillons du précieux tubercule auraient été donnés à madame Couteran par l’illustre Genevois.
Il paraît constant que de ces cinq pommes sont issues les abondantes récoltes que produit cette culture dans la vallée : trésors inappréciables pour nos montagnards qui ne peuvent espérer de leur climat rigoureux une suffisante moisson de froment ni de seigle. On se demande à quelles ressources culinaires étaient réduits les ancêtres des Chamoniards avant l’importation de ce légume dans une des deux plus hautes vallées de la Savoie. » (p. 24-25)
François-Henri Métral, dans un manuscrit de 1912, Passy avant 1800 jusqu’à 1900, situait, lui, l’introduction de la pomme de terre à Passy au début du XIXe siècle :
« Vers 1800, la pomme de terre n’était guère connue et ne se cultivait que dans les champs près des bois où elle était peu rémunératrice et, trente ans plus tard, on la semait dans les bonnes terres après en avoir connu la valeur tant pour l’alimentation des hommes que pour le bétail. »
Mais dans la Revue régionale d’ethnologie, qui a publié ce texte en 1976, A. Bourgeaux conteste cette date :
« Avons-nous affaire ici à un de ces nombreux décalages chronologiques auxquels nous a habitué l’étude des sociétés rurales ? 1800-1830 semble, en effet, une période quelque peu tardive pour la diffusion de la solanée à Passy, village situé entre des communes de la basse vallée de l’Arve – qui en connaissaient déjà la culture extensive dès avant l’invasion française de 1792 (J. Nicolas, op. cit.) – et une paroisse de la haute vallée comme Vallorcine, où l’on a des traces d’une bonne accoutumance au tubercule dès 1730 (G. Levy-Pinard, La vie quotidienne à Vallorcine au XVIIIe siècle, Annecy, 1974). Nous pencherions plutôt, au vu d’autres erreurs chronologiques d’H. Métral (né en 1836, ne l’oublions pas), pour un simple « décalage mémoriel » (« Revue régionale d’ethnologie », 3ème et 4ème trimestres, « Le monde alpin et rhodanien », pages 137 à 144, avec une introduction critique de A. Bourgeaux, sous le titre Mœurs et coutumes de Passy (Haute-Savoie) au XIXe siècle.)
1725 ? 1730 ? La culture de la pomme de terre semble avoir été introduite en Savoie bien avant son utilisation dans le royaume de France… Mais d’où vient-elle ?
De la Cordillère des Andes à l’Europe
« L’histoire des pommes de terre a commencé il y a environ 8000 ans sur les hauts plateaux de la Cordillère des Andes, où elles poussaient à l’état sauvage. Les Incas, qui les appelaient « papas », les ont cultivées dès le XIIIe siècle.
La pomme de terre a ensuite traversé l’Atlantique vers 1570, avec les conquistadores espagnols de retour des Amériques.
Introduite d’abord en Espagne sous le nom de “patata”, elle se diffuse timidement vers l’Italie et les Etats pontificaux qui la prénomment “taratouffli” (petite truffe), puis vers le sud de la France et l’Allemagne. C’est à Saint-Alban d’Ay, en Ardèche, que la plante produisant les tubercules de pommes de terre, aujourd’hui encore appelés « Truffoles » (du patois « las Trifòlas ») aurait été cultivée pour la première fois en Europe, vers 1540.
Elle fait une seconde entrée en Europe au milieu du XVIe siècle, cette fois-ci par l’Angleterre où l’a ramené l’aventurier Raleigh. Et c’est d’Angleterre qu’elle partira coloniser l’Amérique du Nord.
Elle est introduite en France dès le début du 16ème siècle, au sud par Olivier de Serres, sous le nom de « cartoufle » et par l’est, par Charles de l’Escluze.
Si elle s’implante assez rapidement dans la plupart des pays d’Europe, grâce, si l’on peut dire à la guerre de Trente Ans qui les ravage à partir de 1618, elle est longtemps boudée en France, et réservée à l’alimentation des animaux.
Surprenante de diversité
Dès son arrivée en Europe, la pomme de terre surprend par la diversité de ses formes et de ses couleurs. Les variétés rouges sont les premières à entrer par l’Espagne, tandis que les jaunes arrivent par l’Angleterre. Les botanistes travaillent à leur amélioration et leur nombre se multiplie rapidement. Parmentier en cite une quarantaine en 1777 et en 1846, un premier catalogue en recense 177. (…)
Pendant longtemps, les pommes de terre n’ont été mangées que bouillies ou rôties. La première recette connue est allemande et date pourtant de 1581 : c’est à peu près celle des röstis actuels et plusieurs modes de préparation plus savoureux sont cités à Liège au cours du 17ème siècle. En 1865, le « Grand dictionnaire de cuisine » d’Alexandre Dumas donne 15 recettes de pommes de terre. (…) » (site cnipt-pommesdeterre )
Le rôle d’Antoine Parmentier en France au XVIIIe siècle :
« Ces gourmands de Français persistent à la réserver… aux cochons. Il faut dire que l’on a longtemps cherché à en faire du pain -nourriture de base de cette époque – sans grand succès puisque que la pomme de terre ne contient pas de gluten. Il manquait à la patate une bonne recette, mais surtout un bon coup de publicité, que le désormais fameux pharmacien Parmentier lui donna enfin. » (site marmiton )
« C’est surtout Antoine Parmentier (1737-1813), qui va devenir en France le porte drapeau de la culture de la pomme de terre comme moyen de parer aux famines répétitives qui sévissent dans le pays et qui va œuvrer à la rendre populaire auprès d’une population parfois réticente face à ce tubercule mal considéré. On lui a prêté notamment la faculté de transmettre la lèpre. Capturé par les Prussiens pendant la guerre de Sept Ans et libéré en 1766, c’est au cours de sa captivité en Westphalie qu’il avait découvert les vertus nutritives de la pomme de terre, principale nourriture donnée alors aux prisonniers par leurs geôliers. En 1773, dans Examen chymique des pommes de terre il écrit : « Nos soldats ont considérablement mangé de pommes de terre dans la dernière guerre ; ils en ont même fait excès, sans avoir été incommodés ; elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n’en fus ni fatigué, ni indisposé».
À la suite des famines survenues en France en 1769 et 1770, l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté lance en 1771 un concours sur le thème suivant : « Indiquez les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette à ceux que l’on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation. » Le 24 août 1772, le mémoire de Parmentier remporte le premier prix, devant ceux d’autres concurrents également consacrés à la pomme de terre, preuve que l’usage de ce tubercule était à l’ordre du jour.
Dès lors (1772), la Faculté de médecine de Paris déclare la pomme de terre sans danger.
Parmentier va aussi promouvoir la pomme de terre en organisant des dîners où seront conviés des hôtes prestigieux, tels Benjamin Franklin ou Lavoisier assistant le 29 octobre 1778 devant les fours de la boulangerie de l’hôtel des Invalides à l’enfournement du pain à base de farine de pommes de terre. Le 1er novembre, tous les invités se retrouvent à la table du gouverneur des Invalides pour tester le pain et une vingtaine de plats. Bien que le résultat gustatif se révèle médiocre, le Journal de Paris relate l’événement comme « la découverte la plus importante du siècle. (…)
En 1775, Voltaire à qui Parmentier avait fait parvenir deux de ses mémoires lui écrit: « A Ferney, 1er avril 1775,
J’ai reçu, Monsieur, les deux excellents mémoires que vous avez bien voulu m’envoyer, l’un sur les pommes de terre, désiré du gouvernement; et l’autre sur les végétaux nourrissants, couronné par l’académie de Besançon. Si j’ai tardé un peu à vous remercier, c’est que je ne mangerai plus de pommes de terre dont j’ai fait du pain très savoureux, mêlé avec moitié de farine de froment, et dont j’ai fait manger à mes agriculteurs dans les temps de disette avec le plus grand succès. Mes quatre-vingt et un ans surchargés de maladies, ne me permettent pas d’être bien exact à répondre, je n’en suis pas moins sensible à votre mérite, à l’utilité de vos recherches, et au plaisirs que vous m’avez fait.
J’ai l’honneur d’être avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Voltaire, gentilhomme ordinaire de la Chambre du Roi. » (E.-H. G., d’après le Dr P. Lemay , in Courrier médical, 29 août 1937)
Le 31 mai 1785, alors que la sécheresse ravage bon nombre de régions françaises, le roi Louis XVI ordonne de publier une « Instruction sur les moyens de suppléer à la disette des fourrages, et d’augmenter la subsistance des bestiaux ».
Il y est mentionné que « les pommes de terre et les diverses espèces de choux et de navets, forment une excellente nourriture pour le bétail, et surtout pour les vaches, auxquelles elles procurent un lait abondant et de bonne qualité ».
Selon la légende, Parmentier réussit alors sans difficulté à obtenir l’appui du roi et de plusieurs des ses conseillers pour inciter la population à consommer des pommes de terre en employant en 1786 un stratagème resté célèbre : de jour il fait monter une garde autour des cultures de pommes de terre qu’il a mis en place près de Paris sur des terres mises à la disposition de l’Académie d’Agriculture par le roi dans les plaines des Sablons et de Grenelle, donnant ainsi l’impression aux riverains qu’il s’agit d’une culture rare et chère, destinée au seul usage des nobles. La garde est levée la nuit, ce qui incite la population à voler des tubercules, contribuant ainsi à leur diffusion dans le Bassin parisien. Le roi Louis XVI, qui n’hésita pas à en porter les fleurs à la boutonnière, le félicitera en ces termes : « La France vous remerciera un jour d’avoir inventé le pain des pauvres ».
Parmentier a en fait permis, par ses talents de publiciste et la reconnaissance royale avec son expérience de culture de la pomme de terre, de se défaire de cette image d’aliment de pauvre et d’introduire la consommation de ce tubercule chez les élites, faisant de la pomme de terre le « légume de la cabane et du château ». (Wikipedia art. Antoine Parmentier )
Pour en savoir plus sur l’histoire de la pomme de terre …
Lapomme de terre à Passy au XIXe siècle
Paul Soudan écrit : « Les cultures principales sont, au XIXe siècle, le blé, qu’on appelle froment, sur 300 hectares, la pomme de terre sur 80 ; 500 hectares de pré-vergers pour le fourrage d’hiver. Le blé assure les 2/3 de la consommation locale de pain et les issues, son et repasse jointes aux pommes de terre excédentaires et aux betteraves fourragères – 12 hectares – complètent l’alimentation du bétail. » (Histoire de Passy, p. 87)
Pierre Dupraz évoque les pommes de terre de Passy :
« La culture des pommes de terre est généralisée depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, et il n’est aucun agriculteur qui n’ait son carré de “tartifles” (1) pour nourrir sa famille avec les plus belles et engraisser les animaux avec les autres. Notamment le porc familial qui bénéficie chaque jour de son plat de résistance : la “pérollà” (2) C’est un mélange de pommes de terre, de betteraves et de feuilles de ces dernières en automne, allongé de son et d’un peu d’eau, le tout cuit convenablement. La saveur de la viande du porc était à ce prix !
1. Nom patois des pommes de terre, de tartuffo : truffe en italien.
2. Du nom franco-provençal du récipient pérolle, terme toutefois remplacé par « bron » dans le Haut-Faucigny, en diminutif de « bronzin ».
La pomme de terre, d’abord curiosité culinaire, fut rapidement le légume par excellence de la cuisine populaire. Aussi, n’est-il pas étonnant que ce tubercule ait supplanté la farine de blé dans certains plats savoyards. » (Traditions et évolution de Passy, Pierre Dupraz, p. 47)
« Auparavant, le pain était la base de la nourriture des petites gens, il était fait en quantité suffisante dans le four de chaque ferme pour les quinze jours suivants, si bien que le précieux mets était bientôt rassis. Mais, parce qu’il était chargé de la symbolique chrétienne, il ne serait venu à l’idée de personne de le jeter. Il était alors accommodé mouillé, avec du lard et des pruneaux… » (C’était en quelque sorte l’ancêtre du « farcement »)
En effet, « il est probable que le remplacement du pain par la pomme de terre râpée est à l’origine du farcement, plat des jours importants de l’économie agricole du début de ce siècle dans le Haut-Faucigny (labours, foires ou battage du blé…). » (Traditions et évolution de Passy, Pierre Dupraz, p. 47)
Des « tartufles » ou « tartifles » à la « tartiflette »
« Hiver et froidure, ski et sport d’hiver riment souvent avec raclette, fondue et tartiflette. Mais ce plat savoyard est-il si traditionnel qu’il en a l’air ?
Il était une fois la “pela”
En Haute-Savoie, on prépare depuis longtemps la pela des Aravis, à base de pommes de terre, oignons et reblochon. Ce plat paysan et rustique se prépare dans une poêle à manche très long que l’on nomme péla (la pelle). Fait avec des restes de fromage, il est également surnommé « fricassée de reblochon ».
La tartiflette, une invention récente
C’est le Syndicat Interprofessionnel du Reblochon qui remit au goût du jour cette recette dans les années 80 en lançant la tartiflette pour favoriser les ventes du reblochon, comme le confirme d’ailleurs Christian Millau dans son Dictionnaire amoureux de la gastronomie.
Elle tire son nom de tartiflâ, la pomme de terre en savoyard. Directement inspirée par la pela, elle comporte en plus des lardons et du vin blanc, et se réalise au four. Elle remporta immédiatement un grand succès dans les stations de sport d’hiver avant d’être adoptée partout en Savoie… et dans toute la France. » (sources : wikipedia et site produits laitiers La petite histoire de la tartiflette )
Les Savoyards n’ont entendu parler de la tartiflette que lorsqu’elle est arrivée sur les menus des restaurants dans les stations de sports d’hiver, véhiculant une image de convivialité, d’authenticité et de terroir de la montagne. Aujourd’hui, les Savoyards se la sont appropriée et ont multiplié les variantes.
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