Lire le récit d’A. Fée dans notre revue Vatusium n° 16, p. 69 à 72, article “Comment peut-on être crétin ?”
Le botaniste français Antoine Fée a rédigé dans Promenades dans la Suisse occidentale et le Valais le récit d’un voyage accompli en 1835, à Chamonix.
Pour lire l’intégralité du passage consacré à Passy, voir les pages 110 à 128 ; l’épisode de la cascade de Chedde et de la rencontre avec un « crétin » est raconté aux pages 121 à 126.
Un fac-similé de ce livre est disponible dans un Livre numérique gratuit. Voir ci-dessous une transcription faite par CHePP ; l’orthographe de l’époque a été conservée.
Antoine Fée, sa femme et leurs compagnons de voyage ont rencontré près de la cascade de Chedde une « pauvre femme était horriblement goitrée » (lire le récit dans Vatusium n° 16, p. 69).
Il continue (p. 122 à 124) en précisant : « Presque toutes celles que nous avions vues dans la vallée avaient la même infirmité. Quoique fort âgée, celle-ci avait une grande agilité, et nous devançait toujours. Bientôt nous arrivâmes dans une prairie terminée par un fossé, que nous traversâmes sur une large planche qu’on y avait jetée. Nous grimpâmes ensuite un monticule élevé, pour gagner un belvédère, d’où l’on voit très bien la cascade ; le chemin était partout soigneusement entretenu, aucune pierre ne pouvait y blesser les pieds délicats d’une dame, il ne lui manquait que d’être sablé ; nous arrivâmes enfin sur la petite esplanade, un banc s’y trouvait ; nous nous y assîmes un instant. La cascade de Chède n’est pas aussi imposante dans ses effets que celle du Bonnant, mais le paysage y est plus gracieux : les arbres qui recouvrent la partie supérieure des rochers, et ceux qui descendent dans la ravine, ont un feuillage moins sombre, et un port plus varié. Ce sont des chênes des aulnes et des hêtres. Nous descendîmes de notre observatoire pour voir de plus près la cascade. Ma femme, suspendue à mon bras, et aidée de nos compagnons de voyage, se plaça sur une roche en saillie, et put admirer les eaux bruyantes qui tombent, se brisent, et se renouvellent sans cesse. Nous voulûmes boire de cette eau chargée d’air, et, comme par hasard, un des jeunes enfans qui nous avaient suivis se trouva avoir dans sa poche un verre de cristal, il courut le rincer, et revint avec le limpide breuvage. Les rochers sont partout couverts de touffes de silene rupestris ; plusieurs jolis saxifrages, et deux pinguicula tapissent leurs parois humides. Nous allions quitter ce charmant paysage pour regagner notre voiture, lorsque les jeunes enfans nous entourèrent. « Messieurs, dit l’un d’eux, c’est moi qui ai mis la planche sur le fossé. – C’est moi qui soigne la route, dit un autre. – Ce banc m’appartient, dit un troisième ; quant au quatrième, il nous montrait d’un air important son joli verre de cristal, et ce geste avait aussi son éloquence ; tous eurent part à nos largesses, et presque aussitôt ils disparurent en sautant de joie, nous abandonnant aux soins de notre respectable vieille, qui nous conduisit à travers des vignes et des vergers plantés à mi-côte, et chargés de fruits, à la route, où nous trouvâmes notre attelage.
Nous montons en voiture, et en peu d’instants nous gagnons le lac de Chède ; c’est un petit réservoir d’eau, remarquable par une extrême limpidité ; il est entouré d’arbres qui se réfléchissent dans le cristal de son onde ; nous y fîmes une courte station. »
Le narrateur décrit alors « un crétin, pauvre enfant difforme et privé de la parole » (lire Vatusium p. 69).
Antoine Fée termine l’épisode par quelques réflexions et la description du « Pont-aux-Chèvres » (p. 125 à 127) :
« Les goitres et le crétinisme, voilà donc les infirmités dont la nature fait payer à l’homme sa station au milieu des merveilles alpines. Là tout lui est hostile : les montagnes s’écroulent et ensevelissent sous leurs immenses débris des villages entiers ; les rochers détachés des hautes cimes roulent dans la plaine en brisant tout sur leur passage; les torrens débordés entraînent les récoltes. Huit mois de neiges, avec leurs avalanches, un soleil sans chaleur, qui ne mûrit pas toujours les céréales, des neiges succédant aux pluies, des pluies succédant aux neiges, voilà l’année ; des communications difficiles et souvent impossibles, une lutte continuelle contre le froid et les autans, voilà la vie sociale. Si, comme le disent des livres révérés, tout a été créé pour l’homme, les Alpes n’élèvent leurs sommets, et ne se hérissent de glaces que pour donner naissance aux grands fleuves, mais elles ne peuvent prêter aux êtres animés qu’acte demeure temporaire. L’organisation physique de l’homme semble le repousser des montagnes, La disposition de sa colonne vertébrale, et la conformation de ses pieds, ne lui permettent de se transporter sur les lieux élevés qu’avec une grande lenteur, et par une suite d’efforts contre nature, qui se révèlent par l’accélération du pouls et la difficulté de la respiration. L’homme est un être destiné à vivre dans les plaines, le long des fleuves, et sur les bords de la mer ; l’amour de la liberté et la haine de l’oppression lui ont seuls fait envahir des lieux pour lesquels il n’a point été créé : les montagnes sont pour lui des lieux de refuge, et non des demeures.
Dans la route que nous suivons, les objets diffèrent à chaque pas ; mais peut-on espérer de trouver des expressions qui rendent d’une manière toujours variée les sensations toujours diverses qu’on éprouve ? Nous nous élevons considérablement au-dessus de l’Arve, qui coule au fond d’un précipice affreux. Bientôt nous traversons cette rivière sur un pont jadis étroit et peu solide, auquel le nom de Pont-aux-Chèvres était convenablement appliqué, mais qui, aujourd’hui réédifié en pierre, peut braver le poids des voitures les plus lourdes. Au moment où nous allions le franchir, nous vîmes un paysan nonchalamment couché dans sa charrette, laissant aller à son gré, dans cette route dangereuse, un cheval assez vif qui trottait tranquillement à mi-côte, au-dessus du précipice, sans que le conducteur parût s’en inquiéter le moins du monde. Nous eûmes un mouvement de frayeur, qu’il nous fut irnpossible de réprimer ; le paysan s’en aperçut et se mit à sourire. Notre guide nous montra des hauteurs de Passy, l’emplacement où, naguère encore, on voyait une haute montagne qui s’écroula en 1751, avec un fracas horrible. »
Pour en savoir plus sur Antoine Fée, voir notre page qui lui est consacrée au chapitre des voyageurs célèbres de Passy.
Voir nos autres pages sur…
– La lutte contre le crétinisme et les goitres
– Définition et répartition du crétinisme en France et en Europe
– A la recherche des causes du crétinisme
– Plutôt le goitre que l’uniforme
Autres pages sur le patrimoine hospitalier de Passy