Voir notre revue Vatusium n° 1, p. 7 et n° 1 bis, p. 11-12 ; Vatusium n° 13, p. 38 (photo de « mur romain » à l’Arlioz) ;
Voir aussi : Pierre Dupraz, Passy hier et aujourd’hui, p. 13-14 ; Albert Mermoud, Mémoire du Mt-Blanc d’antan, p. 63 et 67-68 ; Paul Soudan, Historique de l’usine de Chedde, p. 19 ; Paul Soudan, Histoire de Passy, p. 20 ; Pierre Dupraz, Traditions et évolution de Passy, p. 55a ; M. Hudry et al. , Découvrir l’histoire de Savoie, p. 26, 50.
Voir aussi le site de la Mairie de Passy : cliquez ici.
En 1852, des promeneurs découvrent, au-dessus des hameaux de Montfort et de Vaudagne, entre les sommets du Prarion (1967 m) et de la Tête Noire (1741 m) une dalle de pierre gravée d’une inscription latine. Elle est posée dans le mur de clôture d’un champ, dans un vallon boisé, à fond marécageux, le col de la Forclaz. C’est un point de passage entre les vallées de Montjoie et de Chamonix. (…) C’est la seule inscription des Alpes du Nord sur une limite entre des ethnies celtiques et romanisées.
Le notaire Jacques-Adrien Bonnefoy, de Sallanches, homme très érudit, va, le premier accourir sur les lieux et copier soigneusement l’inscription. La voici reconstituée par E. L. Borrel, suivant la description du chanoine Ducis, qui avait, lui aussi, fait sa propre enquête, après le notaire. (…) Elle fut transportée aux Plagnes, où l’on peut toujours la voir, dans une niche de granite, exposée à l’injure du temps sur le bord de la route de Saint-Gervais, près du Panorama. (Mémoires du Mont-Blanc d’antan, d’Albert Mermoud, pages 67-68). L’hôtel “Panorama ” est situé après le panneau “LES PLAGNES commune de Passy” en montant vers St-Gervais.
Une copie exacte de la borne romaine a été réalisée en 1999, dans une pierre de schiste prélevée au Pontet près de la Forclaz et donc issue du même lieu ; elle est disposée devant l’église des Plagnes. (Vatusium n° 1bis, p. 11)
Texte latin gravé sur la borne :
EX AUCTORIT(ATE)
IMP(ERATORIS) CAES(ARIS) VESPASIAN(I)
AUG(USTI), PONTIFICIS MAX(IMI)
TRIB(UNITIA) POTEST(ATE) V, CO(N) S(ULIS) V,
DESIG(NATI) VI P(ATRIS) P(ATRIAE)
CN(AEUS) PINARIUS CORNEL(IUS)
CLEMENS, LEG(ATUS) EIUS PROPR(AETORE)
EXERCITUS GERMANICI
SUPERIORIS, INTER
VIENNENSES ET CEUTRONAS
TERMINAVIT
Traduction : « De par l’autorité / de l’Empereur César Vespasien / Auguste, Grand Pontife, / dans sa cinquième puissance tribunicienne, et cinquième fois consul, / désigné pour un sixième consulat, / Cnaeus Pinarius Cornelius / Clemens, son légat, propréteur / de l’armée de Germanie Supérieure, entre / les Viennois et les Ceutrons / a fixé la limite » (nouvelle traduction, Albert Mermoud, page 66)
La lecture et la traduction ne posent pas de problème, jusqu’à la dixième ligne. Là, Me Bonnefoy lit Viimnenses. Le chanoine Ducis y voit Viennenses. La pierre schisteuse a en effet été écaillée à ce mot, et la lecture est délicate. Dès lors, la polémique va s’engager.
La version du chanoine présente l’énorme avantage de satisfaire la logique, puisque les Viennenses, ex-Allobroges, appartenaient à la nouvelle province administrative de la Viennoise. Sachant que Passy, localité voisine au pied des deux vallées avait été Allobrogique, puis gallo-romaine de façon incontestable, donc appartenant aux Viennenses, la lecture s’imposait d’elle-même, et l’abbé Ducis s’en pénétra d’emblée. Pourquoi aurait-il fallu retenir ce nom que l’on ne connaissait pas de Viimnenses ? Cette remarque a dû toucher l’esprit du notaire Bonnefoy, et pourtant il lisait, contre toute facilité, Viimnenses, et il maintiendra sa version. Compte-tenu de la grande réputation du chanoine-archiviste Ducis, c’est sa thèse qui va prévaloir. (Mémoires du Mont-Blanc d’antan, d’Albert Mermoud, pages 67-68)
Comment peut-on dater la pose de cette borne ?
A Rome, les magistratures ne duraient qu’un an et on désignait les années par les noms des deux consuls en charge : l’année du consulat de Untel et de Untel. A partir des indications données sur la borne, on peut donc déduire de quelle année il s’agit .. ou à peu près.
73 ou 74 après J.C. ?
« L’inscription donne l’Empereur Vespasien revêtu pour la cinquième fois de la puissance tribunitienne … Comme il le fut pour la première en 69, la seconde en 70, la cinquième fois est donc en 73. Mais on lit plus loin et « désigné pour la sixième »…, ce qui pourrait indiquer qu’on soit à cheval sur deux années, et donc peut-être en 74. » (Vatusium 1bis, p. 12, note de Pierre Dupraz).
Pourquoi cette borne frontière ?
(…) Les échanges entre les peuples de la Savoie, du Valais et du Val d’Aoste antiques furent sûrement considérables, l’acheminement des denrées impliquait une certaine paix entre les peuples. Ce sont les Romains qui l’imposèrent définitivement. Au-dessus de Monaco, le majestueux trophée de la Turbie indiquait aux passants la puissance de Rome et nommait les peuples soumis par les Romains. Parmi eux, de l’orient à l’occident, les Véragres (Valais), les Salasses (Val d’Aoste), mais à la lecture, point de Ceutrons… le peuple qui vient ensuite est celui des Acitavones cette dénomination leur est probablement destinée. Les Ceutrons, ont été mis sous l’autorité de Rome en 25, 15 ou 7 (selon les auteurs) avant Jésus-Christ. Celtes anciens ou ligures, certainement refoulés vers les hauteurs par les Allobroges, ils n’ont été en paix avec eux qu’en l’an 74 de notre ère. Il semble que la frontière ait été l’objet de querelles incessantes puisqu’un détachement de l’armée de Germanie inférieure a jugé indispensable de placer au Col de la Forclaz une borne frontière très explicite. Les Romains confirmant la conquête des Gures par les Allobroges (selon Ducis). Cela expliquerait qu’au cours des âges la paroisse de Passy calquée pour ses limites sur les possessions Allobroges, confirmée dans le haut Moyen-âge ait inclus la montagne de Tête Noire y compris les Gures. Et que, malgré les bouleversements historiques de deux millénaires, ces limites se soient maintenues jusqu’à ce jour. (Vatusium n° 1bis, p. 12, extrait de l’article de Pierre Dupraz, “Des chemins et des hommes”)
Voici la thèse de P. Guichonnet. Les indications des titres de l’Empereur, permettent de dater très précisément l’inscription. Elle remonte à 74 après J.-C., dans la dixième et dernière année du règne de Vespasien. Elle a été posée par Cnaeus Pinarius Clemens, un magistrat de l’armée d’occupation des Champs Décumates, ce glacis défensif contre les barbares s’étendant, sur la rive droite du Rhin, du nord de l’Helvétie à Mayence. Ce haut fonctionnaire étendait son contrôle à l’ensemble des voies desservant son terrain d’opération et il était directement intéressé à l’entretien du Grand-Saint-Bernard, point majeur de franchissement des Alpes et à ses accès. Cette indication de Denis Van Berchem, le grand connaisseur des routes et des cols à l’époque romaine, montre que le légat de Vespasien entendait assurer la sécurité de ses communications, non pas entre les Ceutrons et les Allobroges viennois, à l’ouest de son axe de communication entre l’Italie et la Germanie, car leur contrée était trop excentrée, mais à l’est, entre le pays des Ceutrons et la vallée de Martigny. La haute Arve étant une variante du Petit-Saint-Bernard, unissant la haute Isère au Val-d’Aoste et au Valais. Rappelons que Rome était à ce moment-là en pleine période d’expansion de son Empire vers la Germanie et la Grande-Bretagne et devait impérativement ouvrir et maîtriser tous les passages alpins pour ses soldats et ses administrateurs, pour assurer les communications les plus rapides. (Mémoires du Mont-Blanc d’antan, d’Albert Mermoud, page 68).
Pour en savoir plus sur cette pierre, et sur toute la période gauloise et romaine de Passy, lire
– le livre d’Albert Mermoud, Mémoires du Mont-Blanc d’antan pages 60 à 83 : cliquez ici.
– le livre de Pierre Dupraz, Passy hier et aujourd’hui, pages 11 à 15 : cliquez ici.