Lire notre revue Vatusium n° 18, 2015 « Les Passerands dans la Grande Guerre », 1ère partie : 1914 et 1915.
Cette quatrième page BONUS complète notre article « Alsace et Lorraine en 1915 » publié dans Vatusium n ° 18, pages 42-43.
En 1915, de nombreux Passerands se battent dans les VOSGES (au nord, régions de St-Dié, Lunéville ; au sud, sommets des Hautes-Vosges), et en ALSACE (voir notre page « Les Passerands et les combats d’Alsace en 1915 »). Lire l’introduction sur notre page “Les soldats de Passy en LORRAINE et ALSACE durant l’année 1915“.
Nous présentons le détail de ces différentes batailles est présenté dans les pages suivantes :
– Les Passerands du 133e R.I à St-Dié-des-Vosges début 1915
– Les Passerands des 11e et 51e BCAP au Reichackerkopf et au Sattelkopf en février-mars 1915
– Les Passerands des 11e et 13e BCAP à l’Hartmannswillerkopf en 1915
– Les Passerands du 11e BCA à Soultzeren en février 1915
– Les Passerands des 11e et 22e BCA à Metzeral en juin 1915
– Les Passerands des 11e, 22e, 114e BCA au Barrenkopf en juillet 1915
– Les Passerands des 11e, 14e, 114e BCA au Linge en juillet-août 1915
“Un nouveau Sidi Brahim : les chasseurs de l’Hilsenfirst”,
dessin de José Simont publié dans le journal L’Illustration N° 3778 le 31 juillet 1915 :
Introduction : Voir notre page « Les Passerands du 133e R.I à St-Dié-des-Vosges début 1915 ».
Les Passerands des 11e d’Annecy (nombreux soldats) et 13e BCAP de Chambéry (quelques-uns) vont combattre sur les pentes de l’Hilsenfirst et à Metzeral en 1915. Ce sont les chasseurs du 13e BCA qui vont libérer ceux du 7e BCA, assiégés : ils avaient repoussé les assauts allemands… à coups de rochers !
À l’époque, ce fait d’armes a fait grand bruit. Il a suscité des dessins héroïques dans L’Illustration et Le Miroir, la presse populaire d’alors (voir ci-dessous). Il eut même droit à des bouts de colonnes dans des journaux américains et australiens. « Audacieux exploit français » ont titré, en juillet 1915, des journaux de la région de Melbourne !
Vu son intérêt, nous relatons l’action des différents bataillons de chasseurs alpins qui ont vécu ces événements, grâce en particulier au remarquable récit du capitaine Manhès.
Quelques Passerands ont servi au 13e BCA pendant l’année 1915 :
– Buttoudin Alexandre, classe 1903, classé d’abord services auxiliaires, puis service armé en novembre 1914 ; parti aux armées le 11 avril 1915 au 13e Btn de chasseurs à pied de Chambéry, évacué le 8 juillet 1915.
– Falquet Joseph Héribert, classe 1909, incorporé au 13e Bataillon de Chasseurs à pied le 14 novembre 1914 jusqu’au 4 mai 1915 (lire encadré dans Vatusium n° 18, p. 59).
Ces soldats de Passy et leurs camarades de combat dans les Vosges appartenaient à plusieurs divisions. Voir la liste sur notre page « Les Passerands du 133e R.I à St-Dié-des-Vosges début 1915 ».
L’ Hilsenfirst
« Surplombant les vallées de Munster et de Guebwiller, ce sommet culminant à 1 274 mètres est le plus élevé des champs de bataille français de la Première Guerre mondiale.
« L’Hilsenfirst, situé au sud de Sondernach, constitue un sommet dénudé, solidement fortifié, ceinturé de tranchées, avec quelques bons abris souterrains. L’accès en est rendu difficile et pratiquement impossible de jour, sauf à leurs risques et périls pour des isolés, parce que les abords sont pris en enfilade par les mitrailleuses. » (Extrait de Chasseurs Alpins 13e BCA, FINAS Marius, 13e BCA. Site hilsenfirst.fr, chapitre bibliographie )
Carte du front dans les Vosges en 1915 après la fin de la guerre de mouvement ;
Hilsenfirst, juste au sud de Metzeral et au nord du Vieil Armand ou Hartmannswillerkopf
Batailles de l’Hilsenfirst en 1915
Première offensive allemande en février 1915 : voir le site hilsenfirst.fr :
Le général allemand Von Frech décide d’une offensive le 13 février 1915 pour prendre les sommets à l’ouest de Linthal [entre Metzetal et le Grand Ballon, Guebwiller] en vue de les fortifier. Une violente tempête de neige et de glace fait rage le soir du 12 février et les Allemands rejoignent qu’au petit matin du 13 le point de rassemblement de la Steinmauer.
L’ Hilsenfirst est notamment célèbre aujourd’hui pour les affrontements de skieurs qui s’y sont déroulés lors de l’hiver 1915 ainsi que par le coup de main qui y est mené par Erwin Rommel (1891-1944) en 1916 ; celui-ci fit ses premières armes sur le front du Hilsenfirst. (site wikipedia, art. Linthal et art. Hilsenfirst)
Camp Sermet neige
Steinmauer et le Col du Hilsenfirst
« L’attaque débute enfin vers 6 heures après une accalmie des mauvaises conditions météorologiques. (…) Du côté français, c’est la surprise totale et les troupes se replient vers Remspach et les arrières du Langenfeldkopf. (…) Ce fut une victoire éclatante pour Von Frech et ses troupes. » (voir texte complet sur le site hilsenfirst.fr)
Hauteurs autour de l’Hilsenfirst
Sur les pentes de l’Hilsenfirst
Chasseurs dans les tranchées
Juin 1915 à l’Hilsenfirst
À partir du 14 juin 1915, les troupes françaises vont tenter de reconquérir l’Hilsenfirst dans l’espoir de gagner Munster.
Chasseurs alpins dans les Vosges
Contexte stratégique et enjeux
« Le commandement français cherche la percée. Il l’a désirée au début de l’année en Artois et en Champagne. Il la veut dans les Vosges en juin 1915, en confiant au général de Maud’huy (VIIème armée) une vaste opération offensive, qui partant des contreforts est du Honeck et des épaulements nord du Grand-Ballon, devrait aboutir à la plaine d’Alsace dans la région de Colmar.
La brigade Tabouis (1ère brigade de chasseurs de la 66ème division d’infanterie), à laquelle appartiennent les 7ème et 13ème BCA, doit rompre le front allemand dans la région nord de l’Hilsenfirst et pousser en direction de Munster, sur l’axe Landersee – Ilienkopf – Muhlbach.
Le 7ème BCA forme « la pointe dure » de cette poussée profonde. Il lui incombe la rupture du front adverse et l’exécution du premier bond jusqu’à Landersee. » (Historique du 7e BCA disponible sur le Site jburavand.free.fr)
« Le 14 juin 1915 commence une lutte épique qui restera un des plus beaux titres de gloire du bataillon. A 15h30, après une préparation d’artillerie de trois heures, les premières vagues d’assaut débouchent des tranchées nord-est de Langenfeldkopf, puis s’engagent dans le ravin du Wustenrunz. L’ennemi, insuffisamment neutralisé, réagit par une violente fusillade. Trois officiers des compagnies de tête sont tués pendant la traversée du ravin. Enfin une section de la 1ère compagnie apparaît à la lisière sud-ouest du Bois-Inférieur et se porte vers les ouvrages du sommet. Des chasseurs sont aperçus à la lisière supérieure du Bois-Inférieur qui semble être en possession française.
Le commandant Hellé se dirige alors, avec les 2ème et 3ème compagnies, vers le ravin du Wustenrunz. Celui-ci est pris d’enfilade par un tir précis de mitrailleuses et ne peut être franchi. Le commandant est blessé. Deux compagnies du 7ème et deux du 13ème essayent en vain de tourner la résistance ennemie : elles ne peuvent dépasser le ravin, défendu par une ligne allemande continue. La liaison ne peut être réalisée avec le Bois-Inférieur, dont la lisière est tenue par l’adversaire les éléments de tête, qui ont réussi au début de l’attaque à franchir le Wustenrunz, sont encerclés. » (Historique du 7e BCA disponible sur le Site jburavand.free.fr) :
Carte du secteur de l’Hilsenfirst le 16 juin 1915, à droite ; le Bois inférieur au centre ; CM = camp Manhès
Au cours de cette opération, une centaine de chasseurs alpins français de la 6e compagnie du 7e bataillon de chasseurs alpins, commandée par le capitaine Pierre Manhès, s’est trouvée encerclée par l’ennemi, retranchés sur une surface de moins de 100 mètres carrés. Elle a résisté quatre jours et trois nuits entre le 14 et le 17 juin 1915. Pour en rajouter dans le romanesque, ils se sont défendus en détournant des mitrailleuses ennemies et en lançant des rochers sur leurs assaillants, à la mode médiévale…
Le 14 juin, les chasseurs ont dévalé le ravin, se sont fait cueillir dans une clairière, avant le ruisseau, par des mitrailleuses allemandes, ont réussi malgré tout à monter en face avant de se rendre compte que les copains n’avaient pas suivi et qu’ils étaient donc encerclés… C’est une percée d’hommes du 13e BCA qui les a libérés le 17 juin. (site lalsace.fr, Textes : Hervé de Chalendar Photos : Thierry Gachon)
« Cette petite troupe résiste héroïquement à tous les assauts de l’ennemi. Elle a juré, animée du plus pur esprit de sacrifice, « de mourir plutôt que de se rendre ». Elle contre-attaque sans cesse et parvient même à capturer dix prisonniers. Elle est enfin délivrée le 17 juin au soir, grâce au dévouement d’une compagnie de volontaires, composée par moitié de chasseurs du 7ème et du 13ème, et de la section d’éclaireurs du 7ème.
A la suite de cet exploit, qui souleva l’admiration des Allemands eux-mêmes, la 6ème compagnie, les éclaireurs du 7ème, la compagnie Régaud sont cités à l’ordre de l’armée. Les chasseurs de la 6ème sont baptisés « émules de Sidi-Brahim » (Historique du 7e BCA )
L’Hilsenfirst aujourd’hui
L’Hilsenfirst aujourd’hui
L’exploit du 7e BCA à l’Hilsenfirst raconté par le capitaine Manhès
Le Général Pierre MANHÈS, à l’époque capitaine commandant la 6e compagnie du 7e BCAP, a raconté dans ses Carnets cet épisode fameux (disponible sur le site hilsenfirst.fr) :
(Voir Les combats héroïques du capitaine Manhès : Carnets inédits d’un chasseur alpin dans les Vosges (1915-1916), de Max Schiavon, éd. De Taillac, coll. Les Voix oubliées, 2015 ; premières pages disponibles sur le site calameo). Commentaire de Guillaume Lévêque sur le site clio-cr.clionautes.org. Les combats héroïques du capitaine Manhès : Carnets inédits d’un chasseur alpin dans les Vosges (1915-1916), de Max Schiavon, éd. De Taillac, coll. Les Voix oubliées, 2015 :
Extraits du récit du capitaine Manhès :
« Le 12 juin 1915, les ordres d’engagement arrivent. La 6e compagnie a bien décidément l’honneur d’ouvrir le bal. Parmi les prescriptions émanant du général commandant la division, celles-ci sont soulignées :
« Le mouvement en avant de chacun poussé sans répit, avec une volonté de progression farouche, est le sûr garant du succès… Nul ne doit se soucier d’être en flèche ou débordé. On ne s’occupera des camarades que pour les aider, jamais pour les attendre. »
Inutile d’insister sur l’effet produit par de telles phrases sur le « pur-sang » qu’est une unité de Chasseurs.
Le 14 juin, à 11 heures, la 6e compagnie, à l’effectif de deux cent dix-huit fusils, prend place dans sa tranchée de départ. A 12 h 30, les premiers obus de la préparation d’artillerie passent avec un long bruit soyeux au-dessus de nos têtes. Devant nous, au-delà de la clairière de Wüstenrunz, ils tombent dans le Bois-Inférieur ; impossible de se rendre compte de l’efficacité du marmitage. En revanche, vers le sommet chauve de l’Hilsenfirst, où les ouvrages allemands sont très visibles — la terre rouge remuée tranchant nettement sur le vert des pâturages — la précision du tir s’affirme très vite.
A 15 h 30 — l’heure H fixée — la 6e compagnie débouche de sa tranchée de départ et traverse rapidement la clairière parsemée de buissons et de jeunes sapins, qui se trouve immédiatement devant notre front. La fusillade allemande s’allume, mais peu dense, trop haute ; aucune mitrailleuse ne tire encore.
Nous traversons le Bois-Neutre, et dévalons la pente du premier ravin, le Malchrunz ; la fusillade reste très faible. Puis, nous débouchons dans la large clairière du Wüstenrunz, face aux tranchées allemandes du Bois-Inférieur. Immédiatement, c’est un effroyable vacarme.
Trois mitrailleuses nous prennent à partie : une, située sur la tranchée en V très au-dessus de nous, nous tire de haut en bas ; une autre en face de nous, la seule qui soit dans notre zone d’attaque, donc menacée par nous, nous balaie de front ; la troisième, la plus mauvaise, qui, à elle seule, décimera pratiquement ma compagnie, est située très bas, vers le fond de la clairière et nous prend d’écharpe de bas en haut. Quant aux autres, les fantassins « purs », à moitié sortis de leurs tranchées, ils nous tirent au fusil comme des lapins.
Tout de suite, les pertes sont lourdes. Les cadres disparaissent rapidement. (…)
A ce moment, notre premier bond s’achève, qui nous amène devant le ruisseau dont la clairière tire son nom, le Wüstenrunz. Le temps de souffler, de remettre un peu d’ordre dans la compagnie, de museler au plus vite les Allemands trop « culottés », trop visibles et dont le feu est réellement trop gênant, et il est temps de repartir. La traversée du ruisseau — véritable trait de scie à bords verticaux tracé dans le granit, protégé sur sa rive gauche par un réseau barbelé très bas et invisible dans les hautes herbes — est extrêmement dure et pénible. Après l’avoir franchi, la 6e compagnie, bien que très éprouvée, reprend ardemment sa progression sous un feu d’enfer. Il fait une chaleur torride et cette marche sous la grêle de balles qui nous décime est interminable. Au passage du ruisseau, les pertes ont été sévères ; ma 2e section y est pratiquement morte ; le caporal Pradel en est le seul gradé survivant, et il lui reste cinq hommes à commander sur cinquante-six partis à l’attaque.
Un deuxième réseau allemand traversé, nous abordons enfin la position ennemie. Le nettoyage en est exécuté vivement à la grenade et à la baïonnette. Deux mitrailleuses nous restent entre les mains, ainsi qu’une trentaine de prisonniers, aussitôt évacués vers l’arrière. Le reste jonche la tranchée et ses abords de ses morts et de ses blessés ; quelques-uns s’enfuient à travers le Bois-Inférieur.
Mes hommes, surexcités par leur succès, sont littéralement déchaînés. Après l’enlèvement de quelques abris allemands dans la profondeur de la position, nous arrivons enfin sur notre premier objectif et j’y arrête ma compagnie. C’est d’ailleurs assez difficile ; je n’y réussis qu’un peu tard, (…)
Dans les ordres que j’ai reçus figure celui — formel — de faire ouvrir à la cisaille des brèches dans le réseau de fil de fer couvrant la seconde ligne allemande, à la lisière du Bois-en-Brosse. Je désigne deux équipes. Celle de gauche arrive au réseau sans difficultés majeures et commence à cisailler les fils de fer. Celle de droite est fauchée en quelques minutes et n’atteint pas le réseau. Je demande des volontaires pour la remplacer ; j’en trouve aussitôt plus qu’il n’en faut et l’équipe nouvelle part. Elle a le même sort que celle qui l’a précédée. Sur ma demande, deux volontaires s’offrent encore et se présentent au garde à vous, dans un port d’armes impeccable :
« Chasseur Lorenzi, mon capitaine ! » « Chasseur Marchal, mon capitaine ! » Une rapide inspection. Deux bonnes figures ouvertes et souriantes de tous jeunes paysans français :
Marchal, un Cévenol ; Lorenzi, un Corse. Tous deux excellents types de Chasseurs alpins : ils sont de taille moyenne, d’aspect très vigoureux et, malgré l’effort fourni au cours de l’attaque, remarquablement ficelés. C’est une très belle, très vieille et très noble race guerrière que les terriens de chez nous.
Tous deux partent en rampant et atteignent le réseau ennemi ; mais Marchal est tué aussitôt d’une balle dans la tête et Lorenzi est frappé d’une balle au ventre. Il revient en rampant péniblement jusqu’à moi et, là, s’allonge sur le dos, la tête sur mes genoux. Comme je lui dis quelques mots d’encouragement pour adoucir son agonie, il me répond :
« Vous faites pas de bile pour moi, mon capitaine, je savais bien où j’allais, mais c’est pas mal de mourir comme ça. »
Au cours des deux guerres que j’ai vécues, je n’ai pas vu beaucoup mieux.
Pendant ce temps l’équipe de gauche s’est fait héroïquement massacrer à la grenade.
A ce moment — il est environ 17 h 30 — un des Chasseurs que j’avais envoyés porter au commandant les exemplaires de mon compte rendu revient la figure blafarde et convulsée et me dit :
« Mon capitaine, ça n’a pas suivi, les Allemands sont remontés derrière nous et j’ai pas pu passer ; on est cerné » ;
Diable ! Si c’est vrai, c’est une aventure ! J’appelle Moreau et je l’envoie immédiatement avec une patrouille voir ce qui se passe. Puis je rassemble rapidement une section de la 4e compagnie, section non engagée et assez cohérente encore, celle de Burdallet, et je la charge d’essayer vivement de réoccuper, au moins en partie, les tranchées allemandes derrière nous, puisque la compagnie chargée de l’occupation et du nettoyage ne paraît pas y être venue.
Moreau revient assez vite, il a perdu deux hommes et son seul gradé, mais ramène une mitrailleuse et deux prisonniers. Burdallet est reçu par un feu d’enfer et revient ayant perdu plus du tiers de son effectif. La compagnie de nettoyage et d’occupation n’est pas arrivée jusqu’à son objectif et nous sommes bel et bien enfermés chez l’adversaire. Rien d’autre à faire pour le moment que de tenir où nous sommes.
En réunissant par quelques éléments de tranchée très sommaires les trous des tirailleurs, nous nous calons sur trois côtés : d’abord face au Bois-en-Brosse, puis face à l’Hilsenfirst, et enfin, en retour flanquant, face au Wüstenrunz. Sur le côté nord, face à la Fecht, la pente descendante est si raide qu’elle est un obstacle par elle-même et que l’organisation du terrain n’y présente aucun caractère d’urgence.
Il y a une vingtaine de blessés. Au centre du carré on leur construit une cagna sommaire, mais solide, qui leur offre un assez bon abri.
Puis je fais faire l’appel :
Valides :
6e compagnie (la mienne) : 2 officiers et 79 Chasseurs (sur 218 au départ).
Appartenant à des éléments divers : 2 officiers et 28 gradés et Chasseurs de la 4e compagnie ; 1 officier et 6 Chasseurs des éclaireurs du bataillon.
Total : 5 officiers et 113 Chasseurs.
Blessés :
1 officier et 16 Chasseurs de la 6e compagnie, dont 3 sont dans un état grave.
8 Chasseurs de la 4e compagnie.
Total : 1 officier et 24 Chasseurs.
Comme armement : chacun de mes hommes a son fusil et environ 150 cartouches ; j’ai rassemblé, en outre, 160 grenades. Enfin, nous avons pris à l’ennemi 32 fusils et 4.000 cartouches, une mitrailleuse et 5 caisses de cartouches sur bandes.
Les Chasseurs ont chacun, sur eux, environ un jour de vivres de réserve. Pour le moment, ça va.
La nuit du 14 au 15 a été mauvaise et horriblement froide. Mes hommes sont nerveux. L’amalgame assez hétérogène qu’ils forment n’est pas encore bien en main. Au cours de la nuit, j’ai fait une sommaire répartition de mon front ; j’ai confié à mes Chasseurs, dont je suis sûr, la défense du côté est et de l’angle nord-est du carré face au Bois-en-Brosse, endroit que j’estime le plus délicat. Au coin sud-est et du côté sud, face à l’Hilsenfirst, j’ai placé ceux de la 4e compagnie. »
Pendant de temps, au 13e BCA :
« 14 juin. En vue des prochaines attaques, le 13e effectue une marche d’approche jusqu’à Oberlauchen et camp Vialet où il complète son approvisionnement en munitions.
Pendant ce temps, le 7e BCA, sur l’aile gauche de notre prochain secteur d’attaque, commence les opérations sur le ravin de Langenfeld ; mais, il a échoué en partie et la compagnie Manhès se trouvant cernée dans une clairière en avant des lignes, les 1e et 2e compagnies du 13e (capitaine Gillon et lieutenant France) sont aussitôt envoyées en renfort au 7e pour prévenir toute aggravation possible.
Le matin dans les tranchées : les Alpins dans les carrières de Schraetzmaennele
Prise de l’Hilsenfirst le 15 juin 1915.
L’objectif assigné du 13e est l’Hilsenfirst et son sommet ; l’attaque qui tout d’abord devait avoir lieu à 9 heures a été reportée à 15 h 15. (…)
A 15 h 15, tout est prêt et tout se déclenche : malgré les obstacles, malgré les barrages d’artillerie et surtout des mitrailleuses qui causent beaucoup de pertes aux 3e et 4e compagnies, dans une attaque-éclair menée avec brio, le sommet est complètement et rapidement enlevé.
Vive et rapide est la réaction de l’ennemi : bombardements écrasants, coupés de contre-attaques toutes repoussées, s’abattent sur le sommet : c’est et ce sera une débauche de 77, 130, 150 et aussi des terribles 210, des dizaines d’heures durant.
Pendant cinq jours de petites attaques locales sont encore faites pour améliorer ou rectifier nos lignes par endroits, mais la vie sur ce piton est extrêmement dure et exténuante ; les éclatements d’obus de tous calibres provoquent un grondement de tonnerre continu qui tend les nerfs à leur paroxysme ; on est littéralement envahi de fumées et de poussières et surtout, il fait très chaud et…. Il n’y a pas d’eau. Néanmoins, dans les tranchées, les chasseurs pliés sous le bombardement, mais l’œil aux aguets, tiennent bon. Au soir de l’une de ces journées harassantes, le capitaine commandant la position confie au sergent-major la mission d’aller, coûte que coûte, chercher et ramener de l’eau au cours de la nuit.
Le sergent-major descend donc et parvient à rassembler quelques mulets et leurs muletiers autour du point d’eau, de l’autre côté du ravin. Tout va bien, les tonnelets sont hissés en cacolet sur le dos des mulets ; mais à peine le chargement est-il arrivé que des sifflements se font entendre, suivis immédiatement de plusieurs rafales de 77 qui s’abattent dans tout le secteur de la source. Les mulets se cabrant s’échappent dans toutes les directions et il est impossible aux hommes de les retenir. Péniblement quatre mulets peuvent être ramenés de suite tandis qu’un chasseur a été tué. Maintenant il faut se hâter pour arriver avant la pointe du jour au sommet de l’Hilsenfirst.
La petite colonne se met en route et parvenant sans incident au débouché de la première tranchée, le sergent-major est heureux d’annoncer aux premiers chasseurs qui se trouvaient là l’arrivée, à défaut de pinard, d’une bonne ration d’eau… Mais aucun ne répond… Ils restent muets… Sont-ils endormis ? Hélas non ! Ils étaient morts, tués à leur poste par le bombardement.
La précieuse cargaison, rapidement déchargée, mulets et muletiers sont renvoyés aussitôt pour profiter encore de la pénombre.
Enfin, malgré les violents efforts de l’ennemi, tant en bombardements massifs qu’en furieuses contre-attaques, la possession de l’Hilsenfirst, dont la défense est entre les mains du capitaine de la Goutte, paraît bien définitivement assurée.
Il faut alors penser à délivrer les cent-quarante camarades du 7e qui nous attendent impatiemment, car, de leur clairière, ils nous ont vus, ils ont suivi des yeux le 13e montant fougueusement à l’assaut de l’Hilsenfirst ; plus que jamais ils ont confiance, ils savent qu’on ne les abandonnera pas et que ce n’est plus qu’une question de quelques heures pour tenter de les délivrer.
En effet, une compagnie de volontaires est formée sous les ordres du capitaine Regaud, du 13e, comprenant un peloton de chasseurs du 13e et un du 7e. » (Extrait de Chasseurs Alpins 13e BCA, FINAS Marius, 13e BCA. Disponible sur le site hilsenfirst.fr, chapitre bibliographie)
L’épisode vu du 5e BCA, à l’Hilsenfirst :
« Le 15 juin, le commandant Colardelle, par ordre du lieutenant-colonel commandant la 1ère brigade de chasseurs à laquelle le 5e est momentanément rattaché, prend le commandement du secteur de la Lauch, depuis Gustiberg à droite jusqu’au Langenfeldkopf inclus à gauche. La vie de secteur calme est pour un temps finie ; une longue période de durs mais glorieux combats s’ouvre maintenant pour les chasseurs du 5e bataillon. Il faut d’abord soutenir le 13e B. C. A. qui, à 16 heures, attaque l’Hilsenfirst. Le 5e B.C.A. a pour mission de garder son flanc droit.
Le 16 juin, le 13e chasseurs, exploitant son succès de la veille, doit attaquer le bois nord de l’Hilsenfirst. A 17 heures, le lieutenant-colonel commandant la 1ère brigade de chasseurs envoie l’ordre d’alerter immédiatement deux compagnies du 5e pour dégager la compagnie Manhès, du 7e B.C.A., cernée dans les lignes allemandes dans le bois du Langenfeldkopf. Les 1ère et 3e compagnies, sous les ordres du capitaine Saillard, quittent aussitôt le bivouac pour se rendre au Langenfeldkopf.
La compagnie Coppens gagne son emplacement de départ mais ne peut, par suite des difficultés du terrain rocheux creusé de trous d’obus et de l’obscurité profonde de la nuit, accomplir sa mission. En conséquence, cette compagnie se retranche sur place et la compagnie Saillard est gardée en réserve.
Le 17, l’opération est reprise et la compagnie Manhès est délivrée par une compagnie du 13e chasseurs. (…) (site actualites-grande-guerre.blogspot.fr)
Situation du 7e BCA le 15 juin. Suite du récit du capitaine Manhès :
« A peine ces dispositions sont-elles prises qu’au tout petit jour, le matin du 15, un peu après 3 heures, les Allemands déclenchent, en partant du Bois-en-Brosse, une vigoureuse attaque sur la face est de mon carré.
Cette attaque est durement menée par un gros effectif. Malgré notre fusillade, je les vois avancer à vue d’œil, et j’ai l’impression que le feu de mes Chasseurs a autant d’efficacité que s’ils tiraient dans une motte de beurre. En voyant mes pauvres éléments de tranchées, qui ont à peine 0 m 70 de profondeur, là où ils existent, qui sont discontinus et sans un brin de fil de fer, en sentant mes hommes impressionnés et inquiets, en voyant la vague ennemie rouler vers moi sans arrêt, j’ai la gorge sèche…
Les premiers Allemands sont à peine à 50 mètres — je distingue nettement la couronne sur leurs boutons — lorsqu’un flottement se marque dans leur progression et que, sous notre tir, ils se mettent à « bafouiller » nettement. A ce moment, une batterie de 75 providentielle, dont l’observateur les a vus déboucher dans la grande clairière, ouvre sur eux un feu en « roulement de tambour » qui transforme leur hésitation en retraite. Mais du fond des rangs jaillit sur les éléments de tête un grand diable d’officier qui, avec une vigueur et un cran vraiment admirables, ramène vivement les fuyards dans le mouvement en avant. S’il continue, nous sommes liquidés. Allongé à mes pieds, dans son trou de tirailleur, le Chasseur Baudun, un Bas-Alpin, braconnier terrible et tireur exceptionnel, fait avec calme des cartons sur les gens d’en face. Je lui dis : « Baudun, tu vois ce grand type, vite, tue-le. »
Avec son flegme habituel, Baudun épaule, vise, me semble-t-il interminablement, et je sens dans la jambe droite une furieuse démangeaison de lui envoyer un solide coup de pied dans le derrière. Heureusement je me contiens et, soudain, en même temps que j’entends le départ du coup, je vois tomber à la renverse l’officier allemand, tué raide d’une balle en pleine tête. Le coup de grâce est porté à l’attaque ennemie ; les assaillants regagnent au plus vite le Bois-en-Brosse et abandonnent la clairière littéralement jonchée de morts et de blessés. Chez nous, peu de pertes : deux tués et trois blessés. Personnellement, une balle allemande a tracé un bon trait de gouge au sommet de ma tête, mais un crâne d’Auvergnat n’est pas endommagé pour si peu et je me borne à bénir les dieux favorables de m’avoir donné une aussi modeste taille.
Vers midi, venant de nos arrières, un marmitage solide s’abat sur les organisations allemandes entre notre carré et nos premières lignes. Il paraît vraiment très sérieux, surtout à nous qui sommes à peu près en plein dedans ; j’ai très vite quelques blessés. Vers 16 heures je vois assez loin, sur la pente au-dessous de la crête Hilsenfirst – Langenfeldkopf des gens déboucher en tirailleurs, très proprement : Puis la bagarre paraît s’étendre. Au-dessous de nous et derrière nous, mitrailleuses et fusils crépitent avec un bruit étourdissant. A 19 heures, tout est fini, un immense silence plane sur les grands sapins… et nous restons cernés.
Loin et très au-dessous de nous, je vois filtrer sous les arbres de gros renforts acheminés vers les Allemands du ravin. J’envoie sur eux quelques patrouilles qui leur tuent une quinzaine d’hommes.
Dans la nuit, j’achève de me clôturer sur mes quatre faces et répartis mon monde (…)
J’ai fait rassembler les vivres ; ils sont déjà fortement entamés. En réduisant la ration à un taux de famine, j’ai de quoi donner quelques miettes à mes hommes pendant deux jours. D’accord avec les intéressés, je décide que les officiers vivront de souvenirs jusqu’à la fin de l’aventure. Reste la question de la boisson. Au cours de la progression, le 14, j’avais repéré au passage une source à environ 400 à 500 mètres de notre carré. Avec trois Chasseurs je vais la reconnaître. Quatre Allemands l’occupent. On les bouscule à la grenade et j’y installe mes trois bonshommes en petit poste. J’appelle leur attention sur la nécessité pour nous de conserver la libre disposition de cette source. J’ajoute que, si je n’envisage pas un seul instant qu’ils puissent l’abandonner, je leur prescris néanmoins de démolir bien entendu l’adversaire éventuel, mais aussi de ne pas se laisser stupidement démolir par lui, comme viennent de l’être par nous les premiers occupants. Leur mission est de se battre efficacement, donc de vivre. Ils m’ont parfaitement compris et me le prouveront très prochainement.
La nuit du 15 au 16 a été meilleure, mais toujours extrêmement froide. J’ai essayé en vain de faire passer vers le 7e et le 13e B.C.A. deux patrouilles. La ligne allemande est continue et bien occupée ; la tentative me coûte trois blessés.
Le 5e BCA à l’Hilsenfirst le 16 juin :
« Le 16 juin, le 13e chasseurs, exploitant son succès de la veille, doit attaquer le bois nord de l’Hilsenfirst. A 17 heures, le lieutenant-colonel commandant la 1ère brigade de chasseurs envoie l’ordre d’alerter immédiatement deux compagnies du 5e pour dégager la compagnie Manhès, du 7e B.C.A., cernée dans les lignes allemandes dans le bois du Langenfeldkopf. Les 1ère et 3e compagnies, sous les ordres du capitaine Saillard, quittent aussitôt le bivouac pour se rendre au Langenfeldkopf. La compagnie Coppens gagne son emplacement de départ mais ne peut, par suite des difficultés du terrain rocheux creusé de trous d’obus et de l’obscurité profonde de la nuit, accomplir sa mission. En conséquence, cette compagnie se retranche sur place et la compagnie Saillard est gardée en réserve. » Voir site actualites-grande-guerre.blogspot.fr)
[Le 16 juin] Suite du récit du capitaine Manhès :
Comme l’aube commence à peine à filtrer sous les sapins, je suis alerté par une vive fusillade à la source. Sept à huit coups de fusil éclatent précipitamment, puis le bois se remplit de clameurs sauvages. Avec le caporal Hecht, de la 4e compagnie, qui est à côté de moi, je saute vers le point d’eau et y trouve mes trois chasseurs triomphants. Dans la pénombre du petit matin, ils ont vu confusément monter vers eux une grosse patrouille allemande.
Au cours d’un rapide conseil de guerre, ils ont estimé que s’ils ouvraient le feu tout de suite, ils avaient toutes les chances de manquer leurs objectifs et de se faire repérer par l’adversaire, qui pourrait alors les posséder à volonté ; ils ont donc décidé de ne tirer qu’à bout portant. Les trois premiers coups de feu ont tué le sous-officier chef de patrouille et deux hommes à ses côtés à moins de 4 mètres de mes tireurs ; devant la surprise totale de l’adversaire, ils ont aussitôt récidivé deux fois et, quand je suis arrivé, ils avaient devant eux sept cadavres et un blessé grave qui hurlait de douleur.
Je fais relever mes trois vainqueurs et ils ramènent dans une toile de tente le malheureux blessé que mon infirmier soigne de son mieux.
Dès mon retour dans le carré, des guetteurs me signalent une vingtaine d’Allemands descendant de la région de l’Hilsenfirst vers le Wüstenrunz. J’envoie vers eux une patrouille de cinq Chasseurs commandée par Moreau, décidément magnifique de courage joyeux, d’entrain et de mordant.
Moreau part, leur saute dessus et, après une courte bagarre, en tue trois, dont le chef de patrouille, un magnifique sous-officier, en blesse deux, disperse le reste et ramène trois prisonniers valides, ainsi que les deux blessés.
Pendant ce temps, l’infirmier de la compagnie, le jeune Malfay, en exploration dans les abris allemands situés entre le carré et la ligne adverse réoccupée, abris où il va chercher des couvertures et différents objets pour les blessés, revient avec un prisonnier. Il s’est trouvé nez à nez avec lui en entrant dans une cagna, lui a sauté à la gorge et me le ramène pliant sous le poids d’un chargement hétéroclite, résultat des fouilles opérées.
Me voici à la tête de huit prisonniers ; pas pour longtemps d’ailleurs, car deux des blessés sur trois meurent avant la fin de la matinée.
Je fais enterrer les morts. Dans notre petit carré, il y a déjà deux cimetières : en haut, sous les grands sapins, le cimetière français ; en bas de la clairière, en bordure du sentier, le cimetière allemand.
Hier soir, j’ai fait instruire à l’emploi de la mitrailleuse allemande une équipe de mes Chasseurs. Ils commencent à s’en tirer très proprement. Vers 9 heures, nous avons subi deux attaques successives sur notre front est. La première, d’effectif assez faible, mais très brutale, est arrivée au corps à corps et a pu être repoussée finalement à la grenade ; mais la deuxième, menée par un assez gros effectif, a été, bien avant l’abordage, fauchée net par notre mitrailleuse allemande, très efficacement servie par mes hommes.
Un peu avant 10 heures, les Allemands ont remis ça, mais en progressant péniblement le long des pentes extrêmement raides de la face nord. Sur une astucieuse initiative de Moreau, mes Chasseurs avaient rassemblé le long du sentier qui se trouve juste au changement de pente un amas d’assez gros « cailloux », de vrais rochers de grès et de granit. On bascule le tout sur la pente et c’est une véritable avalanche, réellement impressionnante, qui vient déferler sur l’adversaire en pleine ascension. Rochers et Allemands disparaissent à toute allure vers les fonds. »
« Nos alpins lancent des rocs sur l’ennemi », dessin de Carrey
(journal Le Miroir, 11, N° 88. Le DIMANCHE Ier Août 1915).
« Sur l’Hilsenfirst, une compagnie s’est défendue avec des blocs de rochers »
Suite du récit du capitaine Manhès :
« Les hommes ont d’ailleurs nettement repris le dessus. Depuis l’échec de l’attaque allemande du 15, ils ont un moral flamboyant et maintenant, quoi qu’il arrive, j’ai l’impression que j’en ferai ce que je voudrai.
Vers 10 h 30, nous voyons, loin derrière, un peu au-delà de notre ligne de départ du 14 juin, des Chasseurs de chez nous s’agiter. Je fais faire immédiatement des signaux avec nos fanions de signalisation. Nous attirons enfin l’attention de nos camarades et nous finissons par entrer en communication. Nous leur apprenons notre situation : encerclés, mais non prisonniers et décidés à lutter jusqu’à ce que nous puissions être dégagés. Puis nous échangeons quelques indications précieuses ; on nous promet une grosse attaque pour ce soir et, comme conséquence, la délivrance. En prévision d’un marmitage solide dont nous recevrons les éclaboussures, je fais creuser des « terriers » pour mes hommes et renforcer le toit de la cagna des blessés.
A midi, le marmitage commence ; il est assez quelconque. Vers 16 heures, on aperçoit des gens filtrer tout en haut de la clairière du Wüstenrunz. Dans le bas, on entend une attaque dont on ne voit rien. Fusillade, mitrailleuses, grand bruit. Puis tout se tait et l’on n’entend plus que les appels et les cris des blessés.
Quelques Allemands sans arme montent vers nous. Nous engageons avec eux un dialogue assez amusant, les invitant à venir se rendre et deux ont déjà cédé à nos conseils quand un sous-officier jaillit de derrière un sapin, tire un coup de pistolet en pleine figure à Moreau, qui en conçoit une certaine stupeur, le manque heureusement et, en un clin d’œil, ramène chez eux sans ménagements ceux qui étaient encore hésitants. Je fais aussitôt tirer dessus, mais sans efficacité apparente.
A 21 heures, attaque française vers le sud-ouest. Nous entendons sonner la charge précédée du refrain du 13e B.C.A. En réponse, je fais sonner par mes deux clairons le refrain de la Sidi-Brahim. Mais encore une fois, après un très grand bruit, le silence revient et nous constatons l’échec des efforts tentés pour nous rejoindre.
Le moral reste bon dans ma petite troupe. Mais un profond découragement s’empare des pauvres blessés qui souffrent abominablement. La plupart ne cessent de délirer.
Toute la nuit, les Allemands travaillent assez bas au-dessous de nous. Je fais exécuter sur eux des tirs systématiques au jugé, mais sans obtenir aucun résultat appréciable ; les munitions diminuant, j’arrête les frais.
Somme toute, le cercle se resserre et se précise autour de nous. Les vivres sont complètement finis depuis ce soir. Si, demain, nous ne sommes pas délivrés, je décide de tenter la percée par nos propres moyens, et j’en étudie l’exécution avec Guillermet, Burdallet et Moreau.
Le 13e BCA, le 17 juin
« Et le 17 juin, à 18 heures, après un bombardement qui, cette fois, s’est révélé très précis, les chasseurs du capitaine Regaud foncent, et dans un bond de lévriers brisent la ceinture ennemie et délivrent la compagnie Manhès, tandis que soixante prisonniers et un abondant matériel tombent entre leurs mains.
Il était temps, car, isolés depuis trois jours et trois nuits, les vivres et les munitions commençaient à manquer et déjà les chasseurs avaient utilisé comme armes les énormes pierres qu’ils avaient fait dévaler sur l’ennemi le long des pentes abruptes.
En récompense et en souvenir de cet exploit, le capitaine Regaud reçoit la croix de la Légion d’Honneur et la compagnie de chasseurs volontaires est citée à l’ordre de l’armée. » (Extrait de Chasseurs Alpins 13e BCA, FINAS Marius, 13e BCA. Site hilsenfirst.fr, chapitre bibliographie
Suite du récit du capitaine Manhès :
« Le 17 [juin] avant le lever du jour, la source est de nouveau attaquée. Les trois Chasseurs de service tiennent bon et nous enterrons quatre de nos adversaires.
Vers 7 h 30, une attaque se déclenche partant une fois de plus du Bois-en-Brosse. Auparavant l’ennemi avait tenté un marmitage de mon carré, assez maladroitement d’ailleurs. La progression sur ce terrain, jonché déjà de ses morts, n’est pas extrêmement vigoureuse et nous l’arrêtons assez vite. Encore une fois la mitrailleuse allemande nous aide puissamment.
Un peu plus tard nous reprenons la liaison par fanions avec l’arrière et le commandant de l’artillerie divisionnaire, Le chef d’escadron Verguin, me fait demander ce qu’il peut faire comme marmitage. Je signale sommairement ce que je connais des organisations allemandes au plus près de nous. Puis j’indique qu’à 11 heures je ferai tirer deux fusées-signaux, espacées de deux minutes, à chaque coin de notre carré pour permettre à l’artillerie de le délimiter aussi nettement que possible. Je signale que nous préférons tous risquer des coups en plein chez nous que de risquer perdre la partie par des tirs trop prudents.
A 13 heures, notre marmitage commence et, cette fois, a l’air réellement sérieux. Puis, très vite, il devient effarant. Nous sommes littéralement au centre d’un cyclone et ça manque de charme. Les gros obus nous encadrent avec une extraordinaire précision et le carré et ses environs immédiats sont battus par une grêle d’éclats et de pierraille impressionnants.
Vers 15 heures, mes vedettes me signalent des Allemands qui s’enfuient sur notre front ouest. Je les fais saluer au passage par la mitrailleuse et quelques coups de fusil ; une dizaine restent sur le carreau. Mais mes tireurs non protégés risquent gros sous la grêle qui s’intensifie et j’ai deux blessés ; je fais rentrer tout le monde, sauf les vedettes, dans les abris.
La fumée et la poussière rendent l’atmosphère irrespirable. Mes blessés étouffent ; deux sont en pleine agonie. Un énorme « pavé » vient s’abattre sur leur cagna ; heureusement, les renforcements opérés permettent au toit de tenir à peu près et il n’y a pas de casse.
A 18 heures, l’artillerie allonge son tir. Quelques minutes après, comme une trombe, au milieu des cris et des hurrahs de mes Chasseurs enthousiasmés, un détachement, composé de deux sections du 7e et de deux sections du 13e B.C.A., sous les ordres du capitaine Regaud, du 13e, débouche dans notre petite clairière en dévalant du sommet de l’Hilsenfirst.
Nous sommes délivrés et c’est dans tout le carré une émotion indescriptible. Puis le calme se rétablit et tout le monde coopère aux travaux qui englobent notre position dans la nouvelle ligne. Nous évacuons vers l’arrière nos pauvres blessés enfin sauvés et nos huit prisonniers survivants, dont un blessé léger.
Au cours de cet encerclement à l’intérieur des lignes allemandes qui dura environ quatre jours, le détachement du 7e B.C.A., dont la 6e compagnie composait les quatre cinquièmes, a repoussé cinq attaques, a conservé ses prisonniers et ses prises, en a même fait de nouveaux et, sans vanité excessive, peut dire que, fidèle aux vieilles traditions de l’arme, il a tenu comme à Sidi-Brahim.
Aussi, le grand Chasseur qui commandait l’armée des Vosges l’a-t-il proclamé lui-même dans les termes suivants :
« Par ordre du général commandant l’armée, la 6e compagnie du 7e bataillon de Chasseurs sera dénommée : « Compagnie Sidi-Brahim », en souvenir de l’exploit qu’elle a accompli dans le Wüstenrunz.
« Les officiers, sous-officiers, caporaux et chasseurs de cette compagnie sont dignes de leurs ancêtres, les héros du 8e bataillon de Chasseurs qui ont défendu le marabout de Sidi-Brahim.
« Honneur à eux !
« Q.G., le 28 juin 1915. « Le Général commandant la VIIe Armée, Signé : DE MAUD’HUY. »
(en référence à la résistance d’autres chasseurs, en septembre 1845, en Algérie, face aux troupes d’Abd el-Kader).
Le 19 juin devant tous les éléments non engagés de la brigade Tabouis, le général Serret, commandant la 66e division, remettait à la 6e compagnie du 7e B.C.A. et à ses cadres les récompenses qui leur étaient décernées. »
Une plaque commémorative rappelle aujourd’hui encore cet épisode.
Plaque commémorative du 7e BCA Sidi-Brahim
Le 11e BCAP d’Annecy à l’Hilsenfirst
Extrait de l’ Historique du 11e BCAP :
« Jusqu’en Mai 1916, à l’Hilsenfirst, autour des lacs, dans des secteurs peu tourmentés, le 11e monte la garde. Il subit la forte impulsion que lui donne son nouveau chef, le Commandant
Pichot-Duclos, arrivé vers la mi-février.
Les Chasseurs ont toujours le merveilleux moral qui en fait des guerriers d’élite. Toute tenta-tive ennemie est étouffée avant de se développer. L’ascendant des Alpins est incontestable.
Voilà la troupe victorieuse, orgueilleuse de ses succès et bien confiante dans sa force que
durant tout le mois de Juin, on entraînera au Camp d’Arches pour l’embarquer le 25 vers un
pays connu déjà où l’on ira venger les Aînés disparus : vers la Somme morne et aride. » (Historique du 11e BCAP d’Annecy en 1915
Récit patriotique publié en 1920, transcrit par CHePP. (Source site gallica.bnf, pages 14 à 20).
Arrière de l’Hilsenfirst
Pour en savoir plus, voir le site hilsenfirst.fr.
Sources :
site hilsenfirst.fr http://www.hilsenfirst.fr/ ; les principaux combats
site lalsace.fr
site commons.wikimedia
site Wikipédia, art. Hilsenfirst ; site Wikipédia, art. Linthal
site lh4.googleusercontent.com
site images-00.delcampe ; site images-01
site rosalielebel75
site calameo
site histoirepatrimoinebleurvillois.com
site actualites-grande-guerre.blogspot.fr
Site gallica.bnf.fr
site unmondedepapiers.com
site i64.servimg.com
Historique du 11e BCAP Source site gallica.bnf, pages 14 à 20
Voir nos autres pages sur
– Passy pendant la grande Guerre
en particulier notre page consacrée au monument aux morts de Passy.
Découvrez aussi, sur notre site, la richesse et la variété du patrimoine de Passy :
– Les ex-voto du temple romain de Passy
– Le château médiéval de Charousse à Passy
– Le retable de la Chapelle de Joux, à Passy
– L’étonnant « Cahier » d’Eugène Delale, école de Passy, 1882
– La méthode Freinet à l’école de Passy, 1932-1952
– La conduite forcée de 1947-1952 et la production hydroélectrique à Passy
– L’Arve des Gures aux Egratz, à Passy
– Vues panoramiques sur le Mont-Blanc depuis Passy
– L’inalpage dans les « montagnes » de Passy, « l’emmontagnée », et la « remuée » pendant l’été
– La gare de Chedde à Passy et la ligne Le Fayet-Chamonix
– La sculpture d’Albert FERAUD (1921-2008), La Porte du soleil (1973), sur la « Route de la Sculpture Contemporaine » à Passy
– La stèle de la Torchette à Passy et les commémorations du maquis de Montfort