Lire notre revue Vatusium n° 18, 2015 « Les Passerands dans la Grande Guerre », 1ère partie : 1914 et 1915.
A l’occasion de la “Journée du poilu, 25 et 26 décembre 1915”, de nombreuses affiches ont été diffusées :
D’où vient ce nom de « poilus » donnés aux soldats de 14-18 ?
« Si le mot « poilu » est peu utilisé par les soldats français pour se désigner entre eux, en revanche il fait largement recette dans la presse et à l’arrière. Se référant à la bravoure et au courage des combattants, mais aussi à leur pilosité liée aux conditions de vie erratiques des tranchées, ce vocable connaît une extraordinaire popularité. Il semble provenir des guerres napoléoniennes où l’on s’en servait pour désigner les militaires expérimentés, par opposition aux jeunes recrues. » (1914-1918 La Guerre des affiches, dir. Laurent Giordano, textes de Patrick Facon, éd. Atlas, 2013, p. 79)
Autre affiche de la « Journée du poilu, 25 et 26 décembre 1915 organisée par le Parlement » : « Avec vous et par vous, nous jurons de sauver la France. Léon Gambetta. »
Si ce terme « poilu » est surtout employé par les civils, on le trouve cependant sous la plume des soldats eux-mêmes. Par exemple, dès août 1914, le caporal Louis Viguier écrit dans ses carnets le dimanche 2 août 1914 à la caserne Niel de Toulouse :
« Nous sommes de retour du camp de Caylus après trois longues et dures étapes, à pied, de 35 à 40 km chacune. La Guerre est à nos portes ; la mobilisation générale est décrétée le 2 août à 14 h 30. Toute liberté est laissée aux familles pour voir leurs futurs « poilus » avant le départ. Nous sommes « gonflés à bloc » et comptons bien que notre 2e et… dernière ! année de « métier militaire » verra un rapide et éclatant succès de nos armes. »
Le 24 décembre 1914, le lieutenant Digoy s’est abîmé la main « en lançant une bombe et, à son grand regret, il est obligé de quitter la ligne de feu. » Il écrit à Louis Viguier : « Mon cher Viguier, Vous ne pouviez me faire de plus grand plaisir que celui de m’envoyer les petites photographies que j’ai reçues hier. Ces petites images me rappellent tant de souvenirs et d’émotions que je n’en changerai pas une seule pour la Joconde. Votre belle barbe de bandit corse ou seulement de vrai poilu vous donne un air de circonstance. Vous êtes fort aimable de m’avoir envoyé ces petits souvenirs et je vous en remercie de tout cœur. Je croupis dans le luxe jusqu’à la semaine prochaine et ne tarderai pas ensuite à aller vous retrouver avant que vous ne photographiez les clochers gothiques où nichent les cigognes. Bien sincèrement à vous. C. L. Digoy. » (Journal de marche d’un biffin, 2 août 1914-19 février 1919, éd. Loubatières, 2013)
Le terme « poilu » au sens de « soldat » est attesté dans le Petit Robert à partir de 1910, à partir de « poilu », brave, 1899, les poils étant le signe de la virilité.
Le Dictionnaire historique de la langue française, dir. Alain Rey, Dictionnaires Le Robert, 1992, précise que le mot « poilu » a « développé le sens figuré de « fort, courageux » (1833 chez Balzac), passant dans l’argot militaire, et ce avant la guerre de 1914-1918, substantivé au masculin, au sens d’ « homme brave, qui n’a pas froid aux yeux » (1897) ; pendant cette guerre, il est devenu synonyme de « combattant » (1915), surtout parmi les civils de l’arrière. »
Du grognard d’Austerlitz au poilu de 14-18
Le mot « poilu », surnom donné aux soldats français, désignait aussi à l’époque dans le langage familier ou argotique quelqu’un de courageux, de viril (cf. par exemple l’expression plus ancienne « un brave à trois poils », que l’on trouve chez Molière, de même les expressions « avoir du poil », « avoir du poil aux yeux »), ou l’admiration portée à quelqu’un « qui a du poil au ventre ».
Dans son ouvrage L’Argot de la guerre, d’après une enquête auprès des officiers et soldats, Albert Dauzat donne la même explication : « Avant d’être le soldat de la Marne, le « poilu » est le grognard d’Austerlitz, ce n’est pas l’homme à la barbe inculte, qui n’a pas le temps de se raser, ce serait trop pittoresque, c’est beaucoup mieux : c’est l’homme qui a du poil au bon endroit, pas dans la main ! » C’est le symbole de la virilité. Ce terme militaire datant de plus d’un siècle avant la Grande Guerre, « désignait dans les casernes où il prédominait, l’élément parisien et faubourien, soit l’homme d’attaque qui n’a pas froid aux yeux, soit l’homme tout court ».
Le « poilu » moustachu…
Quand on observe des photos de nos « poilus » de 14-18, on ne peut qu’être frappé par leurs magnifiques moustaches : tous la portaient ! Etait-ce un effet de mode ?
Un Passerand du 107e RIT (marqué d’une croix) parmi ses camarades
En réalité le port de la moustache était obligatoire !
Voici les explications données par le Lieutenant-Colonel Edouard Ebel dans article paru dans Gendinfo :
« La moustache devient un attribut des gendarmes au XIXème siècle, au point que la population pour prévenir l’arrivée de la force publique s’exclamait : « Attention, les moustaches ! ».
Ce signe distinctif, symbolisant la masculinité et l’autorité des gendarmes, fait d’une certaine manière partie de l’uniforme. (…)
Une décision ministérielle du 20 mars 1832 rend le port de la moustache obligatoire pour tous les militaires. En juin 1836, il est déterminé qu’elle doit être coupée «uniformément au niveau de la lèvre supérieure, s’étendre sans discontinuité sur toute la longueur de la lèvre et s’arrêter toujours au coin de la bouche ».
Deux mois plus tard, une décision ministérielle précise que la moustache sera portée par l’ensemble des militaires, hormis ceux de la gendarmerie. Cette sentence très mal perçue par l’Arme, est vécue comme une humiliation et soulève un véritable tollé. Il faut attendre le ministère du maréchal Soult (…) pour que ceux-ci retrouvent, par une décision du 28 janvier 1841, le droit et l’obligation de porter la moustache.
A partir de 1846, elle doit être taillée en brosse. Mais surtout, en octobre 1848, la République naissante autorise les gendarmes à porter la mouche – touffe de poils au-dessous de la lèvre inférieure -, un signe honorifique que certains arborent avec orgueil.
Le port de la moustache demeure obligatoire jusqu’en 1933. Tout comme le bicorne, la moustache, à elle seule, a puissamment contribué à fixer l’image des gendarmes dans l’imaginaire collectif des français.” (Site passionmilitaria.com , La moustache dans l’armée et la gendarmerie : article écrit par le Lieutenant Colonel Edouard Ebel, Docteur en histoire, chef du bureau gendarmerie de la division Études et enseignement du Service historique de la Défense, qui est paru dans Gendinfo.
A en croire les photos des poilus parvenues jusqu’à nous, la moustache ne s’arrêtait plus “au coin de la bouche” en 14-18…! Voir par exemple notre page Les Passerands du 30e RI ; il s’agissait d’apparaître le plus “effrayant” possible lors des assauts. Certains soldats ont raconté qu’on les avait obligés, pour cette raison, à porter la barbe, ce qui n’était guère apprécié à cause de la prolifération des… poux !
Les officiers généraux arborent bien sûr eux aussi leur moustache. Exemple, Ferdinand Foch, photographié ici en avril 1918 :
Autre renseignement trouvé in “L’almanach du drapeau ” de 1904 sous la rubrique Concours des plus belles barbes et moustaches de l’Armée française : ” Allons ! nous avons encore dans l’Armée française des moustaches fournies et des barbes opulentes. Elles repoussent ! C’est qu’en effet les unes et les autres furent terriblement persécutées. Rien qu’en ce qui concerne les officiers d’État-major, la moustache fut prohibée en 1826, exigée en 1832 et tolérée en 1834. Que dire des barbes ?” (…) (p. XLIV) Cette année-là, ce fut l’adjudant GIROD du 11e Cuirassiers qui gagna le concours ! Le port de la moustache chez les militaires français était bel et bien réglementé : Article 331 du Service Intérieur, extrait du Livre de l’Infanterie, édition Fournier, 1916. (source site pages14-18)
Dans l’armée, l’obligation de porter la moustache tombe en 1916 (Voir Bulletin des lois de la République française – Imprimerie nationale – ANNEE 1916 – page 1559 N°10266 Décret du 21 septembre 1916 modifiant le décret du 25 août 1913 sur le service intérieur des corps de troupe. Art. 331 : “après “Les militaires portent les cheveux courts, surtout par derrière, la moustache avec ou sans la mouche, ou la barbe entière.” Ajouter ” ils peuvent également être entièrement rasés.” (source disponible sur gallica.bnf.fr).
L’époque de modification de ce règlement pour l’armée n’est pas anodine, en plein milieu de la première Guerre Mondiale le glabre s’accommodait mieux au port des masques de protection contre les gaz qu’un système pileux hyper développé, d’où la nécessité d’autoriser les soldats à se raser entièrement. (Site passionmilitaria.com)
Certains documents de 1916 évoquent cet assouplissement du règlement militaire :
Pendant la Grande Guerre, les poilus français sont soumis à des codes vestimentaires et capillaires strictes. Aucune fantaisie n’est permise, Le Figaro du 26 septembre 1916 précise que c’est le Journal Officiel qui publie ces règlements. « Depuis le 26 septembre 1916, les soldats français ont le droit de se raser leur moustache. À vrai dire, beaucoup l’avaient pris sans attendre l’autorisation du Journal Officiel… Mais ils s’exposaient à autant de jours de salle de police que voulait bien leur en donner l’adjudant. » écrit Le Figaro du 26 septembre 1916. (site lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18)
MORAND, Paul -“Journal d’un attaché d’ambassade ,1916-1917” (Paris, Gallimard, 1996) : 21 octobre 1916 “Depuis hier, les poilus ont le droit de n’être plus poilus, de se raser la moustache. Il aura fallu deux ans. Au 36e d’infanterie mon sergent-major me menaçait de prison parce que je me rasais la moustache” (p.42). (source site pages14-18)
EN CONCLUSION
À l’armée, les soldats s’appellent officiellement « les hommes ». C’est d’ailleurs le terme le plus souvent employé dans les J.M.O.
Mais depuis 1914, dit Albert Dauzat, le terme « poilu » désigne pour le civil « le soldat combattant » qui défend notre sol, par opposition à « l’embusqué ». Le mot « fit irruption du faubourg, de la caserne, dans la bourgeoisie, dans les campagnes plus tard, par la parole, par le journal surtout, avec une rapidité foudroyante ».
Une version populaire de la signification prétend que le surnom fut donné pendant la Grande Guerre, du fait des conditions de vie des soldats dans les tranchées. Ils laissaient pousser barbe et moustache et, de retour à l’arrière, paraissaient tous « poilus ». Cette version ne peut trouver de fondements que dans les débuts de la guerre, car dès lors que les gaz eurent fait leur apparition, les masques à gaz bannirent la barbe des visages des soldats ainsi que du règlement militaire. Les journaux qui transmettaient les informations sur la guerre et le front étaient directement sous l’autorité de la censure et de l’armée, et n’utilisaient pas ce surnom. D’ailleurs, puisqu’il était interdit de diffuser des images prises en première ligne, celles illustrant journaux et cartes postales mettent en scène des acteurs ou au mieux des permissionnaires, non tenus aux exigences des premières lignes.
Voir aussi l’article « Le langage des poilus », texte écrit par Maurice Barrès à l’occasion de la Journée des Poilus le 25 décembre 1915
Sources et siters à consulter pour en savoir plus :
site lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18
site propaganda
site kaskapointe
site lespoilus.soforums
Site passionmilitaria.com, La moustache dans l’armée et la gendarmerie
site lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18
Voir nos autres pages sur
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en particulier notre page consacrée au monument aux morts de Passy.
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