Lire notre revue Vatusium n° 17, p. 49-50 (les Montées Pélissier avant 1778) et p. 66 (Chemin des Diligences aux Houches)
Un passage fort difficile
« Au sortir du pont Pelissier est un chemin d’environ trois quarts de lieue de long qu’on nomme les Montées, passage fort difficile. (…) » (La Rochefoucauld, Relation inédite du voyage aux Glacières de Savoye en 1762)
Lire la suite du § dans Vatusium n° 17, p. 49.
Pour se faire une idée de l’étroitesse de ce sentier avant les travaux d’élargissement de 1778, il suffit d’imaginer la scène, grâce au récit de Bourrit : « Un des côtés de la charge des mulets frottait les rochers, tandis que l’autre était suspendu sur le précipice. » (Bourrit, Nouvelle description des glacières et glaciers de Savoye, 1785)
Un défilé étroit et sauvage
« Ce ne sont pas les plantes seules qui donnent à cette route un caractère alpestre. Les rochers primitifs sur lesquels elle passe, l’Arve serrée dans un passage étroit et profond, son écume que l’on voit blanchir au travers des cimes des sapins qui sont fort au-dessous des pieds du voyageur, et de l’autre côté, un rocher noir, taillé presqu’à pic, teint çà et là de couleurs métalliques, et portant de place en place, comme sur des étagères, de grands sapins dont le vert obscur contraste avec la blancheur des bouleaux : tels sont les objets qui caractérisent l’avenue vraiment alpine de la vallée de Chamouni. » (Saussure, Voyages dans les Alpes § 509, 1779-1786)
Travaux d’aménagement terminés en 1778
Il faudra attendre 1775 pour que le sénat de Chambéry entreprenne des travaux d’aménagement de ces Montées. (Lire Vatusium n° 17, p. 50, article « Enfin un chemin à moitié carrossable aux Montées Pélissier »)
Trois ans après des chars-à-banc pourront y circuler. (Lire Vatusium n° 17, p. 54-55, article « De merveilleux voyageurs dans leurs drôles de machines »)
Mais le parcours reste périlleux, un vrai « coupe-gorge » pour reprendre l’expression du poète Laurent-Pierre Bérenger dans son Fragment d’un voyage dans le Recueil amusant des voyages, 1786, p. 123 à 126 (orthographe modernisée) :
« Il faut encore repasser l’Arve sur un pont non moins léger que hardi, nommé, je crois, le Pont Pélissier. Je vous fais grâce de mes notes sur la mine d’argent qu’on fouille dans la petite plaine de Servoz. Je pénétrai dans ce souterrain, et je vis avec angoisse ces malheureux Savoyards, jadis bergers et laboureurs, transformés en taupes, s’ensevelir sous terre et respirer des vapeurs mortelles pour gagner quelques sols. (…)
Enfin nous voici sur des montagnes primitives, nous voici véritablement dans les Alpes. Un air balsamique et frais, plus respirable, plus pur, fait ressentir une alacrité nouvelle.
Droite et roide est la côte et le sentier étroit.
On peut cependant y monter en carriole ; mais je ne conseille à personne de s’y hasarder en Phaéton du matin, comme l’osèrent entreprendre dernièrement quelques jeunes gens de Paris, en culotte soufrée et manchettes de filet brodé. La culbute serait certaine, et le char fracassé n’arriverait qu’en pièces au bas de l’effroyable précipice où l’Arve s’est creusé son lit dans le roc.
Des arbrisseaux charmants, des fleurs éclatantes et parfumées croissent dans ces déserts. L’aigle à queue blanche s’élançant de son aire, semble planer tranquillement sur vos têtes, et fond comme la foudre sur les marmottes qu’il enlève dans ses serres, tandis que son bec tranchant les déchire en lambeaux. On monte, on s’élève de plus en plus ; il est des moments où les précipices sont à pic sous vos pas. Le chemin se trouve çà et là pratiqué sur des espèces de corniches en saillie, et si juste, que la petite voiture l’occupe en entier, et sillonne quelquefois à hauteur d’appui le côté de la montagne à droite. Presque partout le sol est âpre et taillé en pointes de diamants. De noirs sapins, de tristes mélèzes ombragent lugubrement ce sombre chemin, et toute la décoration d’alentour est étrange et sévère, comme pour rendre plus saillant le contraste qui va paraître.
En sortant de ce coupe-gorge, on tourne à gauche, et l’on voit devant soi la vallée de Chamouni. Ses vertes prairies, ses bois suspendus, les glaciers qui l’entourent, et les hautes pyramides qui la menacent de leur chute, forment le coup d’œil le plus frappant et le plus neuf.
Quelle scène nouvelle étonne mes regards !
Un éternel hiver blanchit ces boulevards.
J’aperçois sur les rocs les longs flots des cascades
Durcis et suspendus à l’urne des Naïades (…)
J’aime de ces rochers la sauvage fierté,
Leur front ceint de frimas, par le nitre argenté,
Et le pin conservant sa verte chevelure,
Près du chêne honteux de régner sans parure *.
Cette vallée devenue si intéressante par les descriptions de MM. de Saussure, Coxe ** et Ramond **, doit désormais compléter un voyage en Suisse : tout ce que j’y ai vu et observé m’a paru justifier l’enthousiasme de ces auteurs célèbres. »
* Note CHePP : L’auteur cite des vers tirés de ses Idylles choisies de Bérenger, Idylle première, L’Hiver (Poésies, 2 volumes, 1785).
** Note CHePP : William Coxe (1747-1828), Lettres de M. William Coxe à M. W. Melmoth sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse, traduites de l’anglais et augmentées des observations faites dans le même pays par Mr Ramond, tome second, Paris, Belin, Lausanne, 1782. Et Voyage en Suisse et chez les Grisons, Voyage en Suisse (1790) et son « traducteur-adaptateur » Louis Ramond de Carbonnières (1755-1827), Traduction des lettres de W. Coxe, sur la Suisse, Paris, Belin, 1789 : Lettre XXI, p. 29 sq. « Du Valais et des crétins » ; Lettre XXII sur le Mont-Blanc, p. 71 sq.
Les Montées Pélissier au XIXe siècle
Samuel Birmann (1793-1847) voyage à Chamonix en 1823 et 1824 et publie “Souvenirs de la Vallée de Chamonix” en 1826 :
« Quand on a passé le pont Pelissier à une demi-lieue du Bouchet, on se trouve au pied des Montées. Le voyageur, qui a suivi jusqu’ici le cours de l’Arve, la quitte pour ne la rejoindre qu’au pont de la Piralota (Perolata) éloigné d’une demi-lieue du Prieuré. Les Montées offrent à l’œil une contrée des plus sauvages, armée de rochers, hérissée de sombres forêts. L’Arve, qui, pendant la plus grande partie de la route, se dérobe aux yeux du voyageur, n’avertit de sa présence que par le sourd mugissement de ses eaux au fond du précipice où elle coule invisible. Des sapins et des bouleaux ombragent la route, qui, contrainte de suivre tous les contours des rochers, conduit à chaque pas parmi de nouvelles beautés. L’aiguille et le dôme du Goûté se présentent supérieurement bien ; la hauteur prodigieuse dans laquelle ils s’offrent aux regards, surpasse tout ce qu’on a vu jusqu’à ce moment. Arrivé sur la hauteur, on voit tout-à-coup la scène changer ; à mesure qu’on avance, la vue se développe et s’étend ; la vallée de Chamonix prend un aspect riant ; le Mont-Blanc et ses aiguilles paroissent avoir perdu leur caractère sauvage et leur hauteur imposante. » (Souvenirs de la Vallée de Chamonix)
Voir aussi les descriptions de Désiré Raoul-Rochette, Victor Hugo, Francis Wey ; certains passages sont cités dans Le Livre d’or du pays du Mont-Blanc et de Chamonix aux XVIIIe et XIXe siècles, pages 88 et 92 :
Désiré Raoul-Rochette (1790-1854) était un archéologue français, conservateur du Cabinet des antiques et des médailles de la Bibliothèque royale, professeur d’archéologie ; il fut aussi Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts. C’est à 20 ans qu’il a effectué son voyage à « Chamouny » et emprunté les Montées Pélissier :
« Je ne vous dirai point ce que j’eus à souffrir dans ce trajet de deux heures à travers les nuages, sur des pentes souvent très rapides, qu’inondaient des torrents de pluie, percé jusqu’aux os, ébloui presque à chaque pas, et non moins assourdi par le fracas du tonnerre. J’aurais voulu attendre à Servoz la fin de l’orage ; mais j’étais encore plus pressé d’arriver à Chamouny ; et d’ailleurs, qu’avais-je à craindre de plus que ce que j’avais essuyé ? Je me remis donc en route après une courte halte, et je n’eus pas lieu de m’en repentir. La nature prend tout à coup ici un caractère si sauvage, l’escarpement des monts apparaît sous des formes si abruptes, la vallée qui se resserre, et le fleuve qui la sillonne en mugissant, s’enfoncent quelquefois en de si sombres profondeurs, qu’un pareil tableau ne saurait sans doute être éclairé d’un jour plus favorable, que par la tremblante lueur des éclairs et l’obscurité sinistre qui lui succède. C’est surtout auprès du pont de Pélissier, à l’entrée d’une grotte que l’Arve remplit tout entière de ses ondes écumantes, et des deux côtés de laquelle se dressent à perte de vue d’énormes rochers horriblement fracassés que ce genre de beauté se montre dans toute sa grandeur originelle. On chemine constamment sur le bord d’affreux précipices, par une route qui est cependant partout praticable en voiture ; et de l’autre côté, la montagne est habillée de noirs sapins, dans les interstices desquels on voit quelquefois étinceler les neiges du Mont-Blanc. On découvre enfin, en approchant du village des Ouches, la vallée de Chamouny, tapissée d’un frais gazon, couverte comme au hasard d’habitations, de bois et de moissons, au milieu desquelles descend un glacier d’une blancheur éblouissante, celui des Bossons ; deux autres glaciers, de Griaz et de Taconnay, pendent et semblent prêts à se détacher des flancs profondément sillonnés du Mont-Blanc ; et, plus loin, on aperçoit l’extrémité supérieure de la Mer de Glace, qui sous la forme d’un courant rapide tombe à flots pressés dans la vallée. (Désiré Raoul-Rochette, Lettres sur la Suisse écrites en 1820, suivies d’un voyage à Chamouny et au Simplon, Paris, 1822)
Victor Hugo a 23 ans quand il effectue son voyage dans les Alpes :
« Un pont se présente. Nous reprenons la rive gauche de l’Arve ; et, tandis que nos chars à bancs nous suivent péniblement, nous commençons à gravir à pied les montées. C’est un chemin étroit et rapide, laborieusement tracé le long d’un escarpement effrayant, auquel rien ne peut se comparer, si ce n’est la pente de la montagne qui borde l’Arve de l’autre côté.
Ce passage, tantôt creusé dans le roc vif, tantôt suspendu en saillie sur un abîme, communique de la vallée de Servoz à la vallée de Chamonix. On y glisse à chaque instant sur de larges dalles de granit qui font étinceler le fer des mulets. (…) On rencontre une croix dressée au bord du gouffre. Il faut passer vite devant cette croix ; elle signale un malheur et un danger. » (V. Hugo, Voyage aux Alpes, 1825)
Francis Wey (1812-1882) était inspecteur général de la Direction des Archives de Paris. Il est connu pour ses romans, ses pièces de théâtre, ses récits de voyage, ses critiques d’art et son travail sur la langue française.
« L’on traverse sur le pont Pellissier, au delà du vieux château de Saint-Michel (…). Là commence le redoutable passage des Montées, qui creuse graduellement sur la gauche, à mesure qu’il s’élève, un précipice énorme. (…) Cette route qu’il faut gravir à pied, tandis que les voitures vides sont remorquées par un cheval de renfort, forçat à quatre pieds qui accomplit une épreuve dantesque, cette route est dallée d’un cailloutis de roches et çà et là bordée d’ex-voto, de croix commémoratives qui rappellent d’anciennes catastrophes : l’abîme est là pour expliquer la légende. » (F. Wey *, La Haute-Savoie. Récits de voyage et d’histoire, 1865)
* Pour en savoir plus sur Francis Wey, voir sur le site Etudes photographiques l’article d’Anne de Mondenard, « “Entre romantisme et réalisme. Francis Wey (1812-1882), critique d’art” », Études photographiques,. 8 , Novembre 2000
En arrivant aux Houches, le voyageur passait par l’actuel « Chemin des Diligences » (voir notre page et d’autres photos dans Vatusium n° 17, p. 66) : seuls de petits chars-à-bancs démontables pouvaient y circuler…
Voir aussi
– Le pont Pélissier
– La traversée des Houches au XVIIIe siècle et le Chemin des Diligences
– Vatusium n° 17, la traversée de Passy
– La rivière Arve et Passy :
a. Présentation générale de l’Arve
b. L’Arve en amont de Servoz : Chamonix, barrage EDF des Houches et conduite forcée vers Passy
Autres pages sur les voies et moyens de communication de Passy.
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