Culture, Histoire et Patrimoine de Passy

William Windham, Relation d’un voyage aux glacières de Savoie en l’année 1741

Written By: BT

Lire notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 25 à 27, p. 58-59 (chamois).

William Windham, Richard Pococke et leurs compagnons traversent Passy le 20 juin 1741 pour se rendre aux « glacières de Chamouny ». William Windham est le premier à raconter, en français, son voyage dans une lettre au portraitiste  Jacques-Antoine Arlaud.
Voir notre page « Histoire des lettres de W. Windham et P. Martel relatant leurs voyages à Chamonix (1741 et 1742) par Théophile Dufour ».
Le fac-similé de cette lettre de Windham a été transcrit par CHePP. L’orthographe de l’époque a été conservée. Les expressions mises en caractères gras l’ont été par CHePP pour faciliter le repérage de certaines notions.

Signature de Windham et Pococke, 1741, près de la Mer de Glace

Signature de Windham et Pococke, 1741, près de la Mer de Glace

Relation d’un voyage aux glacières de Savoie en l’année 1741, par M. Windham, anglois

(Extraite du livre de Th. Dufour, pages 21 à 34)

Dans le texte, les phrases ou les expressions entre parenthèses (…) sont celles que la version anglaise de 1744 a supprimées, tandis que les expressions  entre crochets, tirées des notes, sont les mots que la même traduction a ajoutés ou changés.

« La relation, Monsieur *, que vous avez souhaité que je vous fisse de notre voyage aux glacières, sera des plus simples ; je ne chercherai point à l’embellir par de brillantes descriptions, quoique la beauté des vues et des situations que nous avons remarquées dans ces lieux peu fréquentés méritât bien d’être décrite par quelqu’un qui réunit à une imagination poétique le goût de la peinture.

Je me bornerai donc à vous faire une relation fidèle de notre voyage ; je vous dirai tout uniment les observations que nous y avons faites, et j’y joindrai quelques petits avis qui pourront être utiles à ceux qui dans la suite la même curiosité que nous eûmes, et qui pourront avoir des avantages que nous n’eûmes pas pour faire des remarques plus exactes. Il est réellement dommage qu’une si grande curiosité soit si peu connue, et quoique Scheutzer (1), dans son Iter Alpinum, fasse une description des glacières de la Suisse, il me paroît qu’il y a beaucoup de différence entre celles-là et celles de Savoie.

* Jacques-Antoine Arlaud, célèbre portraitiste, né en 1668, établi dès 1688 à Paris, où il devint peintre du régent, revenu à Genève en 1720, mort dans sa campagne de Malagnon le 25 mai 1743 (et non en juin 1746, comme le dit M. Rigaud, Renseignements sur les beaux-arts à Genève, édit. de 1876, p. 119, 121). – Par une erreur assez plaisante, M. Forbes le qualifie peintre de paysages.

Note CHePP : Jacques-Antoine Arlaud fut un peintre en miniature de grand renom. Issu d’une famille d’horlogers genevois, frère aîné de Benjamin Arlaud, Jacques-Antoine vint en France compléter sa formation, travailla à Dijon pour des joailliers et vint ensuite à Paris où il fut peintre du Régent à partir de 1688. Selon le Journal Helvétique, le Régent disait de lui : « Jusqu’à présent les peintres en mignature ont fait des images, c’est Arlaud qui leur a appris à faire des portraits ; sa mignature a toute la force de la peinture à l’huile ».

(1) Windham veut parler ici de l’ouvrage de J. J Scheuchzer qui a pour titre : Ouresiphoites Helveticus sive itinera per Helvetiae alpinas regiones facta annis MDCCII-MDCCXI. Lugduni Batavorum, 1723, 4 part. in-4°

Note ChePP : Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733) était un médecin et un naturaliste suisse ; on le connaît surtout pour son interprétation des fossiles comme vestiges du Déluge. Les illustrations et les textes de Ouresiphoites Helveticus, sive itinera per Helvetiae alpinas regiones de Johann Jakob Scheuchzer en ligne dans VIATIMAGES.

Il y avait longtemps que je souhaitois de faire ce voyage, mais la difficulté de trouver de la compagnie m’avoit toujours fait le différer. Heureusement, au mois de juin 1741, il arriva à Genève un Anglais nommé Pocock, qui avoit déjà parcouru toute l’Egypte et le Levant. Je lui fis part de ma curiosité, et lui, qui ne craignoit point un voyage pénible, témoigna beaucoup d’envie de le faire, de sorte que nous fîmes la partie. Quand nos autres amis la virent engagée, ils se joignirent bientôt à nous.

Comme tout le monde assuroit qu’on ne trouveroit aucune des nécessités de la vie dans ce pays, nous prîmes avec nous des chevaux de bât, chargés de toute sorte de provisions de bouche et d’une tente, qui ne laissa pas de nous être utile, quoique la mauvaise idée qu’on nous avoit donnée de ce pays fût un peu outrée.

Je m’étois pourvu de plusieurs instruments de mathématiques pour prendre des hauteurs et faire des observations, espérant que M. Williamson, gouverneur de Mylord Hadington et habile mathématicien, auroit été des nôtres ; mais la crainte de la fatigue l’ayant fait abandonner la partie, je les laissai, à cause de la difficulté de les porter, n’y ayant d’ailleurs personne d’autre dans la compagnie si capable de diriger de telles entreprises.

Nous partîmes de Genève le 19 juin 1741, au nombre de huit maîtres (1) et cinq domestiques, tous bien armés ; nos chevaux de bât nous accompagnoient et cela nous donnoit tout l’air d’une petite caravane.

Nous ne fûmes ce jour-là qu’à la Bonneville, éloignée de quatre lieues de Genève, selon le calcul du pays, mais qui prirent six grandes heures pour les faire. Cet endroit est situé aux pieds du mont du Môle et au bord de l’Arve, entouré de hautes montagnes, couvertes d’arbres, et de belles prairies qui forment une situation très agréable. Il y a un pont de pierre assez beau, mais l’inondation (2) de la rivière en avoit emporté une partie. Nous trouvâmes l’auberge assez passable aux lits près.

(1) A savoir lord Hadington, l’honorable M. Baillie, son frère, et MM. Chelwynd, Aldworth, Pococke, Price, Windham et Stillingfleet.
(2) Ce débordement de l’Arve eut lieu les 20 et 21 décembre 1740.

Le lendemain 20, nous partîmes de grand matin et traversâmes l’Arve. Nous continuâmes notre route entre l’Arve  et les montagnes, ce qui nous fournissoit une diversité agréable de beaux paysages. On compte deux lieues jusqu’à Cluse, mais nous mîmes trois heures et demie pour faire ce chemin. Cluse est situé dans une gorge de montagnes qui se joignent dans cet endroit, laissant seulement un passage à l’Arve, qui est resserrée pendant plus d’une lieue par de hautes montagnes.

Avant que d’arriver à Cluse, il y a une espèce d’ermitage sur un rocher à droite, où nous grimpâmes pour découvrir la vue, qui est charmante ; ensuite nous passâmes l’Arve sur un [beau] pont de pierre [d’une seule arche très grande]. »

Lire la suite du récit dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 26

« Il y en a une, entre autres, d’une grande beauté : on l’appelle le nant d’Arpenas * ; c’est un gros torrent qui se précipite d’un rocher fort haut. Tous mes compagnons s’accordèrent à juger sa hauteur plus grande que celle de Salève (4) ; pour moi, je n’en décide pas. La cascade de Terni (5) ne tombe pas de si haut à beaucoup près, à ce qui me parut, quoique dans le temps que nous vîmes celle-ci, il n’y avoit pas une si grande nappe d’eau qu’à Terni. Les paysans nous assurèrent pourtant que, dans certaines saisons, l’eau y était beaucoup plus abondante qu’alors. Après environ trois heures de marche depuis Cluse, nous arrivâmes au pont St-Martin, vis-à-vis de Sallanche. (…) »
* Voir notre page Cascade d’Arpenaz

(4) Le Salève est une montagne située à environ trois milles de Genève : sa hauteur approximative est de 1500 pieds de France.
(5) la célèbre cascade delle marmore, à 8 kilom. à l’est de Terni (anciens Etats romains)

Lire la suite du récit concernant Sallanches, Passy et l’épisode du déguisement de R. Pococke « en habit arabe » dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 26.

Richard POCOCKE en costume oriental, par Jean-Étienne Liotard, 1738

Richard POCOCKE en costume oriental, par Jean-Étienne Liotard, 1738

« [De là, nous reprîmes notre voyage, et] Après quatre heures de marche par de très mauvais chemins, étant obligés de traverser de fort mauvais torrents, nous arrivâmes à un petit village nommé Servoz. Nos chevaux y souffrirent beaucoup, étant attachés au piquet toute la nuit, faute d’écurie, et, de plus, n’ayant point d’avoine, ni autre fourrage que de l’herbe nouvellement coupée. Pour nous, ayant apporté tout avec nous, nous fûmes bien et dormîmes tranquillement dans une grange, sur de la paille. (…) »

Lire la suite du récit dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 26.

Nous continuâmes notre route jusqu’à Chamougny, qui est un village sur le bord [le bord nord] de l’Arve, dans une vallée, où il y a un prieuré dépendant des chanoines de Sallanches. Nous y campâmes (3) et, pendant que l’on préparoit des rafraîchissements, nous nous informâmes des paysans touchant les glacières. (…) »

(3) Ceci est corroboré par le témoignage de Bourrit, qui dit à propos des voyageurs de 1741 : « Quelques personnes de Chamouni se rappellent encore de les avoir vus sous des tentes, dans une prairie près de l’Arve, faire une garde très exacte à l’entour de leur petit camp. » (Description des glacières, glaciers et amas de glace du duché de Savoye, 1773, p. 5). Voy. Aussi II. B. de Saussure, Voyages dans les Alpes, § 732. – Dès lors, il n’y a pas à tenir compte de la tradition qui fait loger Windham et ses compagnons « dans un petit cabaret tenu par Jean-Pierre Tairraz. » (W. Longman, art. cité, p. 4)

Lire la suite du récit dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 58.

« Un bon vieillard, prieur du lieu, qui nous fit mille politesses, nous dissuada fort d’aller plus haut. »

Note sur les bouquetins et les chamois : lire notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 58.

« Il y avoit d’autres personnes qui nous représentoient la chose comme fort facile, mais nous nous apercevions bien qu’ils comptoient qu’après être convenus avec eux pour nous servir de guides, nous nous lasserions bientôt, et qu’il gagneroient leur argent aisément. Cependant notre curiosité l’emporta et nous confiant en nos forces et en notre courage, nous résolûmes d’entreprendre de monter la montagne. Nous prîmes plusieurs paysans, les uns pour nous servir de guides et les autres pour porter du vin et quelques provisions ; ces gens-là étoient si persuadés que nous n’en viendrions pas à bout qu’ils prirent avec eux des chandelles et des instruments pour battre le feu, en cas qu’accablés de lassitude nous fussions obligés de passer la nuit à la montagne.

Pour éviter que ceux d’entre nous qui étoient les plus lestes et les plus en haleine ne fatiguassent les autres à force de se presser, nous fîmes une règle pour la marche, que personne ne devroit devancer un autre, que celui qui tiendrait la tête eût à marcher d’un pas lent et réglé, que quiconque se sentiroit las et étouffé pourroit demander une halte et qu’enfin, quand nous trouverions quelque source, nous eussions à boire du vin mêlé avec de l’eau et remplir d’eau les bouteilles que nous avions avec nous pour servir à une halte [à une autre halte où nous n’en trouverions pas]. Ces précautions nous furent si utiles que peut-être, si nous ne les avions pas observées, les paysans ne se seroient pas trompés dans leurs conjectures.

Nous nous mîmes en marche à midi du 22 juin et nous traversâmes l’Arve sur un pont de bois. La plupart des cartes marquent les glaciers du même côté que Chamoigny, mais elles se trompent. Nous fûmes bientôt au pied de la montagne et nous commençâmes à monter par un sentier extrêmement rapide, à travers vers un bois de sapins et de larches. (1) Nous faisions souvent des haltes, pour nous reposer et pour reprendre haleine, mais nous ne laissions pas de monter avec diligence. Après avoir passé le bois, nous vînmes à une espèce de prairie, pleine de grosses pierres de roche qui s’étoffent détachées de la montagne. La montée étoit si rapide qu’il nous fallait quelquefois nous accrocher avec nos mains et nous servir de bâtons ferrés pour nous soutenir. Notre chemin alloit en biaisant, et nous eûmes à traverser plusieurs endroits où les avalanches (2) de neige étoient tombées et avoient fait un dégât affreux. Ce n’étoit qu’arbres déracinés et de grosses pierres qui sembloient ne tenir à rien. A mesure que nous posions les pieds, tout s’écrouloit. [La neige, mêlée à la terre nous faisait glisser : sans nos bâtons et nos mains, nous aurions pu mainte fois rouler dans le précipice]. Rien ne nous empêchoit de voir jus­qu’au pied de la montagne, et la rapidité de la pente, jointe à la hauteur où nous étions, faisoit un spectacle affreux et capable de faire tourner la tête à la plupart des gens. Enfin, après quatre heures trois quarts de marche très pénible, nous nous trouvâmes au sommet de la montagne, d’où nous jouîmes de la vue des objets les plus extraordinaires.

Nous étions sur le sommet d’une montagne qui, à ce que nous pouvions juger, étoit au moins deux fois de la hauteur de Salève. Je vous avoue que je suis extrêmement embarrassé à vous en donner une idée juste, ne connaissant, de tout ce que j’ai encore vu, rien qui y ait le moindre rapport. La description que donnent les voyageurs des mers de Groenland me paroît en approcher le mieux. Il faut s’imaginer le [votre] lac agité d’une grosse bise et gelé tout d’un coup ; encore ne sais je pas bien si cela feroit le même effet.

La glacière consiste en trois grandes vallées formant (2) un Y [une sorte d’Y] dont la queue va jusqu’à la Val-d’Aoste, et les deux cornes viennent jusqu’à la vallée de Chamouny (Chamoigny). (3) L’endroit où nous sommes montés étoit entre ces deux cornes, d’où nous voyions en plein la vallée qui forme une de ces cornes.

J’avois malheureusement oublié [à Chamoigny] ma boussole [de poche], de sorte que je ne pus bien morienter par rapport à la situation de la glacière, mais je la crois à peu près du septentrion au midi. Ces vallées, quoiqu’au sommet d’une haute montagne, sont environnées d’autres encore plus hautes, dont les rochers arides et escarpés s’élèvent d’une hauteur immense, ressemblant en quelque façon à des bâtiments [ou des ruines] d’architecture gothique, (et qui nous pa­roissoient infiniment plus hauts que la montagne où nous étions). Il n’y croit rien, la neige y reste toute l’année et nos guides nous assurèrent que les chamois, ni les oiseaux n’alloient pas jusqu’au sommet.

(1) Sic, pour mélèzes, en anglais larch.
(2) [en note : Avalanches : Pour faire comprendre la signification de ce terme, je crois qu’il y aura quelque intérêt pour le lecteur à tirer des Délices de la Suisse les passages suivants, qui offrent des particularités curieuses sur ces contrées montagneuses du globe. (Sull. en quatre colonnes, la traduction d’un long fragment, qui, dans L’Etat et les Délices de la Suisse, édition d’Amsterdam, l730, occupe les p. 36-44 du t. 1, depuis : « Outre ces montagnes… »  jusqu’à : … « du moins pour la plupart. »)]
(3) Ici la note suivante en marge du manuscrit : Ceci n’est pas exact : la grande branche de cet Y doit être celle qui va au Mont-Blanc, et la branche qui descend dans la valide de Chamoigny doit être plus courte que celle qui va à la Val-d’Aost.

Les chercheurs de cristaux vont, dans le mois d’août, au bas de ces rochers et frappent sur le roc avec des pics. S’ils entendent résonner, comme s’il y a un creux, ils travaillent et ouvrent le roc : ils trouvent des cavernes pleines de cristallisations. Nous aurions souhaité d’y aller, mais la saison n’étoit pas encore assez avancée ; les neiges n’étoient pas encore assez fondues.

Tant que notre vue pouvoit s’étendre, nous voyions cette vallée. La hauteur des rochers qui l’environnoient rendoit impossible d’en décider la largeur, mais je crois qu’elle doit être de près de trois quarts de lieue. Notre curiosité ne se borna pas là ; nous voulûmes descendre jusque sur la glace. Nous avions bien 400 pas [yards] à descendre. La descente étoit extrêmement rude, d’une terre sèche entremêlée de gravier et de petites pierres, qui ne nous donnoit point d’appui fixe pour nos pieds, de sorte que nous descendîmes moitié eu tombant, moitié en glissant sur nos pieds et nos mains. Nous fûmes sur la glace : cela ne nous étoit pas difficile. La glace étoit extrêmement raboteuse [et nous donnait un appui solide pour le pied]. Nous y trouvâmes une quantité de fentes infinie ; nous en pouvions enjamber quelques-unes, d’autres, avoient plusieurs pieds de largeur. Ces fentes étoient si profondes que nous n’en pouvions pas même voir le fond. Souvent les chercheurs de cristaux s’y perdent ; on retrouve au bout de quelque temps leurs corps [sur la glace] tout-à-fait conservés. Tous nos guides nous assurèrent que ces fentes changent continuellement et que toute la glacière a un certain mouvement. En montant, nous entendîmes souvent comme des coups de tonnerre que nos guides nous assurèrent être de nouvelles fentes qui se faisoient, mais il ne s’en fit point pendant que nous étions sur la glace. Je n’oserois décider si c’étoit cela, ou bien des avalanches ou des rochers qui tom­boient. Cependant les voyageurs remarquent que dans le Groenland la glace se fend avec des éclats qui ressemblent au tonnerre, de sorte que ce pourroit bien être ce que disoient nos guides. Comme, dans tous les pays ignorants, on est assez superstitieux, ils nous firent plusieurs contes ridicules de sorciers, etc., qui venoient faire leur sabbat sur la glacière et danser au son des instruments ; nous aurions été fort surpris s’ils n’avaient pas eu de légendes pareilles.

Les bouquetins se tiennent souvent par troupes au nombre de quinze ou seize sur la glace. Nous n’en vîmes point ; il y avoit bien des chamois sur lesquels nous tirâmes, mais de trop loin pour faire quelque effet.

Il y avoit de l’eau qui découloit continuellement de la glacière, que nos guides estimoient fort saine, et ils disent qu’on en peut boire [en aussi grande quantité que l’on veut] (en tout temps) sans en ressentir la moindre incommodité, quand même on a bien chaud.

Le soleil y donnoit avec beaucoup d’ardeur, et la réverbération de la glace et des rochers circonvoisins fai­soit qu’il y avait beaucoup d’eau dégelée dans les cavités de la glace, mais la nuit je crois qu’elle y gèle toujours.

Nos guides nous assurèrent que, du temps de leurs pères, la glacière était peu de chose et que même il y avait au passage par ces vallées, par lequel on pouvait, en six heures de temps, entrer dans la Val-d’Aoste, mais que la glacière avait accru considérablement, que le passage étoit à présent bouché et que la glace s’augmentoit toutes les années.

Nous trouvâmes au bord de la glacière plusieurs morceaux de glace, que nous prîmes d’abord pour des rochers, qui étoient gros comme des maisons et qui étaient séparés de la glacière. Je ne comprends pas comment ils s’y sont formés.

Ayant resté à peu près demi-heure sur la glace et ayant bu en cérémonie à la santé de l’amiral Vernon (1) et au succès des armes britanniques, nous grimpâmes avec une fatigue incroyable au sommet d’où nous étions descendus, la terre s’écroulant sous nos pieds à chaque pas. De là, après nous être reposés quelques moments, nous commençâmes à descendre et nous arrivâmes à Chamoigny (Chamouny) que la nuit commençoit, au grand étonnement des gens du pays et même de nos guides, qui nous avouèrent qu’ils ne croyaient pas que nous eussions achevé notre entreprise.

(1) L’amiral Vernon, très populaire en Angleterre depuis la prise de Porta-Bello *, venait de diriger, de concert avec le général Wentworth, une nouvelle expédition contre les possessions espagnoles en Amérique : elle se termina par les échecs désastreux de Carthagène et de Santiago (printemps et été 1741).

* Note CHePP : forteresse espagnole de Portobelo au Panama, prise le 21 novembre 1739. La réputation de Vernon fut compromise dès mars 1741 par son humiliante défaite devant Carthagène des Indes, (aujourd’hui Carthagène en Colombie) : ses forces d’invasion, comptant 23 600 hommes et 186 navires, ne purent l’emporter sur Blas de Lezo, qui défendait la ville avec seulement 3 000 soldats, 600 indiens et les équipages de 6 frégates. Le siège fut levé après 67 jours de combat. Vernon s’empara brièvement de la baie de Guantanamo à Cuba, de juillet à décembre 1741. Il était arrivé avec huit vaisseaux de ligne et 4 000 soldats, dans l’intention de marcher sur Santiago de Cuba, mais dut se retirer devant les actions de guérilla de la population.

Notre curiosité étant pleinement satisfaite, nous partîmes le lendemain de Chamouny (Chamoigny) et, ayant couché à Sallanches, nous arrivâmes le 23 à la Bonneville. La proximité de cet endroit au Môle nous inspira l’envie d’y monter : nous partîmes donc le matin à la pointe du jour de la Bonneville pour y aller.

Nous crûmes qu’après les glacières toute montagne nous paraîtroit facile : cependant nous mîmes cinq grandes heures à monter au sommet du Môle, la pente étant d’une rapidité extraordinaire, quoiqu’après avoir fait les deux tiers du chemin on se trouve dans une belle prairie qui va jusqu’au sommet, qui est absolument pointu, la montagne étant en pain de sucre [d’un côté] et fort escarpée du côté opposé à Genève. De cette pointe, on a une vue des plus charmantes, d’un côté, sur le lac de Genève et les pays circonvoisins, et de l’autre, sur des montagnes es­carpées [couvertes de neige, qui s’élèvent tout autour en amphithéâtre] qui fournissent une perspective des plus pittoresques. Après avoir resté quelque temps dans cet endroit, nous descendîmes la montagne et allâmes coucher à Annecy, d’où le lendemain nous retournâmes à Genève.

Il faudroit que ceux qui, dans la suite, auroient envie de faire ce voyage fissent en sorte de ne partir que vers la mi-août (…) ; »

Lire la suite de la lettre dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 26

« Une tente ne serait pas nécessaire, à moins qu’on ne voulût examiner tout avec la dernière exactitude et faire des observations. Dans ce cas, on la pourroit dresser sur la montagne (dite le Montantverd) et y rester, si on étoit obligé d’y passer la huit, car il n’y fait pas extrêmement froid. [Avec ces précautions, on pourrait visiter les autres parties des vallées qui forment l’Y], et l’on pourroit s’assurer si les fentes de la glacière changent de jour en jour, comme on l’a dit. Même  [on pourrait ainsi mesurer ces rochers fort élevés qui sont au bord de la glacière et faire plusieurs autres observations curieuses, selon le goût et le genre d’esprit des voyageurs, qui, s’ils avoient du penchant pour la botanique, trouve­raient un vaste champ d’observations] on pourrait examiner la glacière et faire beaucoup d’autres observations curieuses. Une personne qui saurait dessiner aurait de quoi s’exercer, soit dans la route, soit au même lieu.

Enfin, les habiles gens feraient bien des choses que nous n’avons pas faites. Tout le mérite que nous pouvons prétendre, c’est d’avoir frayé le chemin à quelques curieux. (…) »

Lire la suite de la lettre dans notre revue Vatusium n° 17, La traversée de Passy, p. 26

« Tel est, Monsieur, le résumé de mes souvenirs de voyage. Si j’ai tardé si longtemps à vous le donner, cela tient à ce que je me sentais incapable de vous offrir quelque chose qui tût digne de votre bon goût. Cependant, c’est précisément votre bon goût qui devrait m’encourager : votre imagination vive et pénétrante, qui réunit le poète au peintre, complétera avec indulgence ce que je n’ai que légèrement esquissé. Je suis, avec la plus grande estime, Monsieur, votre très obéissant et humble serviteur. »  (Fin de la lettre et du récit de Windham)

Une version numérique du livre de Th. Dufour est disponible sur le site gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France. 

Voir aussi le texte de Pierre Martel :   Pierre Martel, Voyage aux glacières du Faucigny, 1742 

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