Culture, Histoire et Patrimoine de Passy

Rédactions et dictées patriotiques dans le Cahier d’Eugène Delale, Passy, 1882

Written By: BT

Lire notre revue Vatusium n° 16, pages 28-29, « L’éducation civique, patriotique, républicaine et militaire de 1870 à 1914 ». 

Extrait de la page 28 : « Une solide éducation civique, républicaine et patriotique transparaît régulièrement dans les exercices de rédaction et de dictée donnés aux enfants. A l’école du Chef-lieu de Passy, le « Cahier de mise au net » d’Eugène Delale, daté de 1882, en donne des exemples significatifs. ».
Voir page 29 la transcription des deux sujets suivants :

Style. Rédaction du 27 mars 1882,  pages 50-51 : Devoirs envers la patrie.
Dictée du 8 mars 1882, pages 22-23 : Le soldat

Voici en BONUS d’autres textes du Cahier d’Eugène Delale :

Style. – Rédaction du 13 mars 1882 : Le retour du régiment. (transcription ci-dessous)

fac-similé de la page 27 du cahier d'Eugène Delale (Coll. Jean Perroud)

fac-similé de la page 27 du cahier d’Eugène Delale (Coll. Jean Perroud)

Canevas : Un régiment revenant de Tunisie est passé non loin de votre école. Le maître vous a mené (sic) à sa rencontre. Dites ce que vous avez vu ; et les impressions que vous a laissées ce spectacle patriotique.

Développement

« La guerre de Tunisie tirait à sa fin, lorsqu’on conclut le traité du Bardo. Quelques troupes seulement restaient en Tunisie pour achever la pacification du pays. Les soldats s’en revenaient dans les villes où ils tenaient garnison, et avaient le plaisir de revoir leur patrie. C’était midi, lorsque nous apprîmes qu’un régiment qui avait pris part à la guerre devait passer non loin de notre école.

Notre maître, au lieu de nous renvoyer aussitôt, nous mena à sa rencontre.

Un nuage de poussière s’élevait au loin. Bientôt nous pûmes distinguer les pantalons rouges de nos chers soldats qui s’avançaient au son de la musique et chantaient la marseillaise ; c’était le 125e de ligne.

Ces soldats avaient été noircis par le soleil d’Afrique, et la fumée des canons ; ils ressemblaient à des figures bazanées (sic) qui faisaient plaisir à voir.

Les fenêtres s’ouvrent, le monde descend dans la rue, et le régiment s’avance aux acclamations de la foule. Nous-mêmes, lorsque le régiment passa à côté de nous, nous otâmes (sic) notre chapeau : « Vive les soldats ! Vive la France ! »

En avant s’avançait le colonel, puis après venaient ses soldats, accompagnés de leurs sergents et de leurs officiers.

Au milieu se dressait le drapeau tricolore, autour duquel on voyait des bras en écharpe, des hommes sur des béquilles, des balafres à la figure ; tout cela prouvait que le drapeau avait été défendu avec courage. »

Note CHePP : Après le congrès de Berlin du 13 juin au 13 juillet 1878, l’Allemagne et l’Angleterre permettent à la France d’annexer la Tunisie, et cela au détriment de l’Italie, qui voyait ce pays comme son domaine réservé. Les incursions de « pillards » khroumirs en territoire algérien fournissent un prétexte à Jules Ferry, soutenu par Léon Gambetta face à un parlement hostile, pour souligner la nécessité de s’emparer de la Tunisie. En avril 1881, les troupes françaises y pénètrent sans résistance majeure et parviennent à occuper Tunis en trois semaines, sans combattre. Le 12 mai 1881, le protectorat est officialisé lorsque Sadok Bey signe forcé, sous peine de mort, le traité du Bardo au palais de Ksar Saïd. (Wikipedia)

Dictée du 22 mars 1882, pages 43-44 : Le patriotisme dans la vie civile. Concours départemental, 11 août 1881. Nièvre.

« Vous savez combien il est important, pendant les opérations d’une guerre, d’être averti promptement des moindres mouvements de l’ennemi, et de pouvoir envoyer rapidement des ordres aux différents corps d’armée. Le télégraphe rend par conséquent les plus grands services aux armées en campagne. Aussi pendant la dernière guerre franco-allemande, les Prussiens, quand ils arrivaient dans une ville, n’avaient rien de plus pressé que de s’emparer du thélegraphe (sic).

A Phithiviers (sic), ils trouvèrent une jeune directrice âgée de vingt ans, Melle Juliette Dodu. Le premier soin des Prussiens fut de mettre la main sur les appareils et de reléger (sic) Melle Dodu dans sa chambre. De la sorte, ils pensaient pouvoir manœuvrer secrètement sans que personne ne connût le contenu des dépêches qu’ils envoyaient ou qu’ils recevaient.

Seulement, le fil de la station, traversait la chambre de Melle Dodu. Il suffisait d’y attacher un autre fil et de mettre ce second fil en communication avec d’autres appareils pour connaître les secrets que le fil emportait. »

Extrait du Vatusium n° 16, page 29 : « Les grandes figures de l’histoire de France, symboles de l’indépendance et de sauvegarde du territoire, sont évoquées régulièrement dans les exercices de français, et la République est valorisée. Eugène Delale, le petit écolier du Chef-lieu de Passy, apprend ainsi l’histoire de France à travers celle de Clovis, Poitiers, Jeanne d’Arc ; et si l’on parle de Louis XI, c’est pour évoquer ses « remords »… »

Voici ces textes :

Dictées du 28 février et du 1er mars 1882 : Entrée de Jeanne d’Arc à Reims (17 juillet 1429)

« L’antique cité de Reims présentait un aspect inaccoutumé ; dès le matin, les cloches avaient annoncé un grand jour. Toute la ville était en mouvement ; les citoyens parés de leurs habits de fête, accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, couraient en foule vers les portes : là se trouvaient déjà réunis les habitants de la campagne, venus pendant la nuit des villages environnants. On attendait l’héroïne qui sauva la France.
Voici qu’on découvre au loin un nuage de poussière qui lentement s’avance et grandit à l’horizon. Un murmure de joie s’élève au milieu de la foule. On distingue déjà le son lointain des trompettes belliqueuses. Le cortège paraît. Jeanne s’anvance (sic), simple et modeste, noble et radieuse, montée sur son cheval de bataille. Tous les regards se portent sur elle. De tous côtés des arcs de triomphe ornés d’inscriptions et de guirlandes attestent la reconnaissance publique. »

« Le nom de Jeanne d’Arc retentit en mille acclamations : on salue la libération du royaume, l’humble bergère, l’héroïne aux armes triomphantes. Jeanne partage l’enivrement de la foule ; elle semble heureuse. Hélas ! une triste épreuve l’attend. Soudain elle pâlit, elle s’arrête, et jetant les yeux sur un groupe qu’elle aperçoit : « Mon père ! s’écrie-t-elle, mes sœurs ! » Puis baissant la tête, elle se met à pleurer. Quand sera-t-elle rendue à ces douces joie (sic) de famille qui pour elle ont duré si peu ? Un voile épais couvre l’avenir. Attirés par la curiosité, quelques Anglais captifs avancent la tête entre les barreaux de leur prison. Bientôt ils apprendront qu’à la demande de Jeanne, le roi leur accorde la liberté. Jeanne leur a sauvé la vie ; elle les reverra sur la place de Rouen, applaudissant à son martyre. » Elevart.

INGRES, Jeanne d'Arc lors du sacre de Charles VII à Reims (Source Internet)

INGRES, Jeanne d’Arc lors du sacre de Charles VII à Reims (Source Internet)

Dictée du 25 mars 1882, pages 49-50 : Francs et Arabes à Poitiers.

« Les Francs contemplaient d’un œil surpris ces myriades d’hommes bruns aux turbans blancs, aux burnous blancs, aux boucliers ronds, aux sabres courbes, aux légères zagaies *, caracolant parmi des tourbillons de poussière, sur leurs cavales échevelées. Les géants du Nord avaient leurs longs cheveux blonds, leurs heaumes brillants, leurs casques de peau de buffle, ou de mailles de fer, leurs longues épées, et leurs énormes haches. » Henri Martin **.

* Note CHePP : autre mot pour « sagaie »
** Note CHePP : Henri Martin est l’auteur d’une Histoire de France populaire (1867-1875). Il a l’idée de remplacer les phases principales de l’histoire de France (notamment les dynasties) par des héros accompagnés de leurs mythes : Vercingétorix, Jeanne d’Arc, etc. Une avenue parisienne du XVIe arrondissement porte son nom (cf. le Monopoly !). 

La leçon sur Clovis dans le manuel Bernard et Redon (Source Internet)

La leçon sur Clovis dans le manuel Bernard et Redon (Source Internet)

Dictée du 28 mars 1882, pages 53-54 : Clovis (Participe passé)

« On a prétendu étudier la politique de Clovis et peindre son caractère ; on lui a prêté les combinaisons, les vues, les sentiments tantôt d’un savant et cruel despote, tantôt d’un conquérant à vaste desseins, quelquefois d’un profond législateur. D’autres se sont élevés contre ses vices, ses crimes, lui ont refusé tout mérite, toute gloire, et n’ont voulu voir en lui qu’un heureux et odieux barbare. Les uns ont inventé un homme ; les autres ont méconnu des faits. Le caractère individuel de Clovis nous est inconnu ; la politique prévoyante et régulière qu’on lui attribue était impossible dans sa nation et de son temps. Tout ce qu’on lui attribue, ce que les faits ne permettent pas de nier, c’est qu’il était, au milieu des barbares, un barbare doué de facultés supérieures et de cette insatiable avidité qui les accompagne. Un de ces hommes que rien ne satisfait ni ne lasse, ni ne trouve dans le repos que l’impatience et la fatigue, nés pour le mouvement parce qu’ils portent en eux-mêmes la force qui remue toutes choses, et incapables de s’arrêter devant un crime, un obstacle ou un danger. » Guizot *.

* Note CHePP : François Guizot (1787-1874) est un historien et homme politique français. On lui doit, entre autres,  Essai sur l’histoire de France du Ve au Xe siècle, 1823 ; Essais sur l’histoire de France, 1836 ; L’histoire de France depuis les temps les plus reculés jusqu’en 1789, 1870-1875, 5 vol.

Dictée du 29 mars 1882, pages 54-55 : Révolution française.

« Pour opérer les grandes réformes qu’elle avait entreprises, la Révolution a eu beaucoup d’obstacles à vaincre, ce qui a produit des excès passagers à côté de bienfaits durables. Les privilégiés ont voulu l’empêcher, l’Europe a tenté de la soumettre, et, forcée à la lutte, elle n’a pu ni mesurer ses efforts, ni modérer sa victoire. La résistance intérieure a conduit à la souveraineté de la multitude, et l’agression du dehors à la domination militaire.

Cependant le but a été atteint : malgré l’anarchie et malgré le despotisme, l’ancienne société a été détruite pendant la Révolution, et la nouvelle s’est assise sous l’Empire. Lorsqu’une réforme est devenue nécessaire et que le moment de l’accomplir est arrivé, rien ne l’empêche et tout la sert. Heureux alors les hommes, s’ils savaient s’entendre ; si les uns cédaient ce qu’ils ont de trop, si les autres se contentaient de ce qui leur manque, les révolutions se feraient à l’amiable, et l’historien n’aurait à rappeler ni excès ni malheurs ; il n’aurait à montrer que l’humanité rendue plus sage, plus libre et plus fortunée. Mais jusqu’ici les annales des peuples n’offrent aucun exemple de cette prudence dans les sacrifices : ceux qui devraient les faire les refusent ; ceux qui les demandent lui imposent *, et le bien s’opère comme le mal, par les moyens et la violence de l’usurpation. » Mignet **.

Notes CHePP : * lire « ceux qui les désirent les imposent ». ** François-Auguste Mignet (1796-1884, écrivain, historien, journaliste et conseiller d’Etat français), Histoire de la Révolution française depuis 1789 jusqu’en 1814, publiée en 1880. La dictée est extraite de l’Introduction (livre disponible gratuitement en ligne).

Dictée du 4 avril 1882, pages 63-64 : Remords de Louis XI.

Louis XI, malade, a fait venir de Calabre François de Paule à qui l’on attribuait de nombreuses guérisons. Après lui avoir demandé de prolonger sa vie et fait l’aveu de ses crimes le roi lui trace le tableau des tortures qu’il endure.

« Ah !si dans mes tourments, vous descendiez, mon père,

Je vous arracherais des larmes de pitié !

Les angoisses du corps n’en sont qu’un (sic) moitié,

Poignante, intolérable, et la moindre peut-être.

Je ne me plais qu’aux lieux où je ne puis pas être.

En vain je sors de moi : fils rebelle jadis,

Je me vois dans mon père et me crains dans mon fils.

Je n’ai pas un ami : je hais ou je méprise ;

L’effroi me tord le cœur sans jamais lâcher prise,

Il n’est point de retraite où j’échappe aux remords ;

Je veux fuir les vivants, je suis avec les morts.

Ce sont des jours affreux ; j’ai des nuits plus terribles !

L’ombre pour m’abuser prend des formes visibles ;

Le silence me parle, et mon Sauveur me dit,

Quand je viens le prier : «  Que veux-tu, maudit ? »

Un démon, si je dors, s’assied sur ma poitrine.

Je l’écarte ; un fer nu s’y plonge et m’assassine.

Je me lève éperdu ; des flots de sang humain

Viennent battre ma couche, elle y nage et ma main

Que penche sur leur gouffre une main qui la glace,

Sent des lambeaux hideux monter à leur surface. »

Casimir Delavigne *.

Note CHePP : Casimir Delavigne (1793-1843), est un poète et dramaturge français, auteur d’une tragédie  « Louis XI », son chef d’œuvre, jouée en 1832.

Voir les autres pages de notre site consacrées à ce cahier :
– Présentation du cahier d’Eugène Delale

TRANSCRIPTION et/ou REPRODUCTION de l’INTEGRALITE du cahier :

– Cahier d’Eugène Delale, Passy, p. 1-15, semaine du 27 février au 4 mars 1882
– Cahier d’Eugène Delale, Passy, p. 16-27, semaine du 6 au 11 mars 1882
– Cahier d’Eugène Delale, p. 28-38, semaine du 13 au 18 mars 1882
– Cahier d’Eugène Delale, p. 39-50, semaine du 20 au 25 mars 1882
– 
Cahier d’Eugène Delale, p. 51-64, semaine du 27 mars au 5 avril 1882

SYNTHESES :

– Rédactions et dictées patriotiques dans le Cahier d’Eugène Delale, Passy
– Cahier d’Eugène Delale, école de Passy Chef-lieu, 4 mars 1882 : Problème de géométrie VI 
– Enoncés des 30 problèmes du cahier d’E. Delale 
–  La protection des oiseaux insectivores enseignée aux écoliers de Passy, Cahier d’Eugène Delale, 24 mars 1882, p. 45

Autres pages sur...
  l’enseignement à Passy
– l’enseignement du tir dans les écoles primaires de Passy , à propos de l’’éducation civique, patriotique, républicaine et militaire de 1870 à 1914

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